Malebranche :
" On ne considère pas qu' Aristote, Platon, Épicure étaient hommes comme nous et de même espèce que nous ; et de plus, qu'au temps où nous sommes, le monde est plus âgé de deux mille ans, qu'il a plus d'expérience, qu'il doit être plus éclairé ; et que c'est la vieillesse du monde, et l'expérience qui font découvrir la vérité. (...) Il ne faut pas s'imaginer, que ceux qui vieillissent sur les livres d' Aristote et de Platon, fassent beaucoup d'usage de leur esprit. Ils n'emploient ordinairement tant de temps à la lecture de ces livres, que pour tâcher d'entrer dans les sentiments de leurs auteurs ; et leur but principal est de savoir au vrai les opinions qu'ils ont tenues, sans se mettre beaucoup en peine de ce qu'il en faut tenir (...). Ainsi la science et la philosophie qu'ils apprennent, est proprement une science de mémoire, et non pas une science d'esprit. " (La recherche de la vérité II, chap.III)
Chomsky :
" (Dans les années 60), le personnel académique était traumatisé à l'idée que les étudiants se mettent soudain à poser des questions plutôt que de recopier fidèlement ce qu'ils disaient. Lorsque des gens comme Allan Bloom décrivent les années 1960 comme si les fondements de la civilisation étaient : "Je suis un grand professeur et je vous dis ce que vous devez penser, dire et écrire dans vos cahiers, et vous le répétez." Si alors vous vous leviez pour dire : " Je ne comprends pas pourquoi je devrais lire Platon, je trouve que c'est n'importe quoi ", cela détruisait les fondements de la civilisation. Alors que c'était une question parfaitement sensée - beaucoup de philosophes l'ont posée, alors pourquoi ne le serait-elle pas ? (...) L'idée qu'il existe un ensemble de "pensées profondes" que nous, les types intelligents, allons sélectionner et que vous, les imbéciles, allez apprendre - en tout cas mémoriser, parce que vous ne pouvez pas vraiment les apprendre si on vous les impose - est absurde. Si, par exemple, vous voulez lire Platon sérieusement, vous allez essayer de séparer le vrai du faux, de trouver le meilleure façon de l'aborder, ou pourquoi il écrivait ceci au lieu de cela, quelle grossière erreur de raisonnement il a commise ici et ainsi de suite. Voilà comment on lit les ouvrages complexes, tout comme en science. Mais dans le modèle que je critique, vous n'êtes pas censé le lire de cette façon, vous êtes censé le lire parce que c'est la vérité, ou parce que c'est un "grand penseur" ou que sais-je. Et c'est en quelque sorte la pire forme de théologie. (...) Prenez la philosophie, par exemple, qui est un domaine que je connais un peu : certains des meilleurs philosophes parmi les plus intéressants et les plus actifs aujourd'hui, qui ont une influence réelle, seraient incapables de distinguer Platon d'Aristote, exception faite de leurs souvenirs d'un quelconque cours de première année. Je ne dis pas que vous ne devez pas lire Platon ou Aristote : il y a des tas de choses qu' il faudrait lire mais on ne pourrait jamais lire qu'une infime fraction de ce qu'il faudrait avoir lu. Cela dit, se contenter de les lire ne sert à rien : vous n'apprenez que si ce que vous lisez est intégré d'une manière ou d'une autre à votre propre développement créatif. Dans le cas contraire, cela traverse votre esprit et disparaît. Ça n'a aucune valeur - l'effet est le même que si vous apprenez par coeur le catéchisme ou la Constitution." (Comprendre le pouvoir, volume 2, p.173, volume 3, p.24-25)