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jeudi 31 janvier 2013

Dans Que peut-on faire de la religion ? (2011), Jacques Bouveresse, en écho à Charles Taylor dans L'âge séculier (2007), définit le croyant naïf comme celui pour qui l'espace de sa religion coïncide avec l'espace de la religion et plus largement celui de la spiritualité. Le croyant "désengagé" comprend qu'il n'a le monopole ni de l'authentique religion ni de la vraie morale. Or, il se trouve qu' Henri Brémond ouvre son Histoire littéraire du sentiment religieux en France (1924) par une anecdote dans laquelle s'exprime la croyance naïve par excellence, mais le plaisant y est la douceur du dialogue, précisément due à la naïveté, du chrétien comme du bouddhiste : " Un des ouvriers de la première entente cordiale entre la France et le roi de Siam, le missionnaire Bernard Martineau, désireux de connaître à fond "les livres et fables de la religion siamoise", avait pris pension dans une pagode de talapoins, à Ténassérim. Comme chacun sait, les talapoins sont les moines de ce pays-là. Les bonnes gens l'avaient reçu avec amitié et le supérieur lui-même s'était chargé de l'instruire. "Lorsque ce vieux me donnait leçon, raconte Martineau, et m'expliquait des fables qui sont du moins aussi ridicules ou davantage qu'aucune des anciens païens, il était assez simple de croire que j'y donnais foi, parce qu'à la vérité je l'écoutais avec attention et ne lui répugnais en rien, pour ne le pas détourner de me découvrir toutes ces mystérieuses superstitions. Voyant que je m'appliquais à l'étude de ses livres, il me disait souvent une chose qui me donnait bien sujet de rire . " Écoutez, me disait-il, voulez-vous que je vous dise pourquoi vous vous appliquez avec tant de zèle et d'affection à l'étude de la langue et des livres de Siam ? C'est qu'anciennement vous avez été siamois et habile homme dans l'intelligence de tous ces livres, et il est demeuré en vous un petit reste et comme une certaine réminiscence de ce que vous avez été premièrement, qui a fait que d'abord vous êtes arrivé dans ce royaume et que vous avez entendu la langue et vu les livres, vous avez été réveillé comme d'un assoupissement ; vous étiez un esprit éperdu et poussé par une inclination enracinée, forte et secrète vers une chose que vous aviez autrefois cultivée". il ajoutait qu'étant siamois et grand docteur, j'avais fait quelque petit péché par châtiment duquel j'étais tombé à naître français, mais qu'enfin je devais me consoler dans mon bannissement, puisque, étant fini par la mort, je renaîtrais une autre fois siamois et deviendrais un grand roi."

Dans Que peut-on faire de la religion ? (2011), Jacques Bouveresse, en écho à Charles Taylor dans L'âge séculier (2007), définit le croyant naïf comme celui pour qui l'espace de sa religion coïncide avec l'espace de la religion et plus largement celui de la spiritualité. Le croyant "désengagé" comprend qu'il n'a le monopole ni de l'authentique religion ni de la vraie morale.
Or, il se trouve qu' Henri Brémond ouvre son Histoire littéraire du sentiment religieux en France (1924) par une anecdote dans laquelle s'exprime la croyance naïve par excellence, mais le plaisant y est la douceur du dialogue, précisément due à la naïveté, du chrétien comme du bouddhiste :
" Un des ouvriers de la première entente cordiale entre la France et le roi de Siam, le missionnaire Bernard Martineau, désireux de connaître à fond "les livres et fables de la religion siamoise", avait pris pension dans une pagode de talapoins, à Ténassérim. Comme chacun sait, les talapoins sont les moines de ce pays-là. Les bonnes gens l'avaient reçu avec amitié et le supérieur lui-même s'était chargé de l'instruire. "Lorsque ce vieux me donnait leçon, raconte Martineau, et m'expliquait des fables qui sont du moins aussi ridicules ou davantage qu'aucune des anciens païens, il était assez simple de croire que j'y donnais foi, parce qu'à la vérité je l'écoutais avec attention et ne lui répugnais en rien, pour ne le pas détourner de me découvrir toutes ces mystérieuses superstitions. Voyant que je m'appliquais à l'étude de ses livres, il me disait souvent une chose qui me donnait bien sujet de rire . " Écoutez, me disait-il, voulez-vous que je vous dise pourquoi vous vous appliquez avec tant de zèle et d'affection à l'étude de la langue et des livres de Siam ? C'est qu'anciennement vous avez été siamois et habile homme dans l'intelligence de tous ces livres, et il est demeuré en vous un petit reste et comme une certaine réminiscence de ce que vous avez été premièrement, qui a fait que d'abord vous êtes arrivé dans ce royaume et que vous avez entendu la langue et vu les livres, vous avez été réveillé comme d'un assoupissement ; vous étiez un esprit éperdu et poussé par une inclination enracinée, forte et secrète vers une chose que vous aviez autrefois cultivée". il ajoutait qu'étant siamois et grand docteur, j'avais fait quelque petit péché par châtiment duquel j'étais tombé à naître français, mais qu'enfin je devais me consoler dans mon bannissement, puisque, étant fini par la mort, je renaîtrais une autre fois siamois et deviendrais un grand roi."