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samedi 15 octobre 2005

Digression n°5 : le truc pour devenir sage ?

Un internaute peut-être égaré est à la recherche de la recette de la sagesse. Je crains de renforcer son égarement: il n'y en a pas. D'abord, ce que j'appelle sagesse n'est pas un état observable mais un idéal. Le sage est juste l'idéal des philosophes (du moins de certains d'entre eux car d'autres s'en moquent à tire-larigot). Ensuite, par définition, une recette est un procédé qu'on peut appliquer machinalement, même si ce n'est pas le cas la première fois qu'on la suit. Enfin elle est diffusable et applicable universellement, pourvu qu'on s'y attelle (je peux faire à Pékin la recette de la tarte Tatin). On me dira que Michel Foucault a parlé de techniques de soi pour désigner les moyens qu' ont inventés les philosophes antiques pour se transformer dans le sens de la sagesse. Bien sûr mais de telles techniques reviennent à des ordres qu'on se donne à soi-même et aux autres éventuellement ( comme, par exemple, "vis dans le présent, ne pense pas tout le temps à l'avenir" ) sans que personne ne puisse assurer que chacun est en mesure grâce à elles de se transformer dans le sens désiré (ce qui ne veut pas dire que personne n'est en mesure de le faire). Il me semble plutôt que les philosophes en question ne cessent jamais d'appliquer ces techniques et que la vie philosophique en ce sens-là ne dépasse pas cet effort constant et difficile d' améliorer celui qu'on est. L'oeuvre de Marc-Aurèle n'est qu' un ensemble de règles qu'il se propose de suivre et dont le lecteur d'hier et d'aujourd'hui peut s'inspirer. Pas plus qu'on ne pourra inventer des pilules qui rendent sage (qu'on ne me parle pas des antidépresseurs ou des anxiolytiques !), on ne découvrira des "kits mentaux" permettant d'atteindre la béatitude.

Commentaires

1. Le jeudi 20 avril 2006, 00:03 par Astrid (qui parcoure le site avec intérêt...)
=) ! Au moins, nous sommes fixés.
2. Le lundi 1 mai 2006, 20:43 par Astrid (qui parcourt le site avec intérêt...)
qui parcourt <<<
3. Le lundi 1 mai 2006, 22:14 par philalethe
Quelle pointilleuse vous faites !
4. Le mardi 12 septembre 2006, 02:59 par Climaticus
Quand on parle du désir du philosophe d'aquérir cet état idéal de l'âme que serais-ce la sagesse, je pense irrémédiablement aux thèses philosophiques de Socrate que je reconnait dans "le Phédon" de Platon.

Socrate considère que le véritable philosophe est celui qui ce prépare pour mourir. Celui qui n'accède pas par la pensée au savoir du philosophe serait alors incapable de mourir et son âme serait condamnée, aprés la mort du corps, à érrer sur terre ou peut être à se réincarner dans des corps d'animaux. Il mourrirait pas totalement puisqu'il n'aurait pas réussit à séparer à travers de la pensée son âme du corps. Par contre, le véritable philosophe, lui libère son âme du corps et à travers de la mort de celui-ci, son âme s'élève et accède à la vérité. La mort, pour Socrate, serait un état de réussite de l' âme et un synonime de vérité.

Ma thèse est donc la suivante:

L'homme sage est celui dont l'âme accède à la vérité, donc c'est un homme mort. Alors tout philosophe véritable mort est un homme sage. Comment peut-on dire que la pilule qui donne accés à la sagesse n'existe pas? Il suffit de pensée pendant toute la vie sur la véritable éssence de toute les choses (comme l'aurait fait Socrates) pour devenir sage. Aprés la mort bien sur. Il faut méditer, puis mourir. Voilà la formule sécrète. Ce n'est pas difficile du tout et il est impossible de démontrer que Socrate ne soit pas dans ce moment un homme sage. Aucun neurologue ne sait sonder la vériter. Au moin pendant qu'il est vivant.

vendredi 14 octobre 2005

Digression n°4 : le philosophe dit-il la vérité ?

