" Il faut que même la poussière qui le couvre soit propre et exerce une certaine séduction." (p.344)
Dieu, Zeus, les dieux... Que ces mots reviennent souvent sous la plume d'Arrien, transmettant son souvenir des leçons orales d'Épictète.
Mais qui des hommes a un rapport privilégié avec le divin ?
C'est le Cynique tel qu' Épictète se le représente. En effet le Cynique est le messager des dieux :
Mais qui des hommes a un rapport privilégié avec le divin ?
C'est le Cynique tel qu' Épictète se le représente. En effet le Cynique est le messager des dieux :
" Zeus l'a envoyé aux hommes (...) avec pour mission de leur montrer qu'ils sont dans l'erreur sur le chapitre des biens et des maux, et qu'ils cherchent l'essence du bien et du mal là où elle n'est pas, mais ne pensent pas à la chercher où elle est." (Entretiens, III, 22, éd. Muller, p.333).
Venant " leur annoncer la vérité " (ibid., p.334), il est autant le thérapeute de ses concitoyens (" ce roi qui doit, à la manière d'un médecin, faire le tour de la ville et tâter les pouls " p.342) que le parent de chacun (" il le fait comme père, comme frère, et comme serviteur de Zeus, notre père commun." p.343). Aussi ne peut-il être tenu par des devoirs particuliers de père vis-à-vis de ses propres enfants ; dans la tradition du Banquet platonicien qui disqualifiait les enfants de chair au profit des oeuvres de l'esprit, Épictète met le père en-dessous du cynique, relativement au service rendu à la société :
" Ceux qui introduisent dans la société, pour les remplacer, deux ou trois enfants grognons font-ils plus de bien aux hommes que ceux qui les surveillent tous, autant qu'ils peuvent, pour savoir ce qu'ils font, comment ils mènent leur vie, ce qui leur tient à coeur et ce qu'ils négligent en manquant à leur devoir ?" (p.342)
Plus généralement, le Cynique ne doit être tenu par aucun devoir privé, il ne peut donc ni exercer une fonction sociale, ni jouer un rôle politique, car cela le contraindrait à limiter ses rapports humains à ceux impliqués par la définition de sa position étroitement particulière. Il serait aussi privé de la liberté de parole, de la παρρησία, franchise qui lui permet - au-delà des éventuels reproches que chacun est tenu de faire dans l'exercice cloisonné de sa fonction - de dire à tout homme ses quatre vérités du point de vue de la vie qu'il devrait mener. À la différence du sage engagé à respecter les règles d'un jeu social déterminé, le Cynique, sage en un sens désengagé, convainc paradoxalement chacun de respecter les devoirs impliqués par sa situation hic et nunc dans la société. Aussi un père peut-il initier au stoïcisme son enfant mais il ne peut en rien le rendre Cynique (même si les Cyniques " ne peuvent pas être Cyniques à peine sortis du sein de leur mère." p.342) : en effet le discours cynique s'adresse à quiconque et lui commande de respecter le rôle que lui a donné la Providence. Or, le père stoïcien, tenu seulement par le devoir de l'éducateur familial, n'enseignerait au fils que le respect des règles au sein de la famille.
Soldat de Dieu, le Cynique, à la fois dans et hors de la société, en réalité plus au service du monde que de telle ou telle société (" L'exil ? Et où peut-on me chasser ? Hors du monde, c'est impossible. Où que j'aille, le soleil sera là, ainsi que la lune, les astres, les songes, les présages, et la compagnie des dieux." p.333) a une fonction divine et universelle, celle de rappeler à chacun que le dieu attend de lui l'exercice vertueux de sa fonction particulière :
Soldat de Dieu, le Cynique, à la fois dans et hors de la société, en réalité plus au service du monde que de telle ou telle société (" L'exil ? Et où peut-on me chasser ? Hors du monde, c'est impossible. Où que j'aille, le soleil sera là, ainsi que la lune, les astres, les songes, les présages, et la compagnie des dieux." p.333) a une fonction divine et universelle, celle de rappeler à chacun que le dieu attend de lui l'exercice vertueux de sa fonction particulière :
" Dans la situation actuelle qui ressemble à une bataille rangée, ne faut-il pas que le Cynique, tout entier au service du dieu, ne soit jamais distrait par quoi que ce soit, qu'il puisse rencontrer les gens sans être enchaîné par des devoirs privés ni impliqué dans des relations sociales, telles que, s'il les néglige, il ne sauvegardera pas son rôle d'homme de bien, et s'il les préserve, il fera périr en lui le messager, l'observateur et le héraut des dieux ? " (p.341)
Est donc clairement dit qu'il n'est pas nécessaire d'être cynique pour être homme de bien ; peut-on appeler homme de bien supérieur ce Cynique attaché à la mission de multiplier les hommes de bien ? En tout cas, si tout homme était homme de bien, à quoi servirait le Cynique ?
