Maupertuis réduit l'épicurisme et le stoïcisme à deux moyens distincts visant le même but : rendre la somme des biens supérieure à celle des maux. L'épicurisme pense atteindre cette fin en augmentant la somme des biens, le stoïcisme en diminuant celle des maux. Or, vu que dans la vie ordinaire, les maux dépassent de loin les biens, la raison est naturellement du côté du stoïcisme. Il est sensé de chercher à affaiblir le pire quand il triomphe.
Maupertuis expose cette position dans le chapitre V de l'ouvrage qui est consacré au "système des Stoïciens". Ce chapitre est intéressant à plus d'un titre.
D'abord le fondateur Zénon n'est pas pensé par Maupertuis comme détenteur d'une vérité première qu'il faudrait retrouver mais comme le fondateur d'une secte dont la maturité se réalise et s'expose à travers Sénèque, Épictète et Marc-Aurèle :
Maupertuis expose cette position dans le chapitre V de l'ouvrage qui est consacré au "système des Stoïciens". Ce chapitre est intéressant à plus d'un titre.
D'abord le fondateur Zénon n'est pas pensé par Maupertuis comme détenteur d'une vérité première qu'il faudrait retrouver mais comme le fondateur d'une secte dont la maturité se réalise et s'expose à travers Sénèque, Épictète et Marc-Aurèle :
" Ce n'est dans l'origine d'aucune secte qu'on trouve les dogmes les plus raisonnables, ni les mieux digérés."
Vue cette idée du temps comme maturation, c'est sans surprise qu'on apprend que Marc-Aurèle, le dernier chronologiquement, est aux yeux de Maupertuis le premier philosophiquement. Cependant c'est moins à sa position dans le temps qu'à sa nature que Marc-Aurèle doit sa supériorité. Sénèque, courtisan, et Épictète, esclave, ont eu un stoïcisme, que j'appellerais anachroniquement réactif : cette philosophie est pour eux une "ressource" comblant un "besoin". La philosophie de Marc-Aurèle, au sommet du pouvoir, n'est plus une pensée, compensatrice de l'impuissance sociale, mais une connaissance, indice de lucidité :
" Il vit que tous ces biens n'étaient qu'illusions."
Il faut donc opposer un stoïcisme de l'art et du besoin (Sénèque,Épictète) à un stoïcisme de la nature (Marc-Aurèle). L'art est à son maximum dans l'oeuvre de Sénèque mais l'oeuvre est dispersée et ne fait figure que d'"exposition" d'un "système" que Maupertuis curieusement estime présenté le plus complètement dans le Manuel. " Ferré et méthodique ", l'Enchiridion est sans doute le texte qui par sa forme ressemble le plus à l'Essai de Maupertuis (qui parle aussi bien de sa sécheresse que de celle d'Épictète). Le scientifique philosophe qui a condamné les titres " multipliés " de l'oeuvre de Sénèque, juge en tout cas que si Épictète perd en art et gagne en force, ce n'est pas dans les Entretiens, "négligés et diffus", que la pensée stoïcienne se manifeste au mieux.
Mais quel est l'apport de Marc-Aurèle si Épictète a déjà présenté exemplairement la théorie ? C'est l'excellence morale qu'il apporte à la secte, il semble en effet être aux yeux de Maupertuis ce qu' un être humain peut être de mieux moralement quand ses qualités sont strictement naturelles, c'est-à-dire quand la philosophie chrétienne ne l'a pas encore éclairé :
Mais quel est l'apport de Marc-Aurèle si Épictète a déjà présenté exemplairement la théorie ? C'est l'excellence morale qu'il apporte à la secte, il semble en effet être aux yeux de Maupertuis ce qu' un être humain peut être de mieux moralement quand ses qualités sont strictement naturelles, c'est-à-dire quand la philosophie chrétienne ne l'a pas encore éclairé :
" La Nature forma Marc-Aurèle philosophe et éleva son coeur à une perfection à laquelle les lumières seules ne pouvaient le conduire."
Ce stoïcisme que Marc-Aurèle exemplifie au mieux moralement n' est clairement pour Maupertuis rien de plus que la connaissance rationnelle des règles de la vie heureuse. Faisant une lecture somme toute épicurienne du stoïcisme, Maupertuis voit la vertu non comme la fin mais comme le moyen du bonheur. Ces règles peuvent se diviser en deux selon que la vie heureuse est compatible ou non avec la survie :
" (...) se rendre maître de ses opinions et de ses désirs ; anéantir l'effet de tous les objets extérieurs ; enfin (...) se donner la mort si on ne peut se donner la tranquillité qu'à ce prix."
Maupertuis me paraît donner au suicide une place exagérément centrale par rapport aux textes auxquels il se réfère. Mais c'est cette fonction libératrice de la mort découverte par la raison de tout homme qui permet d'unir au-delà de la philosophie tous les hommes dans une forme de sagesse à la fois primitive et universelle. Débordant l'Europe et ses élites philosophes, indépendamment des fonctions sociales, prestigieuses ou non, la raison humaine, quand elle n'est pas éclairée par le christianisme, conduit tout homme à la solution du suicide si les circonstances extérieures réduisent à la vie à n'être plus qu'une somme croissante de maux. C'est en hédoniste calculateur que Maupertuis fait l'éloge du suicide stoïcien :
" (...) il est évident qu'il n'y a ni gloire ni raison à demeurer en proie à des maux, auxquels on peut se soustraire par une douleur d'un moment."
Mais le stoïcisme a de nettes insuffisances aux yeux de Maupertuis quand on prend en compte ce que nous appelons sa physique, précisément ses conceptions du divin et de l'âme. Nous verrons en quoi ce texte philosophiquement hétérogène est aussi un texte d'inspiration chrétienne.