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samedi 31 décembre 2011

Chomsky : Russel et Wittgenstein / Derrida, Lacan, Althusser ou en faveur de la philosophie analytique mais sans idolâtrie aucune.

" Si, par exemple, je lis Russell ou la philosophie analytique, ou encore Wittgenstein, il me semble que je peux comprendre ce qu'ils disent et pourquoi cela me paraît faux, comme c'est souvent le cas. Par contre, quand je lis Derrida, Lacan, Althusser ou l'un de ceux-là, je ne les comprends pas. C'est comme si les mots défilaient sous mes yeux : je ne suis pas leurs argumentations, je ne vois pas d'arguments, tout ce ce qui ressemble à une description de faits me semble faux. Alors peut-être qu'il me manque un gène ou je ne sais quoi, c'est possible. Mais ce que je crois vraiment, c'est qu'il s'agit de charlatanisme." (Comprendre le pouvoir, volume 3, p.17-18)

Commentaires

1. Le dimanche 1 janvier 2012, 23:28 par Philemonex
Ce qui manque à Chomsky, ce n'est sûrement pas un gène ou je ne sais quoi, mais plutôt ce je-ne-sais-quoi que Pascal appelait déjà l'esprit de finesse (lui qui ne manquait pourtant d'esprit de géométrie). Tous ces "arguments" d'une très grande vulgarité contre le soi-disant "charlatanisme" d'une certaine philosophie française relèvent pour le moins d'une très grande paresse intellectuelle.
2. Le jeudi 5 janvier 2012, 21:16 par Azul
Je partage l'avis de Philemonex: l'extrait suivant, avec la citation de Göring, montre le manque de tact. Je trouve étonnant qu'un linguiste n'ait pas senti cela. J'ai parfois l'impression que, chez certains intellectuels, le désir de se distinguer peut l'emporter sur le désir de comprendre.
3. Le dimanche 8 janvier 2012, 01:18 par Elias
A propos d'Althusser, je vous livre ce petit extrait de L'esprit révolutionnaire de Leszek Kolakowski (ed. Complexe p. 185)
"Je suis loin d'être un partisan de la philosophie analytique anglo-saxonne. Cependant lorsque je lis certains philosophes dialecticiens (par exemple Althusser) il m'arrive de regretter qu'ils n'aient pas été formés par cette philosophie et qu'ils manquent de toute discipline logique. Une telle formation les aurait aidés à comprendre la simple différence entre "dire" et "prouver" quelque chose (Althusser énonce souvent une proposition général, la cite par la suite, puis s'y réfère en disant "nous avons montré" ou "il a été prouvé" )..."
4. Le dimanche 8 janvier 2012, 21:28 par Philalèthe
@ Philemonex
Certes on peut rejeter une argumentation par paresse intellectuelle alors qu'on ne s'est pas donné la peine de la comprendre mais tout rejet d'une argumentation n'implique pas nécessairement cette paresse...
@ Azul
Chomsky avait, je crois, lui l'impression que le désir de se distinguer pouvait l'emporter chez certains sur le désir de se faire comprendre.
@ Elias
Merci beaucoup pour ce texte qui va dans le sens de la méfiance de Chomsky vis-à-vis d' Althusser. De manière plus générale, c'est un défaut assez répandu de confondre affirmation d'une position avec justification d'une position, le problème étant cependant qu'on ne peut pas tout justifier et que les évidences de départ ne sont souvent pas partagées.
5. Le lundi 9 janvier 2012, 22:33 par Philemonex
Philalethe,
Merci de ne pas me prêter une généralisation que je n'ai pas faite. Je parlais de Chomsky. Celui-ci n'a pas toujours boudé la "théorie littéraire" à l'époque où il était soutenu et traduit en français par Mitsou Ronat et publié par Jean-Pierre Faye dans la revue "Change" ("adversaire" de Tel Quel). Je pense simplement que Chomsky devient un peu gâteux, si vous me permettez, et d'autre part qu'il a toujours connu un certain déficit philosophique (on le voit bien dans ses entretiens avec Foucault où, par exemple, il s'entête à soutenir l'existence d'une "nature humaine" et où il n'a pas l'air de bien comprendre les arguments pourtant forts classiques que lui oppose son interlocuteur à ce propos).
Vous (et/ou Chomsky) prêtez ensuite à "certains" philosophes un "désir de se distinguer"... C'est cela que vous appelez "argumenter" ? Pardonnez-moi, je n'y vois qu'un argument psychologique, une supposition purement gratuite et à vrai dire absurde (Althusser, Derrida, etc. auraient eu avant tout le désir de se "distinguer" ? êtes-vous sérieux ?). Vous lâchez là un "mauvais coup" ne ressemblant en rien à une argumentation. Je pourrais aussi bien vous rétorquer - ce ne serait pas plus argumentatif ni plus sérieux, mais je peux le faire - que les philosophes qui vous semblent "sérieux" (on va citer Bouveresse, par exemple, pour rester dans le contexte français) me paraissent à moi rébarbatifs, ennuyeux à mourir, écrivant comme des pieds là où les français sus-cités sont stylés et brillants (par intelligence et non pour briller ...en société, la bonne blague !) ; un peu plus loin dans ce que j'ai appelé moi-même la vulgarité, je pourrais également donner dans le psychologique et vous parler de la jalousie et de la rancoeur de Bouveresse tout spécialement à l'égard de Derrida, la rancoeur de toute une vie, tout ce qui rend ses livres "polémiques" sur l'air du temps aussi mauvais et vains, aussi visiblement mal intentionnés ; je pourrais vous parler de cela, ce serait sincère mais cela n'aurait aucune valeur.
Enfin concernant la distinction finale entre "affirmation" et "justification", là encore, comme vous allez vite en besogne ! Quand vous lisez Althusser ou Derrida, vous trouvez qu'ils n'argumentent pas, qu'ils "affirment" sans justifier ? Quelle conception étriquée de l'argumentation est donc la vôtre ?
Pardonnez le ton un peu vif... Merci de m'avoir accueilli néanmoins et merci pour votre blog.
6. Le mardi 10 janvier 2012, 14:58 par Philalèthe
@ Philemonex
1) pourquoi faudrait-il être gâteux ou insuffisant philosophiquement pour soutenir l'existence d'une nature humaine ? S'il n'y avait pas de nature humaine, qu'est-ce que la culture pourrait bien cultiver ? Le point difficile est de déterminer dans le détail les propriétés de cette nature (mais ne puis-je pas dire en toute sécurité par exemple que l'homme est par nature apte à imiter ?).
2) sans aucune mauvaise foi, j'attire votre attention sur le fait que je parle de certains qui pour se distinguer etc. Vous ajoutez à ce que j'écris : philosophes et vous déterminez encore plus étroitement en mentionnant Derrida et Althusser. J'aurais jugé injuste et ridicule de disqualifier ainsi globalement ces deux philosophes. Je souhaitais en revanche faire connaître l'avis tranché et sévère de Chomsky.
3) faut-il être stylé et brillant en philosophie pour être un bon philosophe ?
Les arguments que vous appelez vulgaires sont-ils pour autant faux ? Les arguments originaux sont-ils pour autant vrais ?
4) je vous laisse attribuer à Bouveresse jalousie et rancoeur ; mais même si c'était vrai, des arguments qu'on soutient par jalousie et rancoeur ne sont pas nécessairement faux comme ne sont pas nécessairement vrais des arguments qu'on soutient par bienveillance et générosité.
7. Le samedi 7 septembre 2013, 19:21 par Vince
Faire cours ou faire court...comme les histoires....qu'on raconte ...???...!!!
Merci pour votre accueil !
Vince

