samedi 28 juin 2008

Un sceptique court-il le risque d'être mordu par un chien ?

" A quelqu'un qui nous dirait: "Il y a un chien enragé derrière toi !" allons-nous répondre: "Qu'est-ce qui m'assure qu' à ta représentation de chien enragé correspond quelque chose ?" Si c'est notre réponse, elle montre que nous ne prenons pas l'avertissement au sérieux". (Le réalisme esthétique Roger Pouivet 2006 p.53)
" Pyrrhon était conséquent (avec ses principes) jusque par sa vie, ne se détournant de rien, ne se gardant de rien, affrontant toutes choses, voitures, à l'occasion, précipices, chiens, et toutes choses de ce genre, ne s'en remettant en rien à ses sensations". (Vies et doctrines des philosophes illustres IX 62 Diogène Laërce Pochothèque p.1100)
" Un jour qu'un chien s'était précipité sur lui et l'avait effrayé, il répondit à quelqu'un qui l'en blâmait qu'il était difficile de dépouiller l'homme de fond en comble". (ibid. 67 p.1104)
Le blâme en question peut autant avoir été adressé du point de vue de l'adversaire (cf Pouivet) que du point de vue sceptique ("en rien nous ne déterminons" ibid. 74).

Commentaires

1. Le samedi 28 juin 2008, 23:40 par Nicotinamide
Je ne comprends pas bien. Existe-t-il une représentation qui corresponde à quelque chose sinon à elle-même ?
Ma représentation d'un chien enragé égale l'image d'un bull dog baveux, charriant des morsures et un virus. Pour être compris, il faut à mon sens que cette représentation soit partagée. Ainsi quelqu'un dit : il y a un chien enragé derrière toi, je ne cherche pas à comprendre quelle est sa représentation, je l'a idéjà comprise car j'ai la mienne...
par contre, il y a un toupaye derrière toi, provoque la recherche de nouvelles représentations.
2. Le dimanche 29 juin 2008, 10:07 par philalèthe
Pyrrhon dans la première anecdote parvient à être représentationnaliste, dans la seconde il y échoue. Je reprends à Pouivet sa définition du représentationnalisme: "le monde pour-nous n'est rien d'autre que nos représentations mentales". Il me semble que quand vous écrivez "existe-t-il une représentation qui corresponde à quelque chose sinon à elle-même ?", vous êtes aussi représentationnaliste, au sens où vous ne semblez pas penser que le chien enragé réel est perçu par vous; vous ne semblez pas non plus penser qu'il y a une représentation du chien réel. La différence entre cette dernière version (représentation du chien réel) et la précédente (perception du chien réel) est celle qui sépare un réalisme indirect d'un réalisme direct. En termes réalistes, si quelqu'un me dit: "il y a un chien enragé derrière vous", généralement je pense qu'il y a un chien enragé derrière moi. Si je ne le pense pas, ce n'est pas que je réduis le chien à une image de chien, c'est que je crois que celui qui parle est un farceur par exemple ou prend un chien Sony pour un chien réel etc. Si on emploie un mot inconnu, je ne fais pas une recherche dans mes représentations, je me retourne ou si j'en suis incapable j'interroge mon interlocuteur.
3. Le jeudi 24 juillet 2008, 23:41 par Pyrrhon
Dans le contexte de DL et de sa source (Antigone de Caryste) le blâme en question vient clairement d'un adversaire dogmatique qui reproche à Pyrrhon de ne pas pouvoir vivre en cohérence avec ses principes (c'est-à-dire sans croyance). La question de cohérence théorique et pratique que pose la philosophie analytique au scepticisme est déjà posée par les adversaires du pyrrhonisme que sont les stoiciens et les épicuriens.
A mon avis la question - même si elle est intéressante en soi - passe un peu à côté de la position de Pyrrhon qui cherche à se présenter comme une ascèse, un travail sur soi qui irait jusqu'à se déprendre de ses propres croyances, peurs, souffrances...

jeudi 19 juin 2008

Camus et la simplicité.

Je lis dans L'envers et l'endroit (1937) ces quelques lignes qui évoquent le stoïcisme:
" J'ai besoin de ma lucidité. Oui, tout est simple. Ce sont les hommes qui compliquent les choses. Qu'on ne nous racontent pas d'histoires. Qu'on ne nous dise pas du condamné à mort: "Il va payer sa dette à la société", mais "On va lui couper le cou." Ça n'a l'air de rien. Mais ça fait une petite différence. Et puis, il y a des gens qui préfèrent regarder leur destin dans les yeux." ( La Pléiade p.54)
Rêve d'un monde où à chaque événement, à chaque fait, à chaque chose correspondrait une et une seule description vraie. Alors il serait possible de voir la réalité en face. Simplement.

dimanche 15 juin 2008

Sénèque (27) : le malade médecin.

