Une action surérogatoire est une action éthique qui diffère d'un devoir en ce qu'elle pourrait ne pas être accomplie sans qu'il y ait faute morale. Dans le catholicisme, cela revient à faire en somme plus que Dieu n'en demande (par exemple, Dieu exige la chasteté, mais pas l'abstinence, qui peut donc être vue comme surérogatoire).
Les actes surérogatoires n'impliquent pourtant pas la religion et on peut envisager leur existence dans le cadre d'une morale laïque. Reste que le surérogatoire est mieux que le bien.
Pourtant, lisant Les exécuteurs. Des hommes normaux aux meurtriers de masse (2005) de Harald Welzer, me vient à l'esprit que le surérogatoire pourrait être pire que le mal quand les hommes croient être moraux alors qu'ils ne le sont pas. Il en irait ainsi d'un certain type de nazis. Objectivement ils font le mal mais, s'imaginant qu'ils font le bien et réalisant qu'ils vont au-delà de ce qui correspond aux devoirs correspondant à ce prétendu bien, ils ont pu se penser comme réalisant des actes surérogatoires :
" " À partir du moment où l'on procéda à l'extermination de masse ", note le commandant d'Auschwitz, Rudolf Höss, " je ne me sentis pas heureux à Auschwitz. J'étais mécontent de moi-même, harassé de travail, je ne pouvais me fier à mes subordonnés et je n'étais ni compris ni même écouté par mes chefs hiérarchiques ". Auschwitz et bonheur, pour le commandant au moins cela aurait pu ne pas être en contradiction, s'il n'y avait pas eu la frustration causée par des demi-succès, l'épuisement dû au travail, l'incompétence du personnel, les ennuis du service. L'extermination massive donne tellement de travail que le bonheur du commandant s'en trouve gâché.
S'il se plaint de n'avoir plus été heureux dès lors que débuta l'extermination massive, ce n'est nullement à cause des implications morales de sa tâche, cela tient aux problèmes techniques afférents et à l'incapacité de ses collaborateurs, qui lui compliquèrent l'accomplissement de cette tâche. Si, en lisant les témoignages autobiographiques d'exécuteurs comme Höss ou comme von dem Bach-Zelevski, l'on se force momentanément à oublier à quoi ils travaillèrent sans relâche jusqu'à l'épuisement, on se rend compte que des acteurs de cette trempe n'agissaient pas seulement dans le cadre d'un devoir à accomplir, mais que leur définition du devoir consistait à outrepasser largement la mesure exigée, à en faire plus qu'on ne pouvait attendre d'eux. Dans la mobilisation d'une telle motivation, sans doute très liées à une éthique traditionnelle du devoir et à la fierté du travail et de la production, réside l'une des forces désastreuses du système national-socialiste ; et cette mobilisation ne fut possible que parce que les acteurs étaient profondément convaincus du sens de leur tâche éreintante et par conséquent prêts à y donner le meilleur d'eux-mêmes." ( p.61-62, Gallimard )
Lues par un relativiste moral, pour qui n'existe aucune définition objective du bien et du mal, ces lignes pourraient entraîner à penser que ces hommes étaient aussi respectables moralement que ceux qui, dans le cadre d'éthiques religieuses ou laïques, vont par leurs actes au-delà de qui est exigé d'eux.
J'ajoute pour conclure que Welzer est loin de défendre que tous les nazis ont eu ces motivations pseudo-morales...