On connaît la thèse de Descartes concernant Dieu et le libre-arbitre humain. À première vue, il paraît rationnel de soutenir que si un dieu omnipotent et omniscient existe, le libre-arbitre n'existe pas et que s'il existe, n'existe pas alors un tel dieu. Or, Descartes a cru que les deux existent en même temps. Il expose sa position très clairement dans le paragraphe 41 des Principes de la philosophie :
" Comment on peut accorder notre libre arbitre avec la préordination divine.
(...) notre pensée est finie, et (...) la toute-puissance de Dieu, par laquelle il a non seulement connu de toute éternité ce qui est ou qui peut être, mais il l'a aussi voulu, est infinie. Ce qui fait que nous avons bien assez d'intelligence pour connaître clairement et distinctement que cette puissance est en Dieu ; mais que nous n'en avons pas assez pour comprendre tellement son étendue que nous puissions savoir comment elle laisse les actions des hommes entièrement libres et indéterminées ; et que d'autre côté nous sommes aussi tellement assurés de la liberté et de l'indifférence qui est en nous, qu'il n'y a rien que nous connaissions plus clairement ; de façon que la toute-puissance de Dieu ne nous doit point empêcher de la croire. Car nous aurions tort de douter de ce que nous apercevons intérieurement et que nous savons par expérience être en nous, parce que nous ne comprenons pas une autre chose que nous savons être incompréhensible de sa nature."
(...) notre pensée est finie, et (...) la toute-puissance de Dieu, par laquelle il a non seulement connu de toute éternité ce qui est ou qui peut être, mais il l'a aussi voulu, est infinie. Ce qui fait que nous avons bien assez d'intelligence pour connaître clairement et distinctement que cette puissance est en Dieu ; mais que nous n'en avons pas assez pour comprendre tellement son étendue que nous puissions savoir comment elle laisse les actions des hommes entièrement libres et indéterminées ; et que d'autre côté nous sommes aussi tellement assurés de la liberté et de l'indifférence qui est en nous, qu'il n'y a rien que nous connaissions plus clairement ; de façon que la toute-puissance de Dieu ne nous doit point empêcher de la croire. Car nous aurions tort de douter de ce que nous apercevons intérieurement et que nous savons par expérience être en nous, parce que nous ne comprenons pas une autre chose que nous savons être incompréhensible de sa nature."
Autrement dit, la toute-puissance de Dieu, parce qu'infinie, est telle que les actions peuvent être et libres (ce qui est connu par introspection) et causées par Dieu (ce qui est connu par démonstration). Mais la pensée humaine, finie, ne peut pas comprendre que la contradiction contenue dans la proposition précédente n'est en fait qu'apparente et relative à la finitude humaine. Ainsi la raison humaine ne peut pas connaître la totalité de la réalité. On ne verra pas dans cette argumentation une sorte de subterfuge mais l'expression de la croyance dans les limites de la raison des hommes.
356 ans plus tard, Peter van Inwagen dans le cadre d'une argumentation visant, contre l'argument d' Épicure (rapporté par Lactance), à justifier la possibilité et du mal et d'un Dieu bon et omnipotent, exclut radicalement ce que le texte antérieur a présenté comme étonnamment mais bel et bien réel :
" God made the world and it was very good. An indispensable part of the goodness he chose was the existence of rational beings : self-aware beings capable of abstract thought and love and having the power of free choice between contemplated alternative courses of action. This last feature of rational beings, free choice or free will, is a good. But even an omnipotent being is unable to control the exercise of the power of free choice, for a choice that was controlled would ipso facto not be free. In other words, if I have a free choice between x and y, even God cannot ensure that I choose x. To ask God to give me a free choice between x and y and to see to it that I choose x instead of y is to ask God to bring about the intrinsically impossible ; it is like asking him to create a round square, a material body that has no shape, or an invisible object that cast a shadow." (The problem of evil p.71-72, Oxford, Clarendon Press, 2006)
En effet Descartes tenait pour vrai que Dieu aurait pu créer des montagnes sans vallées et que les vérités mathématiques ne sont nécessaires que du point de vue de l'entendement humain. Van Inwagen, lui, a une plus grande confiance dans la raison des hommes : ce qui est rationnellement impossible l'est réellement. En même temps, son Dieu s'est humanisé. Voyez comme la situation de la pauvre Alice permet de comprendre les difficultés auxquelles se heurte le Dieu de van Inwagen :
" Suppose, for example, that Alice's mother is dying in great pain and that Alice yearns desperately for her mother to die today and not next week or next month. And suppose it would be easy for Alice to arrange this - she is perhaps a doctor or nurse and has easy access to pharmaceutical resources that would enable her to achieve this end. Does it follow that she will act on this ability that she has ? It is obvious that it does not, for Alice might have reasons for not doing what she can do. Two obvious candidates for such reasons are : she thinks it would be morally wrong ; she is afraid that her act would be discovered , and that she would be prosecuted for murder. And either of these reasons might be sufficient, in her mind, to outweigh her desire for an immediate end to her mother's sufferings. So it may be that someone has a very strong desire for something and is able to obtain this thing , but does not act on this desire - because he has reasons for not doing so that seem to him to outweigh the desirability of the thing. The conclusion that evil does not exist does not, therefore, follow logically from the premises that the non-existence of evil is what God wants and what he is able to bring about the object of his desire - since, for all logic can tell us, God might have reasons for allowing evil to exist that, in his mind, outweigh the desirability of the non-existence of evil" (ibidem, p.64-65)