La sixième lettre débute de manière inhabituelle. Alors que les précédentes commençaient par une référence à son destinataire, Sénèque se rapporte ici à lui-même :
« Intellego, Lucili, non emendari me tantum sed transfigurari : nec hoc promitto jam aut spero, nihil en me superesse, quod mutandum sit. Quidni multa habeam, quae debeant colligi, quae extenuari, quae adtolli ? Et hoc ipsum argumentum est in melius translati animi, quod vitia sua, quae adhuc ignorabat, videt. Quibusdam aegris gratulatio fit, cum ipsi aegros se esse senserunt. » = Je remarque, Lucilius, que je suis non seulement amendé mais aussi métamorphosé : mais je n’assure pas déjà ni n’espère qu’il ne reste rien qui doive être changé. Pourquoi n’aurais-je pas beaucoup à contenir, à affaiblir, à redresser ? Et c’est la preuve même d’un esprit porté vers le mieux que de voir les vices que jusqu’alors il ignorait. On félicite certains malades quand ils se sont rendus qu’ils sont malades.
Entre la seconde et la sixième lettre, la maladie a changé de fonction.
Elle était au départ la métaphore du degré maximum d’imperfection. Associée désormais à la conscience d’elle-même, elle désigne cette fois une perfection naissante.
Mais le maître n’est-il rien de plus qu’un homme conscient d’être imparfait ? Non, l’âme du maître évoque un chantier, a work in progress.
On peut certes s’étonner qu’il ne suffise pas à Sénèque de reconnaître ses réformes intérieures mais qu’il évoque une transfiguration. On doit sans doute comprendre que les corrections visent non le maintien mais la conversion de soi.
On a ici la curieuse alliance d’une conception gradualiste et d’une conception instantanéiste du perfectionnement.
Au-delà d’un certain seuil, ce qui change devient autre, même si la nouvelle identité requerra pour s'actualiser pleinement des changements ultérieurs. Quelque chose dans le sujet prend forme, tel un bâtiment en construction qui soudainement est anticipé comme monument, tel un ensemble de couleurs et de formes posés sur une toile et d’un instant à l’autre devenant figure identifiable.
Mais cet éloge que le maître adresse à lui-même laisse perplexe : qu’est-ce qui assure Sénèque, vu qu’aucun maître supérieur ne l’évalue, qu’il se corrige bel et bien et qu’il n’est pas simplement en train de croire qu’il se corrige ?

samedi 14 juin 2008

Sénèque (26) : comment vivre sans espérer ?

La condamnation de la sauvagerie artificielle des cyniques n’implique pas celle de la sauvagerie naturelle des bêtes. Ce n’est pas seulement que les bêtes suivent nécessairement la nature alors que les cyniques eux ne font que suivre la mode cynique ; c’est que les bêtes sont un modèle pour l’apprenti stoïcien. C’est sous ce jour que les animaux font leur entrée dans les Lettres à Lucilius, précisément à la fin de la lettre V :
« Ferae pericula, quae vident, fugiunt ; cum effugere, securae sunt : nos et venturo torquemur et praeterito. Multa bona nostra nobis nocent : timoris enim tormentum memoria reducit, providentia anticipat. Nemo tantum praesentibus miser est.” = les bêtes sauvages fuient les dangers qu’elles voient ; quand elles ont fui, elles sont tranquilles : nous, nous sommes tourmentés et par le temps à venir et par le temps écoulé. Beaucoup de nos biens nous nuisent : en effet la mémoire ramène le tourment de la crainte, la prévoyance l’anticipe. Personne n’est malheureux seulement à causes des choses présentes.
On comprend qu’il ne s’agit pas de supprimer l’humanité en soi, dans un effort vain de se débarrasser de la conscience du temps. Sénèque le dit explicitement :
« Providentia maximum bonum condicionis humanae » = la prévoyance est le bien suprême de la condition humaine.
Il s’agit donc de faire un usage bénéfique de la capacité humaine d’anticipation.
Comment donc anticiper l’avenir de manière à pouvoir être prêt pour le présent, adapté, disposé aux choses présentes (ad praesentia aptamur) ? Une telle disponibilité pour le présent est conditionnée par la disparition de quelque chose de double auquel Sénèque donne plusieurs noms.
Si l’on se tient au texte d’Hécaton qu’il cite (« notre Hécaton » : pour la première fois Sénèque se réfère à un stoïcien), c’est l’opposition entre craindre (timere) et espérer (sperare). Mais Sénèque n’utilise pas seulement timor et spes, noms de la même famille que les deux verbes mentionnés. Il associe metus à timor (ce qui se comprend car ce sont des synonymes) et cupiditas (le désir, la passion) à spes. Cette dernière association, plus intéressante, permet de comprendre que la fin de l’espérance n’est pas la suppression impossible de l’anticipation de l’avenir, mais l’absence d’une anticipation exprimant des désirs violents.
Pour faire comprendre à Lucilius que cette double chose ne forme qu’un tout et qu’on ne peut pas se débarrasser d’un des éléments sans se débarrasser du tout, il la compare au couple formé par le soldat (miles) et son prisonnier (custodia), tous deux unis (copulare) par une chaîne (catena) : ils marchent ensemble (pariter incedunt) mais la crainte suit l’espérance. Il est donc clair que la crainte de l’avenir n’est en rien l’anticipation prudente des dangers, c’est juste l’envers de l’attente passionnée. La métaphore militaire est reprise pour articuler ce qu’il en est de ce type d’attente :
« Cogitationes in longinqua praemittimus »
Dans la langue de César, praemittere c’est envoyer des soldats en avant-garde explorer des terres encore inconnues. Les soldats sont devenus ici les pensées (cogitationes) chargées d’identifier les temps lointains (longinqua). On devine donc qu’un élément de l’anticipation prudente est nécessairement de ne pas voir comme un ennemi le temps à venir.
Il va de soi qu’une telle transformation psychologique implique la conversion à une métaphysique providentialiste dont Sénèque n’a pas encore touché un mot à Lucilius.

Commentaires

1. Le dimanche 14 septembre 2008, 23:34 par Elias
"La condamnation de la sauvagerie artificielle des cyniques..."
Cette condamnation porte-t-elle sur tous les cyniques (y compris Diogène) où vise-t-elle particulièrement les cyniques contemporains de Sénèque? Dans la première hypothèse cela marquerait une différence entre le stoïcisme de Sénèque et celui d'Epictète. Ce dernier "récupère" la figure du cynique (Entretiens III 22) et concentre ses critiques contre ceux qui veulent jouer les cyniques mais ne sont pas à la hauteur de la mission.
2. Le mardi 16 septembre 2008, 15:11 par philalèthe
Sénèque est porté, si je ne me trompe, à déprécier les cyniques contemporains au profit des cyniques antiques. Mais parmi les cyniques contemporains, il fait cependant l'éloge de Démétrius.

mercredi 11 juin 2008

Wittgenstein, vu par Dennett: plus proche de Socrate qu'il ne l'aurait pensé !

