" Demander aux citoyens démocratiques de laisser au vestiaire leurs convictions morales et religieuses au moment d'entrer dans l'espace public peut apparaître comme un moyen sûr de garantir tolérance et respect mutuels dans la discussion. En pratique cependant, l'inverse peut être vrai. Traiter d'importantes questions publiques tout en prétendant le faire dans des conditions de neutralité qui ne peuvent pas être obtenues est le meilleur moyen de s'assurer des retours de bâton et du ressentiment. Le politique vidé de tout engagement moral substantiel entraîne un appauvrissement de la vie civique. C'est aussi la porte ouverte aux moralismes étriqués et intolérants. Les fondamentalistes appuient fortement là où les libéraux craignent d'avoir la main trop lourde." (Michael J.Sandel, Justice, Albin Michel, 2016, p.357)
Commentaires
Le fondamentalisme vient d’abord de la déculturation du religieux, qui est porteuse de violence symbolique susceptible de se transformer en violence réelle. [...] La laïcité française n’arrange pas les choses, non pas à cause de sa pratique autoritaire, mais parce qu’elle participe de la déculturation du religieux en refusant sa pratique publique."
source : http://cjpp5.over-blog.com/2016/07/...
Éthicien de la vertu, Sandel défend la valeur d'une politique de la vertu, d'un Droit positif vertueux. Prendre en compte aussi les religions (et pas seulement les réflexions philosophiques) dans "une politique de l'engagement moral" n'est pas justifié par un souci de n'exclure aucune culture mais par l'effort de déterminer avec les religions la vie bonne, qu'il comprend de manière absolutiste mais aussi faillibiliste, en dehors de tout relativisme culturaliste mais aussi en dehors de tout intérêt pour une restauration, fût-elle aristotélicienne.
Voici les presque dernières lignes du livre :
Je crois qu'à cette question l'on peut répondre non. Il nous faut cependant pour cela une vie civique plus dense et plus engagée que celle à laquelle nous nous sommes accoutumés. Au cours des dernières décennies, nous en sommes venus à supposer que c'est respecter les convictions morales et religieuses de nos concitoyens que de les ignorer (au moins à des fins politiques) afin de ne pas les perturber et de conduire notre vie publique - autant que possible sans s'y référer. Mais cette attitude d'évitement traduit une forme de respect trompeuse. Souvent elle implique la suppression du désaccord moral plus que son évitement. Cela peut entraîner des retours de bâton et nourrir le ressentiment."
Pas clair que l'Islam ait atteint ce niveau , et puisse faire le même chemin, et c'est tout le problème.
En revanche, dans un monde sécularisé, le croyant aura du mal dans des décisions quant aux rapports entre les sexes, quant à la vie et la mort, etc.
Pourquoi devrait il renoncer à sa morale religieuse ?
Le croyant qui fait semblant n'est juste qu'un absolutiste prudent, convaincu dans son for intérieur que la bonne politique devrait se subordonner aux normes et valeurs religieuses. Le croyant sincèrement laïque navigue, comme le dit encore Bouveresse. entre un point de vue "engagé" qui s'exprime dans sa vie privée et un point de vue "désengagé" où il se voit occupant parmi les autres un point de vue parmi d'autres (voir sa religion de ce point de vue "désengagé" fait d'ailleurs courir le risque de n'y voir qu'une tradition culturelle, à laquelle on tient seulement par conditionnement social).