Le rappel à Lucilius de sa dimension infantile a comme fonction d’introduire une argumentation consacrée à la mort.
Le premier argument est paradoxal : ce sont les choses qui occasionnent le plus d’inquiétude (temus) qui sont le moins à craindre. On comprend vite cependant que malgré le pluriel cette phrase se réfère à la seule mort. En effet la deuxième phrase précise : « nullum magnum malum, quod extremum est ». Noblot traduit : « un mal n’est jamais grand, qui marque la fin de tous les autres ». Mais extremum a une riche ambiguïté car il désigne autant ce qui est le pire que ce qui est chronologiquement le dernier. On pourrait donc proposer comme traduction alternative : « un mal n’est jamais grand qui est le dernier », gardant ainsi la polysémie d’extremum. L’explicitation de l’argument reviendrait à dire : ce que vous pensez être le pire des maux, du fait d’être le dernier des maux, n’est pas un grand mal (on notera que la position ne revient pas à nier que la mort soit un mal ; ce qui est réfuté est juste l’idée que c’en est un grand ).
Sénèque continue en présentant sous une forme originale cet argument en fait épicurien.
D’abord il contredit ce qu’il a écrit dans la première lettre :
« Nous ne voyons la mort que devant nous, alors qu’elle est, en grande partie, déjà chose passée »
En effet il dit désormais :
« La mort vient à toi »
Mais l’idée est que la rencontre n’a pas lieu, Noblot écrit : « tu devrais la craindre si elle pouvait séjourner avec toi » mais Sénèque disant seulement « timenda erat, si tecum esse posset », on est autorisé à traduire plus sèchement : « elle serait à craindre si elle pouvait être avec toi ».
Sénèque donne alors la raison de l’impossibilité de la rencontre avec la mort :
« Necesse est aut non perveniat aut transeat »
Ce que Noblot rend ainsi :
« de deux choses l’une : ou elle ne t’atteint point ou elle (te touche et) passe »
Ce que Antoinette Novara rectifie ainsi :
« de deux choses l’une : ou elle ne te touchera pas, ou elle ne fera que traverser »
Je propose :
« Il est nécessaire que ou elle n’arrive pas ou elle passe »
C’est la version imagée de la thèse épicurienne : quand on est en vie, on n’est pas mort et quand on est mort, on n’est plus rien; il n’y a donc aucune expérience de la mort, la mort ne concerne ni les vivants ni les morts.
Sénèque présente ainsi la mort comme un passant qu’on ne doit pas attendre car s’il est bien vrai qu’il se dirige vers nous, on ne le rencontrera jamais. On le croise mais d’un croisement dont on ne peut pas se rendre compte. Lui passe son chemin, pour dissoudre à tour de rôle tous ceux qui à tort redoutent de faire sa connaissance.