dimanche 29 janvier 2017

Le cynisme civilisé et divin d'Épictète.

Il faut que même la poussière qui le couvre soit propre et exerce une certaine séduction." (p.344)
Dieu, Zeus, les dieux... Que ces mots reviennent souvent sous la plume d'Arrien, transmettant son souvenir des leçons orales d'Épictète.
Mais qui des hommes a un rapport privilégié avec le divin ?
C'est le Cynique tel qu' Épictète se le représente. En effet le Cynique est le messager des dieux :
" Zeus l'a envoyé aux hommes (...) avec pour mission de leur montrer qu'ils sont dans l'erreur sur le chapitre des biens et des maux, et qu'ils cherchent l'essence du bien et du mal là où elle n'est pas, mais ne pensent pas à la chercher où elle est." (Entretiens, III, 22, éd. Muller, p.333).
Venant " leur annoncer la vérité " (ibid., p.334), il est autant le thérapeute de ses concitoyens (" ce roi qui doit, à la manière d'un médecin, faire le tour de la ville et tâter les pouls " p.342) que le parent de chacun (" il le fait comme père, comme frère, et comme serviteur de Zeus, notre père commun." p.343). Aussi ne peut-il être tenu par des devoirs particuliers de père vis-à-vis de ses propres enfants ; dans la tradition du Banquet platonicien qui disqualifiait les enfants de chair au profit des oeuvres de l'esprit, Épictète met le père en-dessous du cynique, relativement au service rendu à la société :
" Ceux qui introduisent dans la société, pour les remplacer, deux ou trois enfants grognons font-ils plus de bien aux hommes que ceux qui les surveillent tous, autant qu'ils peuvent, pour savoir ce qu'ils font, comment ils mènent leur vie, ce qui leur tient à coeur et ce qu'ils négligent en manquant à leur devoir ?" (p.342)
Plus généralement, le Cynique ne doit être tenu par aucun devoir privé, il ne peut donc ni exercer une fonction sociale, ni jouer un rôle politique, car cela le contraindrait à limiter ses rapports humains à ceux impliqués par la définition de sa position étroitement particulière. Il serait aussi privé de la liberté de parole, de la παρρησία, franchise qui lui permet - au-delà des éventuels reproches que chacun est tenu de faire dans l'exercice cloisonné de sa fonction - de dire à tout homme ses quatre vérités du point de vue de la vie qu'il devrait mener. À la différence du sage engagé à respecter les règles d'un jeu social déterminé, le Cynique, sage en un sens désengagé, convainc paradoxalement chacun de respecter les devoirs impliqués par sa situation hic et nunc dans la société. Aussi un père peut-il initier au stoïcisme son enfant mais il ne peut en rien le rendre Cynique (même si les Cyniques " ne peuvent pas être Cyniques à peine sortis du sein de leur mère." p.342) : en effet le discours cynique s'adresse à quiconque et lui commande de respecter le rôle que lui a donné la Providence. Or, le père stoïcien, tenu seulement par le devoir de l'éducateur familial, n'enseignerait au fils que le respect des règles au sein de la famille.
Soldat de Dieu, le Cynique, à la fois dans et hors de la société, en réalité plus au service du monde que de telle ou telle société (" L'exil ? Et où peut-on me chasser ? Hors du monde, c'est impossible. Où que j'aille, le soleil sera là, ainsi que la lune, les astres, les songes, les présages, et la compagnie des dieux." p.333) a une fonction divine et universelle, celle de rappeler à chacun que le dieu attend de lui l'exercice vertueux de sa fonction particulière :
" Dans la situation actuelle qui ressemble à une bataille rangée, ne faut-il pas que le Cynique, tout entier au service du dieu, ne soit jamais distrait par quoi que ce soit, qu'il puisse rencontrer les gens sans être enchaîné par des devoirs privés ni impliqué dans des relations sociales, telles que, s'il les néglige, il ne sauvegardera pas son rôle d'homme de bien, et s'il les préserve, il fera périr en lui le messager, l'observateur et le héraut des dieux ? " (p.341)
Est donc clairement dit qu'il n'est pas nécessaire d'être cynique pour être homme de bien ; peut-on appeler homme de bien supérieur ce Cynique attaché à la mission de multiplier les hommes de bien ? En tout cas, si tout homme était homme de bien, à quoi servirait le Cynique ?
" Si tu me donnes une cité de sages, répondit Épictète, peut-être que personne n'en viendra aisément à embrasser la vie cynique." (p.341)
Épictète a à coeur non seulement de distinguer les hommes de bien ordinaires de cet homme de bien extraordinaire mais aussi d'opposer fermement le Cynique inspiré par Dieu (peut-on aller jusqu'à le désigner du nom d'élu ?) de tous ceux qui le singent extérieurement sans avoir aucune des qualités morales de celui qu'ils imitent. Ces pseudo-cyniques sont des bouffons mal élevés qui s'autorisent du titre prestigieux de Cynique pour casser les règles du jeu social afin de satisfaire leurs vices :
" Celui qui s'engage sans dieu dans une entreprise aussi considérable s'expose à sa colère, et ne veut rien d'autre, en fait, qu'afficher en public des manières indécentes." (p.331)
Le Cynique à la façon d'Épictète rappelle à l'ordre, social et moral à la fois, et il semble bien que cette récupération stoïcienne du cynisme laisse de côté la puissance de subversion sociale inhérente au cynisme historique et primitif.
Diogène de Sinope est donc, à son corps défendant sans doute, recruté dans l'armée stoïcienne, certes au rang illustre de lieutenant de Dieu. Reste que la vie de ces missionnaires divins est rude car, preuve par l'exemple, elle a aussi comme but de vérifier la thèse qu'on peut être heureux en étant dépourvu de tout :
" Comment est-il possible à qui n'a rien, qui est nu, sans maison ni foyer, qui est crasseux, sans esclave et sans cité, de mener une vie sereine ? Tenez, le dieu vous a envoyé l'homme qui va vous montrer dans les faits que c'est possible." (p.338)
Il est donc indispensable d'avoir l'accord de Zeus pour réussir l'entreprise. Épictète met ainsi en garde le jeune homme tenté par la vie cynique :
" Délibère plus soigneusement, connais-toi toi-même, interroge la divinité, n'entreprends rien sans dieu. S'il t'engage à tenter l'entreprise, sache qu'il veut que tu deviennes grand, ou que tu reçoives de nombreux coups." (p.339)
Sûr que le "ou" de cette dernière phrase est inclusif.

