Ayant lu les divers passages que Sénèque a consacrés à Auguste, on ne sait trop que penser de l'empereur. Montaigne, qui avait beaucoup lu Sénèque, en dresse aussi un portrait assez hétéroclite. Certes les premières lignes qu’il lui réserve sont dévastatrices pour le personnage, dont elle font un fou dévoré par la démesure :
« Augustus Cesar, ayant esté battu de la tampeste sur mer, se print à deffier le Dieu Neptunus, et en la pompe des jeux Circenses fit oster son image du reng où elle estoit parmy les autres dieux, pour se venger de luy. En quoy il est encore moins excusable que les precedens, et moins qu’il ne fut depuis, lors qu’ayant perdu une bataille sous Quintilius Varus en Allemaigne, il alloit de colere et de desespoir, choquant se teste contre la muraille, en s’écriant : Varus, rens moy mes soldats. Car ceux là surpassent toute follie, d’autant que l’impiété y est joincte, qui s’en adressent à Dieu mesmes, ou à la fortune, comme si elle avoit des oreilles subjectes à nostre batterie, à l’exemple des Thraces qui, quand il tonne ou esclaire, se mettent à tirer contre le ciel d’une vengeance titanienne, pour renger Dieu à raison, à coups de flesche. » (Livre I, III)
Mais l’intéressant est surtout que Montaigne a pris Auguste comme exemple même de l’homme qu’on échoue à connaître. Voici le contexte : dans le premier chapitre du deuxième livre des Essais, De l’inconstance de nos actions, Montaigne explique que, confronté aux multiples aspects d'une personne, il semble justifié de relever les traits de caractère les plus ordinaires et d’en composer la personnalité de celui qui nous intéresse. Mais Montaigne accuse « les bons autheurs mesmes (…) de s’opiniastrer à former de nous une constante et solide contexture » et de nous taxer d’hypocrisie quand nous ne nous comportons pas conformément à la personnalité fabriquée, en réalité bien arbitrairement attribuée. Il y a cependant un homme dont les biographes n’ont jamais pu composer ainsi un caractère déterminé et fixe :
« Auguste leur est eschappé : car il se trouve en cet homme une varieté d’actions si apparente, soudaine et continuelle, tout le cours de sa vie qu’il s’est faict lâcher, entier et indecis, aux plus hardis juges. »
Cette indétermination du caractère d’Auguste, on la retrouve de manière très latérale dans le premier des Nouveaux dialogues des morts où Fontenelle fait converser les anciens avec les modernes. Bien sûr l’ancien est Auguste et le moderne est Pierre Arétin. Au centre de cette rencontre, une interrogation sur l’éloge, plus précisément celui rendu par un écrivain au grand homme qui lui donne une pension. L’Arétin multiplie les arguments destinés à privilégier la satire par rapport à la louange. Un d’entre eux porte précisément sur l’impossibilité de faire l’éloge d’une personne tout entière quand précisément elle a des traits contradictoires : ainsi Auguste a été vengeur et clément à des moments différents de sa vie.
« Je gage, par exemple, que quand vous vous vengiez impitoyablement de vos ennemis, il n’ y avoit rien de plus glorieux, selon toute votre Cour, que de foudroyer tout ce qui avait la témérité de s’opposer à vous ; mais qu’aussitôt que vous aviez fait quelqu’action de douceur, les choses changeoient de face, et qu’on ne trouvoit plus dans la vengeance qu’une gloire barbare et inhumaine. On louoit une partie de votre vie aux dépens de l’autre. Pour moi, j’aurois craint que vous ne vous fussiez donné le divertissement de me prendre par mes propres paroles, et que vous ne m’eussiez dit : Choisissez de la sévérité ou de la clémence, pour en faire le vrai caractère d’un Héros ; mais après cela, tenez-vous-en-à-votre-choix. »
Tout se passe comme si l’Arétin, instruit par une précédente conversation aux Enfers avec Montaigne, ne voulait pas imiter ceux qui fabriquent artificiellement un caractère en prenant une partie pour le tout. Visiblement Pierre Arétin ne voit pas qu’une solution consisterait à faire l’éloge de la capacité d’adaptation de son héros aux circonstances (mais sa cécité est compréhensible, Machiavel ne hantant pas les Enfers…).
Auguste, en revanche, s’approche de la solution en répondant :
Auguste, en revanche, s’approche de la solution en répondant :
« Quoi qu’ils fassent, ils ne peuvent manquer d’être loués ; et s’ils le sont sur des choses opposées, c’est qu’ils ont plus d’une sorte de mérite. »
Mais l’Arétin a bien d’autres critiques à faire aux louanges.
L’une est économique : la satire est davantage rémunératrice car tous les grands hommes agissant de travers, ils paieront pour ne pas être visés par elle. En revanche, vue l’hostilité régnant entre les grands hommes, l’éloge de tous ne plaît à personne et celui de quelques-uns rend ennemi de tous les autres.
L’autre critique est morale : l’éloge qui doit être appuyé pour tenter de plaire va avec le mépris de celui à qui il est destiné. Exemple : comment Virgile pouvait-il donc dire d’Auguste qu’on ignorait si, devenu dieu, il choisirait de régenter la mer, le ciel ou la terre?
Réponse d’Auguste, bon moraliste : le grand a trop d’amour-propre et de vanité pour ne pas croire justifié l’éloge même excessif, une fois qu’il l’a interprété de façon à le rendre crédible.
L’une est économique : la satire est davantage rémunératrice car tous les grands hommes agissant de travers, ils paieront pour ne pas être visés par elle. En revanche, vue l’hostilité régnant entre les grands hommes, l’éloge de tous ne plaît à personne et celui de quelques-uns rend ennemi de tous les autres.
L’autre critique est morale : l’éloge qui doit être appuyé pour tenter de plaire va avec le mépris de celui à qui il est destiné. Exemple : comment Virgile pouvait-il donc dire d’Auguste qu’on ignorait si, devenu dieu, il choisirait de régenter la mer, le ciel ou la terre?
Réponse d’Auguste, bon moraliste : le grand a trop d’amour-propre et de vanité pour ne pas croire justifié l’éloge même excessif, une fois qu’il l’a interprété de façon à le rendre crédible.
Commençant par une attaque en règle contre les panégyriques, le dialogue se termine finalement plutôt modérément car deux types d’éloge gardent leur valeur : celui qui est ratifié par la postérité et celui qui est adressé à quelqu’un dont on ne dépend pas.