Dans Traversée des ombres (2003), Jean-Bertrand Pontalis porte le jugement suivant sur l'allégorie de la caverne, présentée par Platon dans La République :
" Et comme elle m'a d'emblée séduit, dès ma classe de philosophie, l'allégorie de la caverne souterraine où les hommes qui y demeurent depuis l'enfance ne voient sur un mur que des ombres d'objets qui sont pour eux la réalité. Je devais être trop platonicien à l'époque ; je n'avais su qu'accompagner, admiratif, la délivrance des prisonniers, leur lente progression de la caverne vers la lumière, de l'ombre vers le soleil, du reflet, de l'image, vers l'idée. J'avais passé outre la souffrance des prisonniers prétendument libérés. Or c'est bien d'un arrachement d'une extrême violence qu'il est question, comme le fut peut-être notre arrachement de la caverne maternelle, comme l'est pour beaucoup l'arrachement brutal de nos rêves au profit, si l'on peut dire, de la seule réalité. Je lis : " Qu'on détache un de ces prisonniers, qu'on le force à se dresser soudain, à tourner le cou, à marcher, à lever les yeux vers la lumière, tous ces mouvements le feront souffrir et l'éblouissement l'empêchera de regarder les objets dont il voyait les ombres tout à l'heure.(...) Si on le forçait à regarder la lumière même, ne crois-tu pas que les yeux lui feraient mal et qu'il se déroberait aux choses qu'il peut regarder ? Et si on le tirait de là par la force, qu'on lui fît gravir la montée rude et escarpée et qu'on ne le lâchât pas avant de l'avoir traîné dehors à la lumière du soleil, ne penses-tu pas qu'il souffrirait et se révolterait d'être ainsi traité ?"
Douleur, révolte face à trop de lumière, à la lumière implacable. Un soleil qui éblouit, un soleil qui tue. Confrontés par force à l'idée pure, sans ombre, des philosophes, ne choisirions-nous pas plutôt de rester, comme les prisonniers, au plus près des ombres ?
Pourquoi instituer en principe absolu la séparation de la lumière et de l'ombre ? Sommes-nous voués à répéter la division originelle : "Dieu sépare la lumière et le noir, Dieu appelle la lumière le jour et nuit le noir" ? Je me refuse à séparer le jour et la nuit. La nuit n'est pas ténèbres et nos jours ne sont pas lumineux. J'ai toujours présent en moi ce titre de Sylvie Germain Le Livre des Nuits. Les plus beaux poèmes, les plus grands romans sont des enfants de la nuit, des enfants du silence aussi. C'est qu'ils transforment nos visions nocturnes en des mots qui ne le leur sont pas infidèles."
Douleur, révolte face à trop de lumière, à la lumière implacable. Un soleil qui éblouit, un soleil qui tue. Confrontés par force à l'idée pure, sans ombre, des philosophes, ne choisirions-nous pas plutôt de rester, comme les prisonniers, au plus près des ombres ?
Pourquoi instituer en principe absolu la séparation de la lumière et de l'ombre ? Sommes-nous voués à répéter la division originelle : "Dieu sépare la lumière et le noir, Dieu appelle la lumière le jour et nuit le noir" ? Je me refuse à séparer le jour et la nuit. La nuit n'est pas ténèbres et nos jours ne sont pas lumineux. J'ai toujours présent en moi ce titre de Sylvie Germain Le Livre des Nuits. Les plus beaux poèmes, les plus grands romans sont des enfants de la nuit, des enfants du silence aussi. C'est qu'ils transforment nos visions nocturnes en des mots qui ne le leur sont pas infidèles."
Certes, mais de tels mots ne parviennent à ce but que parce qu'ils font la lumière sur les phénomènes obscurs ! Peu importe l'objet de la connaissance, s'il y a connaissance, c'est parce que précisément on voit clairement et précisément la réalité en jeu...
Et puis le soleil platonicien non seulement ne tue pas mais ne brûle même pas. Il éclaire et engendre...
Par ailleurs la psychanalyse existerait-elle si Freud n'avait pas abordé en homme des Lumières des phénomènes mal connus ?
Quant au philosophe, il n'est pas celui qui ignore les ombres ! L'allégorie le met en évidence : il vise à faire voir l'ombre comme ombre, précisément à en acquérir et à en donner une connaissance vraie, lumineuse si possible.