samedi 28 janvier 2017

Gare au frelon qui se fait passer pour une abeille !

" Si tu accuses les autres en tenant sous ton bras un petit gâteau, je te dirai : " Ne ferais-tu pas mieux de t'en aller dans un coin dévorer ce que tu viens de voler ? Qu'as-tu à voir avec les affaires des autres ? Qui es-tu ? Es-tu le taureau du troupeau ou la reine des abeilles ? Montre-moi les marques de reconnaissance de ton autorité, semblables à celles que la reine des abeilles tient de la nature. Mais si tu es un frelon et réclame en justice la royauté des abeilles, ne crois-tu pas que tes concitoyens vont te chasser comme les abeilles chassent les frelons ?" (Épictète, Entretiens, III, 22, édition Robert Muller, Vrin 2015, p. 346)

Indémodable Platon.

" Si je suis juste, et que je n'en donne pas l'apparence, alors je n'en tirerai aucun profit, mais plutôt des peines et des châtiments évidents, alors que si j'assortis une vie injuste d'une apparence de justice, on dira que mon existence est digne des dieux. En conséquence, puisque le paraître, comme l'expliquent les sages, vient à bout même de la vérité et se montre souverain pour le bonheur, c'est dans cette direction qu'il faut entièrement se tourner. Il convient donc de représenter en cercle tout autour de moi, comme une facade et un décor - la peinture d'un artifice de vertu - et il faudra tirer derrière moi le renard, subtil et astucieux, du très sage Archiloque. " Mais, dira-t-on, il n'est pas facile de toujours se cacher quand on est méchant." Rien d'autre de ce qui a de la valeur, dirons-nous en guise de réponse, n'est facile d'accès. Et pourtant, si nous voulons être heureux, c'est ce chemin qu'il faut prendre, comme il nous est tracé par ces discours. Pour ce qui est de nous cacher, nous nous rassemblerons dans des ligues et des hétairies, et il existe des maîtres de persuasion pour nous transmettre l'expertise du discours populaire et de la plaidoirie devant le tribunal. Puisant dans leur art, tantôt nous persuaderons, tantôt nous contraindrons par la force, dans le dessein de nous enrichir tout en évitant d'affronter la justice." (La République, II, 365 b-c, édition Brisson, Flammarion, 2008, pp. 1523-1524)

jeudi 26 janvier 2017

Comment avoir toujours la meilleure part ?