On me demande si le philosophe dit la vérité. Si dire la vérité signifie dire ce qu'on pense être vrai, généralement le philosophe dit la vérité, même si à certaines époques et à certains endroits il doit la taire ou la dire discrètement sous une forme qui la rend presque invisible. Si dire la vérité c'est dire ce qui est vrai, le philosophe bien sûr y prétend, même le sceptique quand il dit qu'il ne sait pas s'il la possède ou pire si elle existe. Mais il y a manière et manière de dire la vérité. Dans une lettre, Descartes ne la dit pas comme il le fait dans un traité ou dans une méditation où moment même où il la découvre. Lucrèce la dit en vers tandis que Spinoza la formule en imitant le géomètre. Platon la dit sous la forme plaisante de l'allégorie ou plus directement au moment d'expliquer les mythes qu'il invente. On dira bien sûr que les oeuvres philosophiques ne sont pas les pièces d'un puzzle constitué patiemment au cours des millénaires et s'appelant la Vérité. En effet la vérité cartésienne n'est pas la vérité marxiste qui n'est pas la vérité kantienne. Mais on aurait tort de penser que chaque philosophe est en querelle avec tous les autres. Parler de guerre dramatise encore plus les choses. Il est certain que parmi ses contemporains et ses prédécesseurs proches et lointains le philosophe se choisit des amis et aussi des ennemis. Mais il en connaît aussi beaucoup par ouï-dire ou pas du tout. Rien d'étonnant car celui qui passe sa vie à lire les philosophes pour finalement prendre position n'arrive jamais au but et ne devient jamais philosophe, d' où entre eux quelquefois ces coups de griffes hargneux et pas toujours mérités ou ces éloges excessifs et qui rendent mal justice. Le jeune lecteur voudrait savoir qui a raison finalement. On lui dira que c'est à lui de le déterminer en les lisant et en les confrontant, que cela prend des années, voire des décennies et qu'il n'est pas exclu qu' il n'arrive pas au but. Se faire une idée dépend de ses forces mais aussi des hasards des lectures et des rencontres. Notre époque n'aime peut-être pas la lenteur et réglera quelquefois la difficulté en disant qu'ils ont tous tort ou tous raison. La première position relève d'une grande immodestie car pour la défendre il faudra prétendre détenir la vérité tant recherchée, seule capable de fonder la dénonciation de leurs erreurs. Quant à dire qu' ils ont tous raison alors qu'ils se contredisent quelquefois, cela revient à affirmer qu'il n' y pas de vérité et donc comment prétendre qu' on a raison de leur donner à tous raison !

Commentaires

1. Le mardi 12 septembre 2006, 04:54 par Climaticus
Et que dire si l' on pense que la vérité est un concepte inventé pour répondre à un désir inné de conciliation du scepticisme humain (c'est à dire du doute) avec l'expérience consciente (c'est à dire réfléxive) du monde?

Dans ce cas la vérité serait une sorte de mensonge nécessaire et pas un concepte qu'on peut accépter ou refouler quand l'on veut. Par contre, la nature de la vérité serait comprise. Ce serait tout simplement un idéal philosophique de connaissance absolue de tout.
D'aprés cette explication l'on pourrait pas dire que je détient la vérité, mais tout simplement que je comprend une nécessité humaine.

Aprés tout, la lecture de la philosophie peut nous réveler d'autres choses que la vérité. Elle peut nous expliquer par exemple l'attitude et le comportement des hommes face aux inquiétudes existencielles, ou peut nous aider à distinguer la multiplicité des formes que peut prendre l'expérience du monde dans l'imaginaire humain et la multipliciter des comportements des sociétés humaines.
La philosophie nous aide à comprendre par le mécanisme de la réflection et l'imagination le propre mécanisme de la réflection et de l'imagination.

Ne serait-ce pas la philosophie la meilleure méthode psychologique pour connaître l'âme humaine? Ne serait-ce peut être pas la seule?

mardi 11 octobre 2005

Digression n°3 : de qui dépend le bonheur ?

Elien, sophiste grec qui enseigna la rhétorique à la fin du IIème siècle, rapporte dans ses Histoires variées qu' "on ne vit jamais., dit-on, Anaxagore de Clazomènes rire ni même ébaucher un sourire." Il semble sur ce point avoir déteint sur son élève Euripide, si l'on en croit Alexandre d'Étolie, poète alexandrin du IIIème siècle avant J.C:
"L'élève sérieux du noble Anaxagore Se refusait à rire et même à plaisanter Après un coup à boire" (cité par Aulu-Gelle, Nuits attiques, XV, 20)
Cette impassibilité ne sera guère imitée par la postérité. Même les stoïciens ne condamneront le rire que s'il est emporté et traduit donc une perte de la maîtrise de soi. Epictète écrit dans le Manuel:
" Que le rire ne soit pas prolongé, ni à tout propos, ni sans retenue" (33, 4, trad. Hadot)
Le stoïcien rira à l'occasion d'une plaisanterie de bon goût ou par moquerie, mais la bonne, celle qui indique le bon chemin à celui dont on se moque. Quant à l'épicurien, je l'imagine mal ne pas rire avec ses amis, même si c'est plus difficile de préciser de quoi les épicuriens peuvent rire entre eux. D'eux-mêmes, quand l'un se laisse aller à glisser vers la foule ? Le rire encore comme douce et aimable correction. Des égarés ? Peut- être, à condition que ce rire soit pur de toute haine et de tout mépris. Les cyniques, eux, je les entends rire d'ici, de ce rire ravageur et forcé par lequel ils signalent à la cantonnade les tares qu'ils dénoncent ou se glorifient des comportements excentriques dont les autres se gaussent. Restent les sceptiques. Ils rient comme tout le monde, avec l'arrière-pensée que ce n'est pas drôle dans l'absolu mais qu'ils n'ont finalement pas de bonnes raisons de ne pas rire. C' est un rire qui s'éteint vite car ils ne se racontent pas d'histoire sur le risible. Ils savent trop bien que ce n'est qu'une affaire de perspective.