Pour terminer, un seul prisonnier est libéré, ce qui n'est pas sans importance au sens où l'allégorie laisse penser ainsi qu'une personne libérée peut en libérer une autre mais échoue à en libérer plusieurs, et encore plus un grand nombre, comme le prouve la fin du texte où la masse emprisonnée se débarrasse de l'homme seul qui prétend les libérer tous.
En somme est-on jamais trop platonicien ?
Et puis le soleil platonicien non seulement ne tue pas mais ne brûle même pas. Il éclaire et engendre...
Par ailleurs la psychanalyse existerait-elle si Freud n'avait pas abordé en homme des Lumières des phénomènes mal connus ?
Quant au philosophe, il n'est pas celui qui ignore les ombres ! L'allégorie le met en évidence : il vise à faire voir l'ombre comme ombre, précisément à en acquérir et à en donner une connaissance vraie, lumineuse si possible.
Pour terminer, un seul prisonnier est libéré, ce qui n'est pas sans importance au sens où l'allégorie laisse penser ainsi qu'une personne libérée peut en libérer une autre mais échoue à en libérer plusieurs, et encore plus un grand nombre, comme le prouve la fin du texte où la masse emprisonnée se débarrasse de l'homme seul qui prétend les libérer tous.
En somme est-on jamais trop platonicien ?
Commentaires
d'en décider ! Il faut en effet ignorer ou oublier la gravité des formes les plus aiguës de cet effondrement mental pour se contenter de dire que, pour le déprimé, « les choses ne disent plus rien » ou, plus exactement, sont réduites à n'être que ce qu'elles sont, dans une sorte de platitude fonctionnelle bornée, sans aucune échappée métaphorique possible qui délivre la perception d'une routine anesthésiante. A moins d'utiliser la locution courante « ça ne me dit rien » comme expression du taedium vitae, pour décliner toute occupation proposée comme diversion, ce qui est aussi métaphorique et loin de la dépression mélancolique sévère.
Par ailleurs, si les choses étaient ainsi laissées à leur neutralité, on ne comprendrait pas comment le déprimé pourrait ressentir la moindre expérience de perception comme un écrasement, une oppression, voire un anéantissement de soi. Comment le ciel pourrait-il « peser comme un couvercle », s'il n'était que le ciel ? On objectera peut-être que c'est là l'image poétique de quelqu'un qui (re)trouve les mots adéquats pour décrire une expérience dont il est sorti et parce qu'il en est sorti. Mais en prononçant ou en écrivant les mots que la dépression lui a auparavant ôtés, il n'a aucunement l'impression de trahir l'expérience qu'ils tentent de décrire après-coup. D'autre part, si l'on se réfère à la description incroyablement précise et poignante que William Styron propose de sa descente aux enfers dans Face aux ténèbres, on jugera éloignée de la réalité la description de la dépression comme « incapacité à métaphoriser ». Il observait sur lui-même que l'intensité de l'angoisse et de la souffrance psychique était telle qu'elle le détournait de la perception même du monde. Le monde se tait parce seule la souffrance parle.
Maintenant quand on tombe sur le passage suivant (que je n'ai pas eu de mal à retrouver après l'allusion à Baudelaire et à son ciel-couvercle) on se dit qu'on n'a pas affaire à une œuvre mineure :
« Par une journée radieuse, alors que je me promenais dans les bois en compagnie de mon chien, un vol d'oies du Canada passa très haut en cacardant au-dessus des arbres qu'embrasaient leur frondaison, un spectacle et une musique qui d'ordinaire m'eussent mis la joie au cœur, le passage des oiseaux me fit m'arrêter net, cloué par la peur et je restais là figé et impuissant, frissonnant, conscient pour la première fois d'avoir été frappé non par de simples angoisses dues au manque, mais par une maladie grave dont j'étais capable, et ce également pour la première fois, de m'avouer le nom et la réalité. En regagnant la maison, je ne parvins pas à chasser de mon esprit la phrase de Baudelaire, exhumée d'un lointain passé, qui depuis plusieurs jours rodait à la lisière de ma conscience : « J'ai senti passé sur moi le vent de l'aile de l'imbécillité ». (Gallimard, 1990, pp.71-72)
Ce qui est aérien, ici, devient un fardeau insoutenable...
Quant au psychanalyste, il se rêve poète, tout en niant l'être, pour donner corps au fantasme de son efficacité supposée. Avec cependant la modestie nécessaire :" ... il arrive que par sa médiation..." Ce "il arrive" en dit long sur la prudence qu'il convient d'observer lorsqu'on évoque ce que l'analyse est capable de faire ou de ne pas faire, notamment dans le cas de pathologies sévères. Mais c'est une autre question...