Wittgenstein, "Saint-Louis" comme le surnomme Dennett, est très sevère avec Socrate dans les Remarques mêlées (cf billet du 16-09-07).
Pourtant Dennett voit dans l'enquête socratique l'origine d'une erreur véhiculée encore dans la philosophie oxonienne des années 60 - marquée précisément par Wittgenstein -. Il la dénonce dans le cadre d'une polémique avec Peter Hacker.
Ce dernier, qui forme avec Backer le couple d'exégètes wittgensteiniens, a écrit en collaboration avec le neurologue Maxwell Bennett Philosophical foudations of neuroscience (2003). Hacker y dénonce l'erreur de catégorie que commettent les neuroscientifiques quand ils attribuent au cerveau des activités de la personne (par exemple, "le cerveau interprète, juge, classe etc").
A l'arrière-plan de cette argumentation, il y a la distinction tranchée entre la science, chargée d'enquêtes empiriques, et la philosophie, dont la tâche est pré-empirique au sens où elle clarifie la grammaire des concepts.
C'est contre cette dichotomie rigide que Dennett proteste en donnant en premier l'argument suivant: l'examen de l'usage des mots est une investigation empirique, soumise à révision en fonction de l'étendue de l'enquête. Or, c'est précisément l'erreur de croire qu'une telle enquête n'est pas empirique dont il attribue la paternité à Socrate:
" La conviction selon laquelle les intuitions personnelles (grammaticales ou d'un autre type) est entièrement distincte de la recherche empirique a une longue tradition (qui remonte non seulement à l'Oxford des années 60 mais à Socrate), cependant elle ne résiste pas à l'analyse réflexive" (Philosophy as naive anthropology: comment on Bennett and Hacker Columbia University Press 2007 trad. personnelle)
Dans Sweet dreams: philosophical obstacles to a science of consciousness (2005), Dennett qualifie ce type d'enquête d' "auto-anthropologie aprioristique ingénue".

mardi 10 juin 2008

Quine et les Cyniques: que mettre à la place des usages ?

Sous les conventions ou au-dessus d'elles, les Cyniques trouvaient la nature, leur norme revenant à remplacer le conventionnel par le naturel. En somme ils étaient fondationnalistes.
Quine, lui, ne trouve qu'un vide, au fond embarrassant, et donc l'arbitraire:
" Que peut-on inventer pour célébrer un mariage de manière non conventionnelle ? Ou, si l'on fait l'impasse là-dessus, en quels termes désigner ou présenter la personne qui cohabite avec vous ? Comment se montrer aimable sans se rabattre sur les amabilités de convention ? Décider, encore décider. Se libérer des entraves d'une époque désuète, c'est se remettre au pied du mur à chaque tournant, faute de code, précédent, modèle ou même claire image de soi." Quiddités article liberté 1987 p. 128 (Ed. du Seuil)

Commentaires

1. Le vendredi 13 juin 2008, 23:40 par Nicotinamide
Si j'ai bien compris, selon Quine, dans ce passage, la liberté est de suivre la convention ?
Contre-pied au Cynisme, où celui-ci prétend que la liberté est une falsification de la valeur des coutumes (et donc pas forcément une opposition nature/coutume)
2. Le dimanche 29 juin 2008, 10:19 par philalèthe
Oui, vous comprenez bien Quine:

" La contrainte est reposante dans une multitude de détails. La contrainte de l'uniforme épargne au marin la peinde choisir ses vêtements de tous les jours. "Libre de toute contrainte" sonne à l'oreille comme un pléonasme, mais, en fait, la contrainte est bien une liberté de second ordre: elle libère du poids des décisions" (Quiddités p.128).
Kant traduisait "être libéré du poids des décisions" par " être asservi à un tuteur" (du moins si on a l'âge de prendre des décisions). Cf. entre autres, Qu'est-ce que les Lumières ?
Quant aux Cyniques, vous avez raison de présenter certaines conduites (par exemple, traîner en laisse un poisson mort) non comme des conduites naturelles mais comme des manifestations de dérision par rapport aux usages. Cependant celui qui s'y livre attend un développement d'une vertu fondée sur la nature (ici indifférence par rapport à la foule).

lundi 9 juin 2008

Quine, Ennius et la question de la traduction.

Quine dans Quiddités (1987) écrit:
" Alors que notre alphabet latin était depuis longtemps établi, le poète romain Ennius fit un retour original à la pictographie sans sortir du médium alphabétique. "Saxo cere-comminuit-brum", écrivit-il, autrement dit: "Il lui fendit le crâne avec une pierre"; et Ennius accomoda la parole aux gestes en fendant le mot cerebrum, "crâne" avec son verbe." (p.11 trad. Goy-Blanquet et Marchaisse)
On peut aussi traduire: "D'une pierre il lui lecer-brisa-veau", car il me semble qu'en écrivant ainsi Ennius a rompu volontairement avec les conditions usuelles d'intelligibilité. Mais que veut dire bien traduire ? Transmettre exactement un sens ? Reproduire dans la mesure du possible une forme ? Faire les deux ?

lundi 2 juin 2008

Le couple originaire: un couple de lâches.

Alors qu'en 1943 dans L'être et le néant le mot "lâche" n'a pas retenu l'attention de Sartre, en revanche, deux ans plus tard, dans une conférence qu'il reniera (L'existentialisme est un humanisme), il élève ledit mot au rang de concept:
" (ceux) qui se cacheront par l'esprit de sérieux ou par des excuses déterministes, leur liberté totale, je les appellerai lâches" (Folio p.70)
Dans le même texte, Abraham est la figure de l'homme qui a conscience de sa liberté même par rapport à un ordre transcendant:
" Est-ce que c'est bien un ange ou est-ce que je suis bien Abraham ? Qu'est-ce qui me le prouve ?" (p.34-35)
Sartre aurait pu choisir aussi Adam et Eve comme exemples de mauvaise foi:
" "Tu as donc mangé de l'arbre dont je t'avais défendu de manger !" L'homme répondit: "C'est la femme que tu as mise auprès de moi qui m'a donné de l'arbre, et j'ai mangé !" Yahvé Dieu dit à la femme: "Qu'as-tu fait là ?" et la femme répondit: " C'est le serpent qui m'a séduit, et j'ai mangé"." (Genèse 3-11/13).
Puis Dieu maudit le serpent qui, bien que sachant parler, n'est pas interrogé et n'a donc pas l'occasion de prouver ou sa mauvaise foi ou son authenticité.

