Margarete Buber-Neumann dans le récit de sa déportation à Ravensbrück rapporte qu'elle a été Blockälteste (responsable) d'un baraquement où étaient regroupées des femmes témoins de Jéhovah. Faisant l'étiologie de leur croyance, elle écrit :
" Ces cinq cents femmes étaient devenues témoins de Jéhovah pour des raisons différentes. Les unes parce qu'elles étaient elles-mêmes épouses de témoins de Jéhovah - des "modérées" pour la plupart - ; d'autres, peu nombreuses, tenaient cela de leurs parents. Le reste avait connu la "révélation" à un moment ou à un autre. Leurs récits indiquaient qu'elles avaient grandi la plupart du temps dans des milieux très pauvres, avaient toujours eu à se débattre dans toutes sortes de difficultés économiques et avaient connu, pour celles qui étaient mariées, des unions malheureuses. En fait, la vie de toutes ces femmes avait été un naufrage et c'est la raison pour laquelle elles la détestaient. Elles fuyaient la responsabilité que le combat pour l'existence leur avait imposée, s'installaient dans le rôle du martyr - le témoin de Jéhovah - et s'insurgeaient en conséquence contre celles qui " prenaient la vie du bon côté ". Adhérant à cette foi, elles changeaient de situation d'un seul coup : auparavant elles n'étaient que des êtres asservis, écrasés, confrontés à un destin impitoyable ; tout à coup, elles devenaient des " élues " s'élevant au-dessus de l'humanité tout entière, et leur ancienne rancoeur contre les injustices subies se transformait en haine contre tout ce qui n'appartenait pas à leur communauté. Investie du rôle d'instrument privilégié de la vengeance divine de Jéhovah, chacune d'entre elles se grisait à l'idée que les incroyants se trouveraient précipités dans la damnation - tandis qu'elles seules échapperaient à ce cruel destin. " (Déportée à Ravensbrück, 1985, Éditions du Seuil, 1988, pp. 318-319)