Désirer avoir la meilleure part et croire qu'on ne l'a pas est pénible. On peut supprimer cette peine de deux manières : ou on cesse de désirer avoir la meilleure part, ou on tient pour vrai qu'on a la meilleure part. Le stoïcien illustre la deuxième réduction :
" Quand tu adresses des reproches à la providence, considère les choses avec attention et tu reconnaîtras que ce qui est arrivé est conforme à la raison. " Oui, mais l'homme injuste est mieux loti que moi." En quoi ? En argent : en cette matière, il est en effet meilleur que toi, parce qu'il flatte, qu'il bannit toute pudeur, qu'il ne dort pas la nuit. Qu'y a -t-il d'étonnant ? Mais regarde s'il est mieux loti pour ce qui est de la loyauté, pour ce qui est de la réserve. Tu trouveras que non ; mais tu découvriras que là où tu es meilleur tu es mieux loti." (Épictète, Entretiens, édition Robert Muller, III, 17, p.318)
" Ce méchant riche a la meilleure part " devient ainsi " ce méchant riche a la pire part ". Mieux, il a la pire part et soufffre de l'erreur de croire qu'il a la meilleure part. Moi, stoïcien, j'ai la meilleure part et je sais que j'ai la meilleure part. Le méchant riche croit savoir et moi, stoïcien, je sais qu'il croit et je sais que je sais.
Même si la providence n'existe pas, même si le stoïcisme est faux, cette opposition entre croire savoir et savoir savoir est essentielle à toute connaissance et accompagne toute recherche de la vérité. On ne peut en faire l'économie. Si on se moque de la certitude, jugée prétentieuse alors, de qui dit savoir savoir, ce ne peut être qu'en pensant à son tour savoir (savoir) que le possesseur d'une telle certitude simplement croit savoir.

lundi 16 janvier 2017

Quel malheur d' avoir une pensée personnelle !

" Alors que la raison (logos) est commune (xunos), la plupart des gens vivent comme s'ils avaient une pensée (phronêsis) propre. " (Héraclite in Sextus Empiricus, Contre les savants, 7.133)

samedi 14 janvier 2017

Imposture intellectuelle.

" Ce que je pense à leur sujet (i.e. des textes interpolés dans les écrits d'Hippocrate) est que quelqu'un de mal intentionné a ajouté ces textes aux écrits d'Hippocrate, exactement comme l'un de nos contemporains nommé Lucien a fait. Car il a forgé un livre dans lequel il a rassemblé des mots obscurs qui n'ont pas le moindre sens et il les a attribués à Héraclite. Il le donna ensuite à certaines personnes qui le présentèrent à un philosophe dont la parole était bien considérée et que les gens considéraient comme sincère et digne de confiance, et elles lui demandèrent de l'expliquer et de le commenter pour eux. Mais le pauvre homme ne comprit pas qu'elles voulaient seulement se moquer de lui. Se considérant donc comme très intelligent, il se mit à donner des explications du texte, avec pour résultat qu'il s'attira le ridicule." (Galien, Commentaire des Épidémies II d'Hippocrate in Laks et Most (dir.), Les débuts de la philosophie, Fayard, 2016, p.295-297)