" Si tu me donnes une cité de sages, répondit Épictète, peut-être que personne n'en viendra aisément à embrasser la vie cynique." (p.341)
Épictète a à coeur non seulement de distinguer les hommes de bien ordinaires de cet homme de bien extraordinaire mais aussi d'opposer fermement le Cynique inspiré par Dieu (peut-on aller jusqu'à le désigner du nom d'élu ?) de tous ceux qui le singent extérieurement sans avoir aucune des qualités morales de celui qu'ils imitent. Ces pseudo-cyniques sont des bouffons mal élevés qui s'autorisent du titre prestigieux de Cynique pour casser les règles du jeu social afin de satisfaire leurs vices :
" Celui qui s'engage sans dieu dans une entreprise aussi considérable s'expose à sa colère, et ne veut rien d'autre, en fait, qu'afficher en public des manières indécentes." (p.331)
Le Cynique à la façon d'Épictète rappelle à l'ordre, social et moral à la fois, et il semble bien que cette récupération stoïcienne du cynisme laisse de côté la puissance de subversion sociale inhérente au cynisme historique et primitif.
Diogène de Sinope est donc, à son corps défendant sans doute, recruté dans l'armée stoïcienne, certes au rang illustre de lieutenant de Dieu. Reste que la vie de ces missionnaires divins est rude car, preuve par l'exemple, elle a aussi comme but de vérifier la thèse qu'on peut être heureux en étant dépourvu de tout :
Diogène de Sinope est donc, à son corps défendant sans doute, recruté dans l'armée stoïcienne, certes au rang illustre de lieutenant de Dieu. Reste que la vie de ces missionnaires divins est rude car, preuve par l'exemple, elle a aussi comme but de vérifier la thèse qu'on peut être heureux en étant dépourvu de tout :
" Comment est-il possible à qui n'a rien, qui est nu, sans maison ni foyer, qui est crasseux, sans esclave et sans cité, de mener une vie sereine ? Tenez, le dieu vous a envoyé l'homme qui va vous montrer dans les faits que c'est possible." (p.338)
Il est donc indispensable d'avoir l'accord de Zeus pour réussir l'entreprise. Épictète met ainsi en garde le jeune homme tenté par la vie cynique :
" Délibère plus soigneusement, connais-toi toi-même, interroge la divinité, n'entreprends rien sans dieu. S'il t'engage à tenter l'entreprise, sache qu'il veut que tu deviennes grand, ou que tu reçoives de nombreux coups." (p.339)
Sûr que le "ou" de cette dernière phrase est inclusif.
Commentaires
Mais j'imagine que vous avez en tête en écrivant votre remarque quelque chose de précis.
Quant au stalinisme aristotélicien ou à l'aristotélisme stalinien, je ne demande qu'à mieux le connaître, je le devine un peu seulement ; il pourrait s'agir de voir l'État communiste éclairé comme le moyen de développer l'excellence humaine ; à vrai dire, à mes yeux, Staline parasite le projet mais vous devez le voir autrement que moi...
Quant à votre derniere question, je n'en vois pas le sens dans le contexte. Qui donc privilégie la tragédie à la comédie ? Je ne vois pas non plus en quoi il y a absurdité dans le comique de Molière. Mais je ne demande qu'à comprendre.
Sur le deuxième point, je ne peux que vous féliciter d'avoir eu cette interprétation en forme de chiasme au demeurant forte intéressante. Pour autant, elle est erronée puisque j'ai été trop sibyllin (e). La puissance de l'Etat, dans mon esprit, ne s'est jamais réduite à l'Etat communiste, fut-il éclairé. Staline de son côté n'est qu'un avatar tragique de l'ultra matérialisme confinant à la plus grande débilité. Mais vous m'entraînez vers d'autres horizons où les questions théoriques fondamentales des théories de l'Etat, sinon même du droit mériteraient de nombreuses discussions qui là, nous éloignent de Molière.
J'en viens donc au troisième point. Molière excellait dans l'art de la connaissance de la nature humaine. Il moquait dans ses pièces certains défauts et tournait ce qui était tragique en comédie. La moquerie est souvent ressentie comme une tragédie pour celui qui en est victime. Pourtant, se moquer avec les autres de son propre ridicule, atténue grandement le tragique de la situation, si tragédie il y a.
Ce qu'ils discernent de caché sous des mots dont le sens est changé
Et considèrent comme vrai ce qui peut agréablement toucher
Leurs oreilles et qui est paré d'une sonorité agréable."
Qui sont creux que chez ceux qui recherchent sérieusement des vérités."