dimanche 2 octobre 2005

Digression n°2 : qu'est-ce qu'un philosophe ?

C'est encore un internaute aux abois qui me donne aujourd'hui l'occasion de cette seconde digression. Un certain usage dans les lycées et collèges veut qu'on appelle "historiens" les professeurs d'histoire, "naturalistes" les professeurs de SVT etc. Si c'est flatteur pour les enseignants concernés, c'est tout de même généralement faux. Un historien est celui qui écrit des livres d'histoire et non celui qui transmet les connaissances historiques à partir d'eux. Faut-il donc en conclure que c'est abusif aussi d'appeler philosophe un professeur de philosophie ? Mais qu'est-ce qu'un philosophe ? Si étymologiquement c'est quelqu'un qui aime la sagesse et s'efforce d'y tendre, aujourd'hui une telle définition pourrait éveiller sinon un rire franc, du moins une ironie soutenue. La tranquillité de l'âme (ataraxia) n'est-elle pas, dira-t-on, une valeur archaïque qui correspondrait à une conception démodée de l'esprit ? Après Freud, que vaudrait Epictète ? Je ne partage pas cette opinion qui renvoie aux curiosités historiques l'amour de la sagesse mais faut-il pour autant penser que seuls les professeurs de philosophie sont en ce sens philosophes ? Croyez-moi ! On doit être bien éloigné de la corporation pour ne serait-ce que poser la question sans pouffer de rire. On pensera plutôt que le métier d'enseignant de philosophie n'est ni une condition suffisante ni une condition nécessaire d'une vie sage. Sera philosophe en ce sens-là toute personne qui prend la vie avec philosophie. On voudra dire avec mesure et détachement, sans trembler et sans espérer ridiculement non plus. Bien sûr cette manière de vivre sent son stoïcien ou son épicurien, mais l'expérience semble prouver qu'il n'est pas utile d'avoir lu les oeuvres pour vivre comme ces modèles. Cependant il semble quand même qu'on ne pourrait dire d'un indifférent né qu'il est philosophe. Il faut qu'on sente sinon le training, du moins une résistance vaincue, celle des élans et des fièvres. Ainsi donc les philosophes ne sont pas nécessairement à l'école, en tout cas pas toujours du côté des maîtres qui peuvent même quelquefois prendre des leçons en regardant certains de leurs élèves... Il y a toutefois une autre définition de philosophe: on désigne ainsi l'auteur d'une oeuvre philosophique, quelle que soit la vie menée. Bien sûr la difficulté est alors de cerner ce qu'on appelle une "oeuvre philosophique". Les professeurs de philosophie nommeront "oeuvre philosophique" un ensemble de textes qui décrivent sous un jour nouveau la réalité humaine dans sa totalité. L'innovation sera non seulement la formulation de thèses inédites et donc généralement mal comprises par les contemporains, enclins à parler de l'homme comme en parlaient les philosophes d'avant, mais aussi la mise en avant de concepts qui seront quelques mots (nouveaux ou anciens) auxquels le philosophe donne un sens bien à lui, même si sa finalité est de rendre compte de ce que sont les hommes en réalité. Ainsi défini, le philosophe est majeur (Platon, Descartes, Kant etc - ce sont des philosophes qui ont été, sont ou seront un jour au programme des concours permettant de devenir professeur de philosophie) ou mineur (Gabriel Marcel, Jules Lequier, Maine de Biran etc - ce sont des philosophes qu'on mentionne moins souvent en cours, mais auxquels on consacre moult thèses et articles). Le critère qui départage les uns et les autres est généralement l'impact de l'oeuvre sur la postérité. En ce sens, les professeurs de philosophie sont rarement des philosophes, même si les philosophes contemporains sont quasi toujours des enseignants. Ceci dit, les professeurs de philosophie sont, comme les philosophes dont je viens de parler, des chercheurs de vérité. Le cours qu'ils écrivent correspond à une entreprise de clarification qui mobilise leur culture dans le but d'apporter non seulement une connaissance mais aussi une élucidation des problèmes philosophiques. A l'image des philosophes (petits et grands), ils travaillent à partir d'un héritage de problèmes, de thèses et de concepts dans lequel ils introduisent un ordre qui vise à l'universalité même s' il se transforme avec la vie, les lectures, les échanges et aussi les questions des élèves. Ce n'est donc pas pure flatterie de donner au professeur de philosophie le titre de philosophe. Plagiant un méchant titre d'un livre autrefois consacré à rabaisser Albert Camus, on dira de tout professeur de philosophie qu'il est un philosophe pour classes terminales. Et ce n'est pas rien.

jeudi 29 septembre 2005

Digression n°1: quel est le premier philosophe ?