Commentaires

1. Le dimanche 15 janvier 2017, 18:19 par Astwin
Mais il arrive parfois que la moquerie se transforme en rire jaune et que le scénario, initialement prévu par les moqueurs, soit modifié quand "le pauvre homme", dans son décodage absurde, tombe "par hasard" sur une vérité dérangeante.
2. Le dimanche 15 janvier 2017, 18:38 par Philalèthe
Même si le pauvre homme trouvait par hasard une vérité dérangeante, il resterait ridicule par le fait d'avoir confondu un texte intrinsèquement dépourvu de sens avec un texte intentionnellement construit. Certes on peut imaginer une situation où l'interprète croirait trouver dans le texte l'idée que des hommes mal intentionnés s'amuseraient aux dépens d'un philosophe mais il ne pourrait pas se sentir concerné par cette situation par définition puisqu'il serait convaincu que lui aurait en tout cas affaire à un texte sensé. Dans un tel cadre, la vérité ne serait dérangeante ni pour les malins (parce qu'ils sauraient qu'il ne pourrait pas les identifier aux moqueurs auxquels il penserait), ni pour lui.
Mais j'imagine que vous avez en tête en écrivant votre remarque quelque chose de précis.
3. Le dimanche 15 janvier 2017, 19:20 par Astwin
Vous imaginez bien et pour préciser ce propos, j'ai plutôt en tête sept choses de précis.
4. Le dimanche 15 janvier 2017, 19:33 par Philalèthe
Si vous pouviez préciser votre posture intellectuelle...
5. Le dimanche 15 janvier 2017, 21:36 par Astwin
Que votre demande est directe! Ne désirant pas être épinglé (e) comme "imposteur (-ice)", je vous dirais que ne souhaitant pas, aujourd'hui me révéler, je vous affirmerais que ma posture se situe aux croisements, chevauchements, interpénétrations du marxisme stalinien le plus abscons et répugnant à l'essentialisme aristotélicien post scolastique... Que de verbiages, n'est-il pas? Aussi vous interrogerais-je: pourquoi privilégie-t-on la Tragédie à la Comédie Française? L'absurdité comique du Grand Molière?
6. Le dimanche 15 janvier 2017, 22:25 par Philalèthe
Vous ne me comprenez pas, je ne veux pas vous classer, mais juste savoir ce que vous vouliez dire dans votre deuxième message, obscur pour moi.
Quant au stalinisme aristotélicien ou à l'aristotélisme stalinien, je ne demande qu'à mieux le connaître, je le devine un peu seulement ; il pourrait s'agir de voir l'État communiste éclairé comme le moyen de développer l'excellence humaine ; à vrai dire, à mes yeux, Staline parasite le projet mais vous devez le voir autrement que moi...
Quant à votre derniere question, je n'en vois pas le sens dans le contexte. Qui donc privilégie la tragédie à la comédie ? Je ne vois pas non plus en quoi il y a absurdité dans le comique de Molière. Mais je ne demande qu'à comprendre.
7. Le lundi 16 janvier 2017, 00:31 par Astwin
Sur le premier point, je vais essayer de lever le voile de l'obscurité. Même lorsque l'interprétation est absurde, il peut arriver que l'on soit inspiré, d'où le sept. Cette inspiration peut permettre de rebondir sur des choses qui, elles, ne sont pas absurdes.
Sur le deuxième point, je ne peux que vous féliciter d'avoir eu cette interprétation en forme de chiasme au demeurant forte intéressante. Pour autant, elle est erronée puisque j'ai été trop sibyllin (e). La puissance de l'Etat, dans mon esprit, ne s'est jamais réduite à l'Etat communiste, fut-il éclairé. Staline de son côté n'est qu'un avatar tragique de l'ultra matérialisme confinant à la plus grande débilité. Mais vous m'entraînez vers d'autres horizons où les questions théoriques fondamentales des théories de l'Etat, sinon même du droit mériteraient de nombreuses discussions qui là, nous éloignent de Molière.
J'en viens donc au troisième point. Molière excellait dans l'art de la connaissance de la nature humaine. Il moquait dans ses pièces certains défauts et tournait ce qui était tragique en comédie. La moquerie est souvent ressentie comme une tragédie pour celui qui en est victime. Pourtant, se moquer avec les autres de son propre ridicule, atténue grandement le tragique de la situation, si tragédie il y a.
8. Le lundi 16 janvier 2017, 08:37 par Philalèthe
Merci beaucoup pour ces clarifications.
9. Le lundi 16 janvier 2017, 19:24 par Philalèthe
Voici notre pauvre homme caractérisé par Lucrèce dans le De natura rerum (I, 641-644):
Car les fous admirent et aiment plus que tout
Ce qu'ils discernent de caché sous des mots dont le sens est changé
Et considèrent comme vrai ce qui peut agréablement toucher
Leurs oreilles et qui est paré d'une sonorité agréable."
Certes Galien ne dit pas que Lucien a eu un souci poétique au moment de composer son pseudo-livre profond. Mais en tout cas Lucrèce se réfère bien à des lecteurs d'Héraclite :
" Illustre pour l'obscurité de sa langue (clarus ob obscuram linguam, voilà qui en revanche est poétique), plus chez ceux des Grecs
Qui sont creux que chez ceux qui recherchent sérieusement des vérités."

vendredi 13 janvier 2017

Comment ne pas regretter l'impuissance des politiques ? Épictète, Entretiens, Livre III,13.

