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samedi 5 juillet 2014

Xenophantos et la perte bénigne de la maîtrise de soi.

Au fond je ne sais pas vraiment à qui je me réfère en mentionnant Xenophantos.
Certes, à près de 3 siècles de distance, Aristote dans l' Ethique à Nicomaque et Sénèque dans son traité sur la colère (De ira) mentionnent ce même nom mais associé à deux anecdotes distinctes (qui ont tout de même, on va le voir, quelque chose en commun).
Xenophantos, semble-t-il, n'est pas un être fictif. Dans le texte aristotélicien (1150 b 5-15), il est en effet nettement distingué de Philoctète et de Cercyon, à propos desquels Aristote précise qu'il s'agit de personnages créés par respectivement Théodecte et Carcinos. Quant à Sénèque, il présente clairement Xenophante dans le cadre d'une anecdote historique.
C'est dans l' analyse aristotélicienne distinguant l' acrasie (ακρασία) - l' intempérance dans la traduction de Jules Tricot - de la tempérance (σωφροσύνη), que Xenophantos exemplifie un type de comportement : celui de l'homme qui pouffe de rire après avoir tenté en vain de se retenir. La banalité de la situation jure d'ailleurs avec les deux autres exemples pris antérieurement par Aristote : en effet Philoctète échoue à supporter une morsure de vipère et, c'est bien pire, Cercyon se tue à l'idée qu'il est déshonoré par l'adultère de sa fille. Par rapport à eux, Xenophantos fait donc une entrée plate et quasi insignifiante dans le monde des exempla.
Mais que nous dit de lui le texte de Sénèque ? D'abord rien n' assure qu'il s'agit du même homme et pas d'un homonyme. C'est en tout cas du point de vue de Sénèque un contemporain d' Alexandre, ce dernier étant cette fois le personnage principal de l'anecdote : il représente, lui, quelque chose d'universellement humain, l'émotion (motus) immédiate et incontrôlable, commune à l'homme et à l'animal, ce que Sénèque appelle, dans la traduction de l'édition de Paul Veyne, "le prélude des passions" (principia proludentia adfectibus) :
" C'est ainsi qu'un vieux soldat, devenu civil, tressaille en pleine paix au son de la trompette et que les chevaux de troupe dressent la tête au bruit des armes." (p.128)
Sénèque ajoute alors un dernier exemple :
" On raconte qu'Alexandre, écoutant chanter Xenophante, mit la main à l'épée. "
On voit désormais le point commun aux deux anecdotes : il y est question de passivité irrésistible mais innocente moralement ; si dans le texte d'Aristote, c'est Xenophantos qui en est victime, dans le texte de Sénèque c'est lui qui la cause chez Alexandre.
Enfin c'est en dehors de tout enseignement philosophique que je trouve dans les textes anciens la dernière mention de ce nom, Xenophante. On la doit à Plutarque, 50 ans à peu près après Sénèque, dans sa vie de Démétrius. Plutarque y raconte dans la dernière page les funérailles grandioses de Démétrius Ier Poliorcète. Voici le texte dans la traduction d'Amyot :
" (...) Xenophante, le plus excellent musicien qui fût de ce temps-là, étant assis auprès sonnait de la flûte un chant très dévot et piteux, auquel se rapportant le mouvement des rames et de la vogue, le son venait avec quelque grâce à se rencontrer, comme en un convoi, où les lamentants se battent les poitrines à la cadence de chaque couplet de la chanson."
Ces funérailles ayant eu lieu en - 383, près de 30 ans avant la naissance d'Alexandre, on peut se demander si ce Xénophante-là, au demeurant aulète et non plus chanteur, est le même homme que celui qui produisit l'émotion colérique du fils de Philippe. De toute façon, qu'il soit le même ou non, il n'est plus question, dans ce dernier texte, de passivité inopportune. L'art de Xenophante, visant à engendrer pitié et respect, est en harmonie avec les lamentations rituelles. Ici la musique ne fait plus sortir quiconque de ses gonds.