dimanche 16 janvier 2011

La mouche, comme métaphore du philosophe piégé : trait d'union entre Wittgenstein et Derrida.

Surprise de lire dans la biographie consacrée par Benoît Peeters à Jacques Derrida :
" Devant les concepts philosophiques de la tradition, il se sent " comme une mouche qui aurait compris le danger", dira-t-il un jour lors d'un débat avec Jean-Luc Nancy. "J'ai toujours eu le réflexe de fuir, comme si j'allais, au premier contact, à nommer seulement ces concepts, me trouver, comme la mouche, les pattes engluées : captif, paralysé, otage, piégé par un programme" " (p.599)
On pense bien sûr à :
" 309. Quel est ton but en philosophie ? - Montrer à la mouche comment sortir du piège à mouches." (Recherches philosophiques, Wittgenstein)

Commentaires

1. Le samedi 4 janvier 2020, 16:44 par Arnaud
L’oncle Tobie dans Réflexions sur l’éducation de Kant (Trad. Philonenko) :
« Toby dans Tristram Shandy dit à une mouche qui l’avait longtemps agacé, tandis qu’il la laisse
s’envoler par la fenêtre : « Va, méchant animal, le monde est assez grand pour toi et pour moi. »
Chacun pourrait choisir ces mots comme devise. Nous ne devons pas être odieux les uns aux autres.
Le monde est bien assez grand pour tous. »
A. L’éducation du corps, p. 108, Vrin, 1974.
2. Le samedi 4 janvier 2020, 20:25 par Philalèthe
Merci de me guider, sans me moucher, vers ce roman extraordinaire, que la petite mouche à miel que je suis n'a pas encore assez butiné.

mercredi 12 janvier 2011

Jacques Derrida : un philosophe Dada ?