Commentaires

1. Le lundi 9 juin 2008, 16:52 par Karpov
L'exemple du serpent de l'Ancien Testament prouve l'hypocrisie du dieu créateur, qui flanque au couple originel un arbre dont les fruits sont interdits.
L'arbre, c'est l'arbre de la connaissance ; le serpent, c'est le serpent de la subversion et la femme y trouve le rôle que dieu lui a dévolu : tentatrice, maléfique, lascive, etc.
2. Le lundi 9 juin 2008, 17:07 par philalèthe
En quoi Dieu était-il donc hypocrite ? Il a joué franc jeu en formulant et l'interdit et l'effet de la transgression: la mort. Ce qui restait dans l'ombre, c'était si l'effet de la transgression serait dû à une punition ou à un empoisonnement (selon l'interprétation spinoziste, qui, en somme, naturalise l'événement)
3. Le mercredi 11 juin 2008, 10:57 par Karpov
Karpov prend l'a priori d'un "dieu créateur" et tout puissant au pied de la lettre : il y a dans toute l'oeuvre de ce dieu-là une perversité fondamentale, à susciter une créature "à son image" pour pouvoir ensuite mieux la tourmenter, l'asservir, la corrompre.
Si l'on fait un pas en arrière et que l'on observe la scène première de l'Ancien Testament, on y voit l'interdit religieux éminemment POLITIQUE : ne pas croquer la pomme sinon, se reconnaître honteusement nu, s'habiller et se mettre à l'esclavage du travail pour l'éternité.

dimanche 1 juin 2008

Dennett / Spinoza: un exemple de progrès en philosophie ?

Dennett (1942- ) écrit dans Breaking the spell. Religion as a natural phenomenon (2006):
" We don't love babies and puppies because they're cute. It'is the other way around: we see them as cute because evolution has designed us to love things that look like that." (p.129 Penguin)
" Nous n'aimons pas les bébés et les petits chiens parce qu'ils sont mignons. C'est dans l'autre sens: nous les voyons mignons parce que l'évolution nous a faits pour aimer les choses qui leur ressemblent." (trad.personnelle)
C'est un pas de plus par rapport à Spinoza (1632-1677):
" Constat itaque ex his omnibus , nihil nos conari, velle, appetere, neque cupere, quia id bonum esse judicamus; sed contra nos propterea, aliquid bonum esse, judicare, quia id conamur, volumus, appetimus, atque cupimus" (Ethique III proposition IX scolie)
" Il ressort donc de tout cela que, quand nous nous efforçons à une chose, quand nous la voulons , ou aspirons à elle, ou la désirons, ce n'est jamais parce que nous jugeons qu'elle est bonne; mais au contraire, si nous jugeons qu'une chose est bonne, c'est précisément parce que nous nous y efforçons, nous la voulons, ou aspirons à elle, ou la désirons." (trad. de Bernard Pautrat 1988)

