Dès les premières lignes du livre III des Vies et doctrines des philosophes illustres consacré tout entier au plus connu des disciples de Socrate, Diogène Laërce donne à Platon une ascendance prestigieuse. Qu’on ne croie pas pour autant que mon cher compilateur s’apprête à écrire un impeccable panégyrique ! Il donnera aussi leur part aux moqueries dont Platon aurait été la cible. Mais je n’en suis pas là ...
Platon est donc non seulement issu d’un sage mais de plusieurs dieux.
Du frère de Solon dont il descend par sa mère en ligne directe, il est séparé par cinq générations. Et comme Solon a pour ascendant Poséidon, Platon a déjà un premier lien avec le divin.
Ceci, Diogène le rapporte comme un fait. En revanche, comme il introduit la suite par « on raconte aussi que... », je la prends avec plus de pincettes. Je veux dire par là que Diogène m’apparaît alors comme un narrateur qui affirme qu’on affirme, ce qui ne signifie d’ailleurs pas du tout que quand Diogène affirme, je crois ce qu’il dit. Faut-il le répéter ? En le lisant, on prend juste connaissance du savoir dont il disposait. Donc, avec peut-être un peu de distance ou aucune (nulle note savante ici pour me permettre de trancher), Diogène m’apprend que c’est aussi le père de Platon, Ariston, qui descend de Poséidon, via Codros, le dernier roi d’Athènes (ancêtre dont s’honorait tout autant le tyran Pisistrate).
Ce qui vient ensuite est bien plus étonnant encore. Diogène rapporte « une histoire qui courait à Athènes » (III, 2) mais une des trois sources dont il dit qu’elles mentionnent cette rumeur est si proche de Platon que le bruit en question devient un peu plus que du vent. Il s’agit en effet du Banquet funéraire de Platon, texte écrit par Speusippe, à la fois neveu, exécuteur testamentaire et successeur de Platon. Voici donc cette étrange anecdote :
« Ariston voulut forcer l’hymen de Périctioné (c’est donc elle qui transmettra au philosophe un peu du sang de Solon), qui était dans la fleur de l’âge, mais il n’y parvint pas ; quand il eut mis un terme à ses tentatives, il vit Apollon lui apparaître. A partir de ce moment, il s’abstint de consommer le mariage jusqu’à ce que Périctioné eût accouché. » (ibid.) (cf infra note 1)
Luc Brisson m’apprend dans une note que certains ont identifié l’apparition d’Apollon à une image onirique, ce qu’il met en doute sans, semble-t-il, pouvoir l’écarter (« l’expression idein opsin n’implique pas qu’il s’agit d’un rêve, comme l’ont compris certains traducteurs »). Mais, vue la phrase suivante, j’oserais dire que la rumeur en question faisait donc naître Platon des amours d’Apollon et d’une vierge impénétrable.
Puis, comme s’il n’avait pas de mémoire, Diogène Laërce, sans ciller, informe de la date de naissance du philosophe :
« Platon est né, comme le rapporte Apollodore dans sa Chronique, au cours de la quatre-vingt huitième Olympiade, le septième jour du mois de Thargélion, le jour où les gens de Délos disent qu’est né Apollon (c’est moi qui souligne). »
Quelques pages plus loin, décidément imperturbable :
« On raconte que Socrate fit un rêve. Il avait sur ses genoux le petit d’un cygne, qui en un instant se couvrit de plumes et s’envola en émettant des sons agréables. Le lendemain Platon lui fut présenté, et Socrate déclara que l’oiseau, c’était Platon. » (4)
Or le cygne est le symbole d’Apollon ! Ceci dit, je savais, pour avoir lu le début du Criton que Socrate identifiait ces songes à des prémonitions. Reste une belle histoire de maître assez lucide pour voir immédiatement dans le jeune disciple celui qui sans le remplacer atténuera sa grandeur.
Puis plus un mot sur la relation de Platon avec le dieu d’Olympie, mais à la fin, alors qu’il présente « les épigrammes qui furent inscrites sur son tombeau » (43), Diogène, de manière un peu incohérente, en insère une composée par lui-même :
« Et comment Phoibos (Apollon), s’il n’avait en Grèce donné le jour à Platon, pourrait-il guérir les âmes des hommes par les lettres ? En effet, tout comme Asclépios qui est son rejeton guérit notre corps, de même c’est l’âme immortelle que guérit Platon. » (44)
Epigramme qu’il fait suivre d’une autre, censée évoquer « de quelle manière il mourut », mais dont les deux premiers vers sont lourdement redondants :
« Phoibos engendra pour les mortels Asclépios et Platon, ce dernier pour la santé de l’âme, le premier pour celle de leur corps (...) » (ibid.)
Malgré son apparente distance par rapport à la légende, Diogène, qu’il en ait eu conscience ou non, a tout fait pour la colporter...
(1) Voici la même histoire racontée par Montaigne:
"Comme s'il ne suffisoit pas, que par double estoc Platon fust originellement descendu des Dieux, et avoir pour autheur commun de sa race, Neptune : il estoit tenu pour certain à Athenes, qu'Ariston ayant voulu jouïr de la belle Perictyone, n'avoit sçeu. Et fut adverti en songe par le dieu Apollo, de la laisser impollue et intacte, jusques à ce qu'elle fust accouchée. C'estoient le pere et mere de Platon. Combien y a il és histoires, de pareils cocuages, procurez par les Dieux, contre les pauvres humains ? et des maris injurieusement descriez en faveur des enfants ?" (Essais II XII)