Je lis de temps en temps la liste des mots par lesquels, via Google, les internautes arrivent sur mon blog. Il se trouve qu'un d'entre eux cherchait à se renseigner sur "le premier philosophe". Ce qui me donne l'idée de l'éclairer même s'il est probable que dans ce gigantesque libre-service gratuit qu'est Internet ce client ne revienne jamais se servir à mon rayon... On dit quelquefois en classe que le premier philosophe est Platon en s'appuyant sur le fait que c'est seulement dans son oeuvre que la philosophie apparaît pour la première fois sous son nom grec "philosophia". On disait dans les vieux manuels, en faisant confiance au témoignage de Cicéron, que le premier philosophe était Pythagore. Mais aucun texte n'appuie ce dire. Bien sûr l'attribution de la paternité à Platon est bien contestable car d'abord Platon présente Socrate, son maître, comme étant l'incarnation même de la philosophie. Cependant rien n'autorise à affirmer que le Socrate platonicien est conforme au Socrate historique (Platon n'est pas le premier historien !); et puis il y a d'autres Socrate qui concurrencent le personnage platonicien: ceux de Xénophon et d'Aristophane... Ensuite l'usage veut qu'on appelle philosophes les penseurs pré-socratiques même si, semble-t-il, ils ne se sont pas désignés ainsi. L' embarras redouble au moment de réaliser que parmi ces philosophes certains sont traditionnellement appelés des sages comme Thalès par exemple. Ce qui complique en plus la tâche, c'est que ces présocratiques ont des dates de naissance et de mort très indéterminées. Plus radicalement, on peut penser que la question est mal posée et qu' il n'y a pas plus de premier philosophe que de premier homme. Je serais plutôt enclin à penser la philosophie comme étant née au sein d' un milieu, dans le cadre de discussions sur la valeur des textes homériques, entre autres. Ceci dit, on ne croit plus à l'opposition entre des textes mythologiques et irrationnels d'un côté comme la Cosmogonie d'Hésiode et de l'autre des textes philosophiques et rationnels comme les Dialogues de Platon. Ainsi Cornélius Castoriadis dans un de ses séminaires me paraît avoir été à la recherche de la philosophie d'Homère. Doit-on s'en tenir à dire alors que les premiers philosophes sont grecs ? Est-ce seulement dans cette partie de la Méditerrannée entre le 7ème et le 5ème que s'élabore cette discipline plus que bi-millénaire qu'est la philosophie ? Pour défendre une telle position, il est ordinaire de soutenir qu' en Inde, en Chine et ailleurs, la réflexion ne s'est pas dégagée de la gangue de la théologie. Pourtant, si l'on prend connaissance de la richesse des controverses conceptuelles qui sont nées par exemple du bouddhisme, on n'y trouve guère de références à la parole révélée. d'autant moins que Bouddha dit explicitement s'adresser à l'intelligence de ceux qui l'écoutent. Certes ces penseurs ne s'appelaient pas philosophes mais si l'on n'appelle pas automatiquement philosophe toute personne qui se croit telle, pourquoi donc ne pas donner le nom de philosophe à des hommes qui ne se pensaient pas comme tels ? Les musées ne sont-ils pas pleins d'oeuvres faites par des hommes qui n'étaient ni pour eux-mêmes ni pour les autres des artistes ? Une telle extension de la philosophie au-delà des limites européennes n'entraîne pas à identifier tout homme qui pense à un philosophe. Cependant les délimitations classiques et scolaires entre science, théologie, philosophie et littérature restent tout de même assez conventionnelles et fragiles. Résumons: il n'y a pas eu de premier philosophe mais tous les hommes ne sont tout de même pas philosophes.

Commentaires

1. Le mercredi 5 décembre 2007, 10:20 par piwo
ça dépend effectivement de ce qu'on entend par philosophe, philosophie, philosopher... ; si on prend philosophe au sens "occidental" du mot, et si on élimine ceux dont l'oeuvre n'est que fragments +/- douteux (Anaximandre, etc.), alors je dirais Héraclite.