Commentaires

1. Le dimanche 1 juin 2008, 22:59 par Nicotinamide
Je n’aime pas la remarque de Dennet. L’évolution ne nous a pas fait aimer les bébés, les chiots ou les petits du ténébrion. Comptez ceux qui dorment dans les congélateurs, ceux qui finissent secoués ou dans les poubelles… L’évolution ne nous a pas fait un nez proéminent dans le but d’y poser des lunettes… L’attachement mère-progéniture est connu : sécrétion d’ocytocine pendant l’accouchement et l’allaitement. Mais qu’en est-il du mammifère humain qui subit une césarienne et n’allaite pas ?
Ils disent : « le jugement de valeur (chose bonne, clébard mignon) ne crée pas le désir mais au contraire en découle. »
Intuitivement, je ne pense pas qu’il y ait un sens de lecture, les interactions sont circulaires. Le jugement de valeur crée du désir. Le désir crée des jugements de valeur.
2. Le lundi 2 juin 2008, 17:37 par philalèthe
Prendre Darwin au sérieux ne revient pas à invoquer l'évolution pour tout expliquer, l'hypernaturalisme est aussi faux que l'hyperculturalisme mais même si par exemple on est intéressé par une conception mimétique du désir (Girard) ou par une conception sociologique (Bourdieu par exemple), il y a un soubassement naturel de besoins qui est donné et c'est un tel soubassement que l'évolutionnisme cherche à expliquer (par exemple pourquoi les nourrissons aiment-ils le sucré et pas le salé ?). En tout cas quelqu'un comme Dennett n'est vraiment pas réductionniste; simplement pour qu'il y ait une transmission culturelle, il faut un équipement naturel, c'est lui dont l'évolutionnisme veut rendre compte.
Ce que je trouvais intéressant dans cette juxtaposition Dennett / Spinoza, c'est qu'il me semblait que Dennett avait les moyens de faire des désirs non plus des causes premières mais des phénomènes à leur tour explicables.
3. Le mercredi 4 juin 2008, 23:48 par Nicotinamide
Tout peut s'expliquer en faisant appelle aux seules propriétés de la matière. Expliquer un amour par production de lulibérine ou la naissance d'un lien par la libération d'ocytocine n'apporte rien. La littérature s'avère plus utile pour vivre ces moments. (Sans connaître la chimie du cerveau, Spinoza comprit notre déterminisme.) Dennett, que je n'ai jamais lu, dans cette citation dit une connerie. Dawkins , Gould, Duve et (un quatrième non traduit dont le nom m'échappe) incarnent 4 "néo-darwinismes" diférents. L'évolution demande de la prudence car c'est une science synthétique (elle absorbe toutes les connaissances biologiques) et ne rassemble que des conjectures.
(Test, répondre spontanéement ou interroger son collègue de sciences nat. :
"qu'est-ce qu'un gène ?"
Je suis sûr de démolir vos réponses)
4. Le jeudi 5 juin 2008, 10:25 par philalèthe
1) tout ne peut pas s'expliquer en faisant appel aux seules propriétés de la matière: par exemple, je n'explique pas un poème ou une inflation en faisant appel aux seules propriétés de la matière.
2) expliquer un amour par production de molécules x ou z n'apporte pas rien mais une explication partielle et insuffisante.
3) la littérature s'avère plus utile pour vivre ces moments: c'est possible mais vivre un moment ce n'est pas l'expliquer.
4) doit-on en rester en termes de connaissances scientifiques à celles de Spinoza ? ("Sans connaître aucune de nos sciences, Démocrite comprit notre déterminisme")
4) vous avez tort de présenter l'évolutionnisme comme une hypothèse (à vous lire j'ai l'impression de lire un créationniste). La théorie évolutionniste n'en est plus aux stades des conjectures et c'est la seule théorie scientifique dont on dispose pour rendre compte du vivant et de son évolution. Qu'il y ait comme dans toute science des divergences au niveau de la recherche ne conduit pas à la délégitimer.
5) je ne comprends pas votre test.
5. Le vendredi 6 juin 2008, 00:26 par Nicotinamide
1/ La pensée scientifique recherche les déterminismes. Néanmoins, certains physiciens travaillent sur des particules dont le comportement est aléatoire. Oui, mais même l'indéterminé possède ses lois (les probabilités). Les phénomènes complexes engendrent du hasard car les causes sont trop nombreuses. Les propriétés de la matière ne pourront pas expliquer l'inflation ou un poème pour cette raison. Toutefois vous ne pouvez pas nier que ce n'est rien d'autres que des flux de potassium et de sodium dans le cerveau du poète qui ont conduit à la production de vers.
2/ Oui
3/ J'ai choisi le mot vivre pour son ambiguité. Lire les souffrances du jeune Werther n'est pas vivre une amourette dans un café. Néanmoins, je trouve que l'on s'explique une humanité qu'une fois que l'on en a fait l'expérience... La littérature (décrite comme Mallarmé (ou Valéry ?) : "Non pas peindre l'objet mais l'effet qu'il produit") apporte aux questions auxquelles nous sommes confrontées. La science donne des réponses à des questions que l'on ne se pose pas. La mort, le sentiment amoureux, la solitude, l'éthique, la prière sont des problèmes pour lesquelles la science ne sert pas. Les Cyniques déconseillaient l'étude de la logique, de la géométrie... Les seules savoirs exigibles étaient la connaissance d'Homère. (Avez-vous remarqué le nombre de référence à Homère dans le discours antisthénien et diogénisiaque ?)
Ainsi, j'en viens au 4/. Et là, je le confesse, je ne sais plus.
Je regroupe les deux derniers points. Le test consiste à poser une question dont la réponse apparait comme une certitude. La notion de gène connut une phase d'élaboration, puis de remaniement. Aujourd'hui, elle est sur le point d'être détruite. Progression normale de la sience, un paradigme en chasse un autre... La science saute d'hypothèses en hypothèses.
Je présente l'évolution comme une hypothèse car elle prétend synthétiser des connaissances scientifiques. De plus, il s'agit d'une science "historique" la part conjecturelle est immense. Le créationisme n'est pas une hypothèse mais un dogme, il ne résiste pas à l'analyse scientifique. Le problème est qu'un dogme s'avale plus facilement qu'une démonstration scientifique. Nous atteignons rapidement nos limites. Sauriez-vous expliquer pourquoi les reptiles sont un groupe caduque ? Sauriez-vous dire si l'oeil de la mouche et celui de l'homme sont hérités d'un ancêtre commun ou s'ils sont une convergence adaptative ? Feuilletez l'Atlas de la création (est-ce qu'il traine dans le CDI ?), des photos de fossiles et d'espèces actuelles, sans réfléchir, on découvre que rien n'a changé...
6. Le vendredi 6 juin 2008, 10:08 par philalèthe
1) si vous voulez dire que toute activité humaine a des causes physiques, comment le nier ? Reste qu'il n'est pas pertinent de se tourner vers ces causes au moment d'expliquer un poème; ça le serait plus au moment d'expliquer par exemple pourquoi ce poète quand il écrivait ce poème a eu subitement l'esprit, disons, complètement vide (je dis plus car même à supposer que la cause du trouble soit cérébrale, elle serait déterminée en termes neurologiques et non physiques). Ceci dit, votre phrase: "ce n'est rien d'autre que des flux de potassium et de sodium dans le cerveau du poète qui ont conduit à la production de vers" se heurterait hors contexte à beaucoup d'objections sensées du genre: "ce qui l'a conduit à la production de ces vers c'est le désir qu'il avait de devenir poète et la croyance qu'en écrivant ces vers-là il serait reconnu comme poète."
