1)Euryloque : de ce « disciple illustre », Diogène Laërce ne rapporte qu’une anecdote :
« On dit en effet qu’un jour il se mit dans une telle colère que, brandissant la broche avec le rôti, il poursuivit le cuisinier jusque sur la grand-place. » (IX, 68)
D’Euryloque il reste donc cette « défaillance » qui m’évoque immédiatement la fureur du capitaine Haddock ! Manque seulement le chapelet de jurons. C’est rare de lire dans les Vies la description des échecs et des impuissances, car souvent le philosophe qui se montre apparemment en dessous de tout est au dessus de tous ! Mais il semble ici que c’est bel et bien l’idéale indifférence qui a du mal à s’installer dans l’apprenti sage. L’autre anecdote le concernant est d’interprétation moins facile :
« Une autre fois, à Elis, harcelé par les questions de ses interlocuteurs, il jeta son manteau à bas et traversa l’Alphée à la nage. Il était donc extrêmement hostile aux sophistes. » (IX, 69)
J’imagine qu’il ne s’agit pas ici d’une regrettable émotion mais d’une démonstration. C’est alors refuser de répondre (et non pas ne pas pouvoir). Euryloque, à ce moment-là, ne veut pas endosser le rôle du sophiste qui a réponse à tout et s’en enorgueillit. Il décide alors de mettre une rivière entre lui et ces encombrants interlocuteurs qui se sont trompés de philosophe. A moins que, comme le suggère Jacques Brunschwig, ce ne soit aussi un coup de folie! On n’aurait donc de ce célèbre disciple que la double illustration de son incapacité à vivre comme son maître. Pourquoi pas ? Cela rehausse la supériorité de Pyrrhon.
2) Philon d’Athènes : sur lui, rien que quelques mots:
« Il parlait le plus souvent avec lui-même » (ibid.)
Jacques Brunschwig écrit à ce propos que ce disciple « exagère les extravagances de son maître ». Si parler seul revient à mettre en doute pratiquement l’incertitude concernant autrui, ce serait en revanche seulement le fait de parler presque tout le temps de cette manière qu’on pourrait qualifier d’extravagant, comme si Philon ne savait pas imiter son maître avec mesure, respectant partiellement la lettre de sa conduite sans en comprendre l’esprit.
2)Hécatée d’Abdère : à part son nom, rien cette fois, sauf cette note de Brunschwig, éclairée par d’autres sources :
« Erudit connu pour ses recherches historiques et critiques, peut-être destinées à faire ressortir la diversité des croyances humaines et la vanité des prétentions des philosophes » (1)
Je pense à Montaigne, à l’Apologie de Raymon Sebon (Essais Livre II, chapitre XII) et à ce passage, entre mille du même acabit :
« Il n’est point de combat si violent entre les philosophes, et si âpre, que celui qui se dresse sur la question du souverain bien de l’homme duquel, par le calcul de Varron, naquirent 288 sectes. » (p.561 éd. de la Pléiade)
Certes l’histoire encourage une certaine forme de scepticisme mais en aucune manière à mes yeux le pyrrhonisme qui détruit la possibilité même du récit historique en ne permettant pas de faire la distinction entre « raconter l’histoire » et « raconter des histoires » !
3)Nausiphane de Téos : pas grand-chose sur lui sinon qu’il a été le maître d’Epicure et qu’il rapporte que son disciple «émerveillé par le style de vie de Pyrrhon lui demandait continuellement des informations à son sujet » (IX, 64). Bien sûr cela paraît en contradiction avec les jugements que plus loin Diogène attribue à Epicure à propos du même Pyrrhon : il le qualifiait d’ « ignorant et sans éducation » (X, 8). Brunschwig aplanit ainsi la difficulté :
« Ce jugement, apparemment très péjoratif, pourrait ne pas l’être dans la bouche d’Epicure, qui était, comme les Pyrrhoniens, un ennemi déclaré de l’éducation traditionnelle et des connaissances superflues »
Certes mais ces jugements négatifs sont présentés tout de même dans un contexte où sans aucune ambiguïté Epicure disqualifie tous les rivaux. C’est ainsi qu’il règle son compte à Aristote : « un dilapideur qui, une fois dévoré son patrimoine, est devenu soldat et marchand de drogues » (ibid.) Aussi je fais l’hypothèse suivante : si Epicure admire l’indifférence de Pyrrhon, c’est en tant que conduite, sans l’associer aux raisons du scepticisme qui sont bien sûr irrecevables pour le dogmatique qu’il était. Le dernier disciple est Timon, mais celui-ci mérite une note à lui tout seul.
(1)Ajout du 17-10-14 : les 20 pages consacrées à cet écrivain par le Dictionnaire des philosophes antiques commandent presque d'écrire un nouveau billet tout à lui consacré...
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