Il ne faut pas demander au pouvoir politique plus qu'il ne peut donner ; il ne peut assurer que liberté de déplacement, de circulation, de commerce peut-être :
" Vous constatez que César nous procure apparemment une grande paix : il n' y a plus de guerres, plus de combats, plus de brigandage à grande échelle, plus de piraterie ; on peut voyager en toute saison, naviguer de l'orient à l'occident."
Attendre de l'État qu'il nous mette à l'abri de la maladie, des accidents, des catastrophes naturelles, est déraisonnable :
" Est-ce que par hasard César peut aussi nous mettre en paix avec la fièvre, le naufrage, l'incendie, le tremblement de terre, la foudre ? "
Le politique ne peut pas plus contre les maux de l'âme :
" Voyons, et avec l'amour ? Non. Avec la douleur ? Non. Avec l'envie ? Non. Avec absolument aucune de ces choses."
Heureusement la philosophie est là :
" Par contre, le discours des philosophes promet de nous mettre en paix avec elles."
Elle nous délivre alors sa leçon sans surprise :
" Si vous appliquez votre esprit à ce que je dis, hommes, où que vous soyez, quoi que vous fassiez, vous n'éprouverez ni chagrin ni colère, vous ne serez ni contraints ni empêchés, vous vivrez sans passions et libres à tous égards."
Certes on connaît la chanson.
Mais il y a un point intéressant : la raison du philosophe qui formule ces règles a sa raison d'être dans la volonté providentielle de l'autre, comme dit Épictète quelquefois pour désigner Zeus. On défigure donc radicalement le stoïcisme en le voyant comme une sagesse purement humaine. Quitte à être un peu excessif, il serait plus fidèle à la doctrine de voir cette sagesse accessible aux hommes comme une preuve de l'existence de dieu :
" Celui qui possède cette paix-là, proclamée non par César (comment le pourrait-il ?) mais par le dieu au moyen de la raison, ne se suffit-il pas quand il se trouve être seul ? "
Zeus a même fait l'homme pour qu'il puisse vivre en paix dans un monde où César serait radicalement impuissant :
" Car, jetant les yeux sur tout cela, il se dit. " À présent il ne peut m'arriver aucun mal ; pour moi il n'y a ni brigand ni tremblement de terre ; partout la paix règne, partout absence de trouble ; aucune route, aucune cité, aucun compagnon de voyage ni aucun associé ne représente un risque pour moi." "
Pas de problème du mal dans le stoïcisme, donc pas de théodicée non plus.
En effet Zeus a équipé tout homme d'une raison lui permettant de savoir que le bien est toujours à sa portée et le mal toujours évitable. Qui croit que Dieu doit rendre des comptes à propos de l'injustice des maux, commet l'erreur de confondre biens et maux réels avec biens et maux imaginaires. Reste que pour raisonner il faut des conditions minimales : de la nourriture, un vêtement, des sens, des prénotions. Et si je venais à les perdre, ces conditions minimales, ne serait-ce pas la preuve que tout n'est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Loin de là, ces pertes feraient signe en direction d'une solution, la mort :
" Lorsqu'il (Zeus) ne fournit plus le nécessaire, il donne le signal de la retraite ; après t'avoir ouvert la porte, il te dit . " Va ! " Où ? En aucun cas dans un endroit redoutable mais dans le lieu d'où tu es venu, chez des êtres qui sont tes amis et tes parents, vers les éléments. Tout ce qui en toi était feu retournera au feu, tout ce qui était terre à la terre, tout ce qui était air à l'air, tout ce qui était eau à l'eau. Il n'y a ni Hadès, ni Achéron ni Cocyte ni Pyriphlégéton, mais tout est plein de dieux et de puissances divines."
On le saisit, les retours contemporains au stoïcisme le mutilent en ce qu'ils font abstraction de son aspect " religion de la raison ". Si la politique a si peu d'importance, ce n'est pas qu'au fond l'homme a des ressources psychologiques lui permettant de compenser l'incurie de l'État ; c'est que Dieu lui-même n'a donné aucune importance à César. Au mieux l' État n'est un peu efficace que pour ceux qui placent les maux là où ils ne sont pas.
En fin de compte, mieux vaut voir dans le stoïcisme une religion qu'une technique de soi, une religion qui résisterait aux pires apocalypses. Bien sûr le coût métaphysique de ce possible confort de l'esprit n'est pas mince.