2)"Lire les souffrances du jeune Werther n'est pas vivre une amourette dans un café." Lire n'implique pas lire avec réflexion et vivre une amourette n'implique pas la vivre sans réflexion; par exemple si Monsieur Teste vit une telle amourette, il est certainement plus, disons, "profond" que si un midinet lit Goethe. En revanche je suis d'accord avec l'idée que la littérature augmente notre connaissance sans que je parvienne vraiment à définir précisément les objets qu'elle éclaire (je crois que le dernier livre de Bouveresse est sur ce point-là un apport). Quant aux Cyniques, ne voient-ils pas dans l'attachement à la science pour la science un divertissement détournant de l'urgence pratique de changer de vie ? A propos de la relation des Cyniques avec le texte homérique, je n'ai pas d'idées mais le texte homérique n'est-il pas le proto-texte que tous les philosophes grecs à "commencer" par Platon ont cherché à récupérer, voire ont, à cette fin, détourné ? N'est-il pas à la fois une source et une cible ? Un peu comme la Bible pour la philosophie postérieure.
4) Je répète que l'évolutionnisme n'est plus une hypothèse. Arrêtez d'apporter de l'eau au moulin des créationnistes. Certes je vois que vous tenez un discours de type kühnien (les paradigmes) et que vous cherchez à juger ce que vous croyez aujourd'hui à la lumière de ce qu'on pourrait penser en l'an 4000. En fait, on n'a aujourd'hui aucune raison de penser que dans deux millénaires l'évolutionnisme sera dans la poubelle des théories fausses. C'est juste une possibilité logique mais on n'a pas de raisons pour lui donner plus de prix qu'à la possibilité qui la contredit. Je crains que votre attention à l'histoire des sciences ne vous tire vers un scepticisme post-moderniste sans fondement.
Quant aux questions que vous me posez sur l'oeil de la mouche etc, je ne vois pas ce qu'on peut tirer de mon ignorance ou de mon savoir concernant la valeur de l'évolutionnisme. Les réponses vous apprendraient quelque chose sur l'état de mon savoir et rien d'autre.
Quant à l'Atlas en question, je ne sais pas de quoi il s'agit et je ne comprends pas votre dernier argument (je serais juste tenté de dire: que rien n'a changé pour celui qui pense sans réfléchir prouve seulement qu'on doit réfléchir)
7. Le samedi 7 juin 2008, 00:26 par Nicotinamide
Sur le 4/ tout d'abord
En ce qui concerne l’atlas de la création, il a été envoyé à l’école (université, rectorat, lycée…).
J’ai copié l’article qui décrit « l’affaire » (Ici : http://www.lexpress.fr/actualite/so...
« Il pèse quelques kilos, a l'air d'un livre pour enfants et a été envoyé en nombre dans les écoles françaises: apologie d'un créationnisme mâtiné d'islam, L'Atlas de la création est un drôle d'objet
Au premier abord, c'est un livre somptueux. L'Atlas de la création, édité en décembre dernier en Turquie, est un pavé de 770 pages richement illustré. Plusieurs milliers de photographies en couleur de fossiles d'animaux lui confèrent l'apparence d'un ouvrage de vulgarisation scientifique à mettre entre les mains des enfants. D'ailleurs, depuis plusieurs jours, des centaines d'établissements scolaires français ont reçu gratuitement dix mille exemplaires de cet ouvrage signé Harun Yahya, le pseudonyme d'Adnan Oktar, un "intellectuel" turc auteur de dizaines d'ouvrages depuis les années 1980.
"Preuves" à l'appui...
Le problème - majeur - est que, sous couvert de pédagogie, cet Atlas de la Création conteste les travaux de Darwin et la théorie de l'évolution des espèces. Le ministère de l'Education nationale a immédiatement mis en garde les établissements scolaires contre cet ouvrage d'inspiration musulmane dont le contenu "ne correspond pas aux programmes". Selon Harun Yahya - qui cite le Coran à de multiples reprises - les espèces animales, et l'homme, n'ont pas évolué mais ont été "créés" par Dieu telles que nous les connaissons aujourd'hui. Pour "prouver" ses affirmations aberrantes, Harun Yahya tente de démontrer que des fossiles vieux de plusieurs centaines de millions d'années sont identiques aux espèces actuelles. Et que l'homme ne descend pas du singe. Ces idées créationnistes, propagées par certaines églises et sectes chrétiennes nord-américaines, connaissent un succès croissant dans les milieux musulmans osbcurantistes. L'objectif affiché du livre est "d'anéantir les arguments des idéologies athées". L'entreprise de prosélytisme y est clairement affiché: "Ce livre et tous les autres travaux [...] peuvent être abordés en groupes". Dans L'Atlas de la création, à côté d'une photo des attentats du 11 septembre 2001, on peut même lire que "ceux qui perpétuent la terreur dans le monde sont en réalité les darwinistes. Le darwinisme est la seule philosophie qui valorise et encourage le conflit".
Mais la phraséologie véhiculée par Harun Yahya, d'inspiration musulmane, dépasse pourtant la simple propagande islamiste radicale. Elle évoque des théories encore plus hallucinantes, un confusionnisme d'inspiration sectaire. Dans le dernier chapître, l'auteur affirme que "la matière n'existe pas": le monde ne serait qu'un ensemble d'images présentées par Dieu à l'âme humaine pour la tester... On serait tenté de rire, mais vu les moyens financiers employés pour diffusé cet Atlas dévoyé, l'auteur n'est certainement pas un plaisantin »)
Il me semble qu’à travers cet exemple, vous avez compris ce que je voulais dire : « rien n’a changé » pour celui qui applique un dogme, pour celui qui ne réfléchit pas. Cependant, il est dur de réfléchir sur une science synthétique. Les limites de nos connaissances sont approchées rapidement. Nous faisons confiance aux scientifiques pour rétorquer aux arguments créationnistes des arguments d’autorité.
Je ne comprends pas bien pourquoi dites vous que l’évolutionnisme n’est pas une hypothèse. En effet, la science est en mouvement. Inutile de prendre 2000 ans de recul pour le constater. Par exemple : « Rick Young, a geneticist at the Whitehead Institute in Cambridge, Massachusetts, says that when he first started teaching as a young professor two decades ago, it took him about two hours to teach fresh-faced undergraduates what a gene was and the nuts and bolts of how it worked. Today, he and his colleagues need three months of lectures to convey the concept of the gene, and that's not because the students are any less bright. "It takes a whole semester to teach this stuff to talented graduates," Young says. "It used to be we could give a one-off definition and now it's much more complicated. » (Tiré de là : http://www.nature.com/nature/journa... )
Ici ( http://www.nature.com/nature/journa... ) les auteurs montrent qu’il existe une transmission de caractère (tache blanche sur la queue de souris) qui ne repose pas sur la transmission d’un gène (ADN) mais sur la transmission d’ARN. Ailleurs (http://www.nature.com/nature/journa... )des chercheurs montrent qu’une plante réécrit son ADN à partir de ces « micro-ARN ».
