Dans le Ménon de Platon, Socrate s'entretient avec un jeune esclave et par un jeu de questions habilement posées réussit à lui faire résoudre un problème géométrique. De cet accouchement inattendu, on retire l'idée que tout homme, bien interrogé, a suffisamment de raison pour découvrir des vérités universelles. Ce Socrate-là semble ainsi annoncer la confiance stoïcienne en chaque homme en tant qu'il est, malgré ses passions et ses enracinements particuliers, apte par sa raison à les dépasser et à s'entendre donc avec tout autre. Rien à voir avec ce que suggère cette phrase inattendue de Diogène Laërce:
" A l'égard de la masse de ceux qui ne méritent pas pas qu'on parle d'eux, il disait que ce serait pareil, si quelqu'un, rejetant comme fausse monnaie un unique tétradrachme, acceptait comme de bon aloi le tas fait de la même monnaie." (II, 34, trad. Michel Narcy)
Ce qui d'abord saute aux yeux, c'est que Socrate disqualifie une partie du genre humain, celle composée d'hommes sans valeur aucune. Je ne me souviens pas d'avoir lu dans les dialogues un seul passage d'une telle brutalité, même si la critique de certaines manières de vivre entraîne ipso facto celle de certains hommes. Sans doute à cause de la référence à la fausse monnaie (cf la note du 25-02-05), je pense immédiatement au mépris ostentatoire des cyniques à l'égard de ceux qui, par leurs conduites, ne méritent plus d'après eux le nom d'hommes. Mais ce passage de Diogène Laërce n'a pas comme seul intérêt de mettre dans la bouche de Socrate une position cynique. Il est aussi un remède contre l'effet que peut produire sur l'esprit du philosophe les opinions défendues par la foule. Il part en effet de la vulnérabilité à la bêtise et à l'gnorance quand celles-ci sont massivement défendues. Le problème se pose alors ainsi: comment garder la tête froide quand on défend une position condamnée par la foule ? Pour le résoudre, Socrate propose ici de se représenter la foule comme une série d'individus. La décomposition imaginaire de cette foule compacte et pour cela dangereuse redonne des forces par la conscience que l'on prend alors de la faiblesse indubitable de chacun de ses composants. Ce fut en effet un souci de ces philosophes antiques non seulement d'éduquer l'ignorant mais aussi de se protéger de la contamination multitudinaire. En particulier Epicure prodiguera différents conseils à cette fin, dont le plus connu est de s'entourer d''un groupe d'amis pour, grâce à cette densité affectueuse et intelligente, annihiler l'effet dangereux que produirait l'ensemble des insensés. Socrate propose une autre voie: afin de battre l'armée de la bêtise, se rappeler qu'on a facilement le dessus sur chacun de ses soldats.
Commentaires
Est-il intilligent
Quant à son intelligence, elle n'est jamais mise en doute !