Le personnage d' Irène Némirovski dont il est question dans les lignes qui suivent participe en juin 1940 à l'exode :
" Malgré la fatigue, la faim, l'inquiétude, Maurice Michaud ne se sentait pas trop malheureux. il avait une tournure d'esprit singulière, il n'attachait pas beaucoup d'importance à lui-même ; il n'était pas à ses propres yeux cette créature rare et irremplaçable que chaque homme voit lorsqu'il pense à lui-même. Envers ses compagnons de souffrance, il éprouvait de la pitié, mais elle était lucide et froide. Après tout, ces grandes migrations humaines semblaient commandées par des lois naturelles, songeait-il. Sans doute des déplacements périodiques considérables de masse étaient nécessaires aux peuples comme la transhumance l'est aux troupeaux. Il y trouvait un curieux réconfort. Ces gens autour de lui croyaient que le sort s'acharnait particulièrement sur eux, sur leur misérable genération ; mais lui, il se souvenait que les exodes avaient eu lieu de tout temps. Que d'hommes tombés sur cette terre (comme sur toutes les terres du monde) en larmes de sang, fuyant l'ennemi, laissant des villes en flammes, serrant leurs enfants sur leur coeur : personne n'avait jamais pensé avec sympathie à ces morts innombrables. Pour leurs descendants, ils n'avaient pas plus d'importance que des poulets égorgés. Il imagina leurs ombres plaintives se levant sur le chemin, se penchant vers lui, murmurant à son oreille :
- Nous avons connu tout cela avant toi. Pourquoi serais-tu plus heureux que nous ?
Une grosse commère, à côté de lui, gémissait :
- On n'a jamais vu des horreurs pareilles !
- Mais si, madame, mais si, répondit-il doucement. " (Suite française, 2004)
- Nous avons connu tout cela avant toi. Pourquoi serais-tu plus heureux que nous ?
Une grosse commère, à côté de lui, gémissait :
- On n'a jamais vu des horreurs pareilles !
- Mais si, madame, mais si, répondit-il doucement. " (Suite française, 2004)