A la lumière de ces résultats (2005-2006), vous comprenez que la théorie de l’évolution ne peut plus être la même théorie qu’il y a 20 ans ?
Mes questions étaient des pièges. On ne sait pas si l’œil de la mouche et l’œil humain sont une convergence ou l’héritage d’un ancêtre commun. Ou autre question d’évolution : est-ce que vous rapprocheriez les oiseaux des crocodiles ou des mammifères ? Des crocodiles si vous considérez la présence d’un gésier, une membrane sur l’œil, la réduction d’os du crâne qu’ils partagent avec les crocodiles. Des mammifères si vous considérez l’anse de henlé dans le rein, le tronc aortique unique, l’endothermie… qu’ils partagent avec les mammifères… Exemples un peu lourd cherchant à montrer qu’une science historique est un ensemble de conjectures.
8. Le samedi 7 juin 2008, 21:37 par Nicotinamide
Le 2/
Je me suis emballé sur Homère. Les références grouillent chez tous les philosophes antiques. Cependant, je suis certain d'avoir lu, que l'éducation consistait à apprendre par coeur des poèmes et Homère. ce soir, je n'ai pas retrouvé où.
Je recopie, celles-ci, évoquant les relations Cyniques-"sciences" :
"Un certain géomètre qualifiait Diogène d'inculte et d'ignorant. Ce dernier lui dit : "reconnais avec moi que je n'ai pas appris ce que Chiron lui-même n'a pas enseigné à Achille (soit la géométrie)"
Joan. Damasc., Exercepta...
"je (Diogène) préfère une goutte de chance à un tonneau d'esprit" (Anton. Maxi., de fortuna...
"vous vous donnez bien du souci au sujet de l'ordre cosmique, leur répondit Démonax, mais vous ne vous préoccupez pas du tout de votre désordre intérieur"
(Stobée, eclog...
Diogène Laërce VI 103-104 ou Bion IV 53
9. Le samedi 7 juin 2008, 22:15 par Florian Cova
Je me joins à la discussion :
Je ne sais pas ce que signifie que l'évolution est une science "synthétique" (en un sens, toute science est "synthétique", non ?). J'ai l'impression que vous voulez entendre par là qu'elle part des acquis en biologie (la génétique par exemple) pour construire des conjectures sur l'histoire du vivant. D'un point de vue historique, c'est faux, me semble-t-il. C'est la théorie de Darwin qui amène à poser la notion de gène au début du XXe siècle et donne son impulsion au programme de recherche qui deviendra la génétique.
Il est évident que la génétique enrichit en retour la théorie de l'évolution, et que donc celle-ci s'est beaucoup modifiée, complexifiée, enrichie. C'est là un indice de sa fécondité : vous semblez y voir un indice de sa caducité. Pourquoi ?
Enfin, la théorie de l'évolution est en grande partie historique mais pas seulement. Elle postule l'existence de mécanismes (comme la spéciation) qui ont pu être reproduits en laboratoires. Enfin, même dans le cas de spéculations historiques, il existe de nombreux cas d'expérimentations. Par exemple en psychologie évolutionniste : on pose l'hypothèse que telle fonction F a évoluée dans un contexte C pour répondre à un problème P. On en déduit alors qu'elle devraient (mieux / différemment / ne pas) fonctionner dans un contexte précis. Et on teste. Une épistémologie inductionniste empêche de tester des hypothèses historiques. Mais pas une épistémologie falsificationnistes. Or, les méthodes scientifiques se rapprochent plus des secondes.
Enfin, sur votre objection : " L’évolution ne nous a pas fait aimer les bébés, les chiots ou les petits du ténébrion. Comptez ceux qui dorment dans les congélateurs, ceux qui finissent secoués ou dans les poubelles". L'objection est : X n'est pas naturel parce X n'arrive pas à tous les coups. Dans ce cas, je vous ferai l'objection que certains m'ont déjà fait : meuh non, tous les corps ne sont pas attirés vers la terre, la preuve en est que le ballon d'hélium s'envole. Vous répondrez : une certaine force tire le ballon vers la terre, mais une force plus grande le pousse vers le haut (en termes non techniques). Pareil pour l'évolution : l'évolution nous pousse à X, mais il peut exister des motifs d'ordre externe plus puissant qui vont contre X : ce qui fait qu'il peut y avoir des cas où ne X-ons pas sans que cela rende caduque l'affirmation selon laquelle l'évolution nous pousse à X.
10. Le samedi 7 juin 2008, 23:30 par philalèthe
Nicotinamide: merci d'avoir bien voulu éclairer les allusions que je n'avais pas comprises. Ceci dit, je maintiens qu'il y a une grande différence entre soutenir que l'évolutionnisme est une théorie scientifique en évolution (sic) - d'où production d'hypothèses, conflits d'hypothèses etc - et soutenir que l'évolution est une hypothèse. Comme vous l'avez compris, je serais porté à soutenir 1 mais pas 2; quant à vous, il me semble que par endroits au moins vous n'hésitez pas à soutenir 2, d'où notre différend.
11. Le dimanche 8 juin 2008, 09:04 par philalèthe
Florian: Merci d'abord de me rendre visite !
Ceci dit, rien à dire concernant l'explication de la trajectoire  "exceptionnelle" du ballon en hélium, mais dans le cas qui est discuté (pour dire vite, les comportements hostiles aux petits enfants), elle suggère inévitablement que d'autres causes naturelles expliquent les conduites qui à première vue ne confirment pas l'évolutionnisme. Or, il me semble que si lesdites conduites ont comme tout phénomène des causes naturelles, ce n'est pas vers elles qu'on se tournera pour les rendre intelligibles mais vers des raisons psycho-sociales. Certes il ne me paraît pas interdit alors de chercher les bases évolutionnistes de telles raisons. Reste que l'explication éclairante, celle qui rend le cas intelligible, ne sera pas prima facie naturaliste, mais culturaliste.
12. Le dimanche 8 juin 2008, 19:21 par Florian Cova
A Philalethe :
"D'autres causes naturelles expliquent les conduites qui à première vue ne confirment pas l'évolutionnisme. Or, il me semble que si lesdites conduites ont comme tout phénomène des causes naturelles, ce n'est pas vers elles qu'on se tournera pour les rendre intelligibles mais vers des raisons psycho-sociales"
Tout à fait d'accord ! L'évolution n'explique pas tout. Et nous n'avons pas la possibilité de décrire toute cause d'un point de vue purement naturaliste.
13. Le mercredi 11 juin 2008, 00:23 par Nicotinamide
Florian Cova :
Je reprends des lignes :
"Je ne sais pas ce que signifie que l'évolution est une science "synthétique" (en un sens, toute science est "synthétique", non ?). J'ai l'impression que vous voulez entendre par là qu'elle part des acquis en biologie (la génétique par exemple) pour construire des conjectures sur l'histoire du vivant."
Oui. Elle synthétise de nombreuses connaissance en biologie et en géologie.
(Revenons par exemple à la comparaison entre l'oeil humain et l'oeil d'une mouche. S'agit-il d'une homologie (caractère hérité d'un ancêtre commun) ou d'une homoplasie (convergence adaptative) ? Les recherches pousseraient à comparer l'anatomie, l'histologie, la physiologie, la génétique de l'oeil. Le champs s'élargirait aux autres espèces, aux fossiles...)