À Isabelle, à qui je dois en quelque sorte ce billet...
Quand j'ai entrepris la lecture de la biographie, intéressante bien qu'un peu hagiographique, consacrée à Derrida par Benoît Peeters ( Flammarion 2010), je savais bien que je m'intéressais à l'histoire d'un homme qui pour certains analytiques, à tort ou à raison, incarne jusqu'à la caricature les défauts de la philosophie dite continentale. Je connaissais déjà le "débat" Searle-Derrida (je mets des guillemets à débat car je crains qu'en répondant à Searle, Derrida n'ait guère respecté les règles du jeu usuelles dans les échanges analytiques) mais ce que j'ignorais, c'est l'engagement de Quine contre l'initiative de l'université de Cambridge d'accorder un doctorat honoris causa au philosophe français :
" Le samedi 9 mai 1992, une lettre ouverte est publiée dans le Times sous le titre "Une question d'honneur". Elle est signée par une vingtaine de philosophes venus de nombreux pays, parmi lesquels une des figures majeures de la philosophie analytique américaine, Williard Quine. Éternelle ennemie de Derrida, Ruth Marcus joue bien sûr un rôle actif dans cette campagne. Mais parmi les signataires, on trouve aussi le célèbre mathématicien René Thom. D'après leur lettre, qui évoque irrésistiblement les romans de David Lodge (cette dernière remarque illustre le tour hagiographique de la biographie en question), l'oeuvre "nihiliste" de Derrida présente de redoutables dangers. Son principal effet est "de nier et de détruire les niveaux de preuves et de discussions sur lesquelles sont basées toutes les disciplines universitaires" :
" M. Derrida semble être parvenu à fonder une sorte de carrière à partir de ce qui nous apparaît comme une traduction dans la sphère académique de tours et d'astuces proches du dadaïsme et de la poésie concrète. Sous cet angle, il a certainement fait preuve d'une considérable originalité. Mais une telle honorabilité ne fait nullement de lui un candidat crédible pour un doctorat honoris causa "
Pendant les semaines suivantes, la polémique est largement relayée, en Grande-Bretagne et ailleurs. Pour stigmatiser le style et la pensée de Derrida, on lui attribue une formule parfaitement imaginaire, celle de "logical phallusies" (on reconnaît les logical fallacies honnies des analytiques). Howard Erskine-Hill, professeur d'histoire de la littérature anglaise, est un des plus virulents détracteurs de l'auteur de Glas. Selon lui, les méthodes de Derrida sont à ce point incompatibles avec le concept même de l'enseignement supérieur et de la connaissance que lui accorder un doctorat honoris causa "revient à nommer un pyromane au poste de chef des pompiers ". Une universitaire, Sarah Richmond, déclare pour sa part dans l'hebdomadaire allemand Der Spiegel que les idées de Derrida constituent "un poison pour les jeunes gens", reprenant sans y prendre garde l'argument employé vingt-cinq siècles plus tôt contre Socrate (j'ose dire qu'ici l'hagiographie frise le ridicule). Tandis que l'Observer décrit l'oeuvre de Derrida comme un "virus informatique". Tout semble bon pour attaquer le philosophe français : dans certains articles, on indique même s'il a été arrêté à Prague pour "trafic de drogue" sans préciser qu'il s'agissait d'un coup monté " (p. 547-548)
Il n'est guère sérieux de mettre sur le même plan la protestation quinienne et le coup monté praguois, mais, soyons rassuré, Derrida s'en est mieux sorti que Socrate ! Le 16 mai 1992, " le "oui" s'impose par 336 voix contre 204". Certes un tel vote n'avait pas été organisé depuis 30 ans.
Il va de soi que si on lisait ce billet comme une incitation, au demeurant passablement médiocre, à ne pas lire Derrida ou pire comme une volonté de dénigrer sa personne et toute son oeuvre, on se tromperait lourdement : si l'oeuvre semble avoir par endroits une dimension plus poétique que philosophique, autant son ampleur que la personnalité de son auteur m'imposent, au-delà des divergences théoriques profondes, un fort respect.