"D'un point de vue historique, c'est faux, me semble-t-il. C'est la théorie de Darwin qui amène à poser la notion de gène au début du XXe siècle et donne son impulsion au programme de recherche qui deviendra la génétique.
Non, la théorie de Darwin n'amène pas à poser la notion de gène. La naissance de la génétique repose sur les travaux de Mendel. Il comptait les petits pois. (L'ancêtre du gène pourrait être les biophores de Weissmann, les pangènes de Vries.)
"Il est évident que la génétique enrichit en retour la théorie de l'évolution, et que donc celle-ci s'est beaucoup modifiée, complexifiée, enrichie."
Oui c'est incontestable. (Je dirai que la théorie de l'évolution endacre la génétique)
"C'est là un indice de sa fécondité : vous semblez y voir un indice de sa caducité. Pourquoi ?"
Non sur ce point je suis d'accord
"Enfin, la théorie de l'évolution est en grande partie historique mais pas seulement. Elle postule l'existence de mécanismes (comme la spéciation) qui ont pu être reproduits en laboratoires. "
oui ou observés dans la nature.
"Enfin, même dans le cas de spéculations historiques, il existe de nombreux cas d'expérimentations. Par exemple en psychologie évolutionniste : on pose l'hypothèse que telle fonction F a évoluée dans un contexte C pour répondre à un problème P. On en déduit alors qu'elle devraient (mieux / différemment / ne pas) fonctionner dans un contexte précis. Et on teste. Une épistémologie inductionniste empêche de tester des hypothèses historiques. Mais pas une épistémologie falsificationnistes. Or, les méthodes scientifiques se rapprochent plus des secondes."
Pour ces lignes, j'aurai besoin d'éclaircissments ? Qu'est-ce que la psychologie évolutionniste ? Pourriez doner un exemple ? Est-ce qu'inductionniste s'oppose à falsicationnistes ? (Souvenir de Hume : "qu'est-ce qui nous prouve que E=mc² sera encore vrai demain ?")
En ce qui concerne votre dernier point "l'évolution nous pousse à X, mais il peut exister des motifs d'ordre externe plus puissant qui vont contre X : ce qui fait qu'il peut y avoir des cas où ne X-ons pas sans que cela rende caduque l'affirmation selon laquelle l'évolution nous pousse à X."
Prenons un exemple : la théorie du phlogistique explique les combustions. Un métal donne de la chaux par combustion. La combustion libère du phlogistique contenu dans le métal. Oui mais alors pourquoi la chaux est plus lourde que le métal si celui-ci perd du phlogistique ? Le scientifique ne peut pas répondre : "certes, mais votre objection n'entame pas la théorie car il doit y avoir des motifs plus puissants qui masque l'action du phlogistique."
non, soit on trouve ces motifs, (ils ne peuvent pas être psycho-social), soit on adapte la théorie aux observations ou aux découvertes et (par conséquent l'affirmation Y pousse X change.)
Dire l'évolution nous pousse à aimer les larves ressemble au "génie de l'espèce schopenhauerien" qui pousse les femmes à la fidélité et les hommes à l'infidélité.
14. Le mercredi 11 juin 2008, 00:53 par Nicotinamide
Philalethe, il serait absurde d'écrire que la physique voire même l'histoire est une hypothèse. Par contre, selon Popper, l'évolutionnisme n'est pas une science mais une recherche à visée métaphysique. La théorie est non falsifiable. L'évolutionnisme ne prévoit rien. (En biologie, il existe deux types de causalité : les causes immédiates : (comment expliquer qu'une chèvre s'attache à son chevreau ? réponse physiologique: hormones...) et les causes lointaines (pourquoi une chèvre s'atache à son petit ? réponse : sélection des chèvres qui ont eu un meilleur succès reproductif))
15. Le mercredi 11 juin 2008, 10:48 par philalèthe
Nicotinamide: sauf à me tromper, les critiques que Popper adresse à l'évolutionnisme ont 45 ans d'âge (1963). Au vu de l'évolution de la théorie en question, sont-elles encore pertinentes ? Ce n'est pas une question rhétorique.
16. Le vendredi 13 juin 2008, 23:36 par Nicotinamide
La question m'est d'autant plus difficile que je n'ai pas les textes dans lesquels Popper évoquent l'évolutionisme. Cependant, je crois qu'il est revenu sur ses propros.