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lundi 3 octobre 2016

Boomorphisme.

J'ai déjà cité ces lignes de Xénophane, telles que Clément d'Alexandrie les rapporte dans les Stromates:
« Cependant si les bœufs, les chevaux et les lions
Avaient aussi des mains, et si avec ces mains
Ils savaient dessiner, et savaient modeler
Les œuvres qu’avec art seuls les hommes façonnent,
Les chevaux forgeraient des dieux chevalins,
Et le bœufs donneraient aux dieux forme bovine :
Chacun dessinerait pour son dieu l’apparence
Imitant la démarche et le corps de chacun. » (V, 110)
Louis Guilloux les avait peut-être à l'esprit en écrivant dans Le sang noir :
" Si l'on avait pu rêver que les boeufs aient jamais vécu en société à l'image des hommes, et qu'eût germé dans leur cervelle de boeufs, l'idée de construire une église à leur image, cette bâtisse opaque eût fourni un merveilleux exemple d'architecture bovine, sur quoi la sagacité des petits archéologues bovins eût pu s'exercer." (Le Livre de Poche, 1969, tome II, p.85)

Commentaires

1. Le mardi 4 octobre 2016, 20:52 par Arnaud
A vrai dire, il n'est pas difficile d'imaginer ce que serait, pour les bœufs, l'étable de la Loi, par ailleurs, à coup sûr, source d'inspiration principale de leur architecture.
Sérieusement, comment Guilloux aurait-il pu écrire ce passage sans penser à Xénophane ?

mercredi 21 septembre 2016

La mouche de Wittgenstein, faite homme ?

" "Où en étions-nous ?
- ... un art qui enseigne aux hommes à se conduire dans la vie.
- Bon. Enchaînons. En titre : "Morale individuelle et morale sociale." Écrivez !"
Le dos voûté, les mains au fond des poches, il reprit sa dictée, d'une voix pleine de saccades et d'irritation, d'un ton qui réprouvait chacune de ses paroles. L'oeil mort derrière le lorgnon, cherchant la lumière comme un souvenir, il avait l'air d'une grosse mouche prisonnière, bourdonnant contre une vitre. Dans les silences de sa dictée, sa bouche se crispait, ses lèvres minces semblaient disparaître, avalées, et la pointe du menton remontait. Les plumes grinçaient. Il continuait : " "Une question se pose : celle de savoir si la morale individuelle doit être subordonnée à la morale sociale, ou au contraire la sociale à l'individuelle, ou si les deux morales doivent être juxtaposées et benéficier de droits égaux. Selon certains philosophes..."" (Louis Guilloux, Le sang noir, 1935, éd. Livre de Poche, 1969, p.249)
Si la mouche emprisonnée symbolise l'homme pris au piège des problèmes philosophiques, le professeur de philosophie du secondaire est on ne peut plus mouche parce qu'il doit faire connaître des problèmes philosophiques très divers, suggérer une multiplicité de solutions contradictoires et poser en plus comme problème philosophique l'identité du problème philosophique lui-même .
Peut-on dire de la mouche secondaire qu'elle est payée à passer sans fin d'un piège à l'autre alors que la mouche universitaire gagnerait sa vie à explorer un seul piège ?
Mais la mouche peut être comédienne, faisant comme si elle venait buter aux parois alors que, les voyant venir de loin et accoutumée à leur résistance, elle les effleure à peine. Elle se donne seulement en spectacle, jouant à vouloir sortir du labyrinthe mais, s'étant fait une raison, elle se sait condamnée à y rester.
Les spectateurs aiment bien voir les mouches passer leur temps à se débattre. Certains les prennent au sérieux et compatissent, la plupart les gaussent. Néanmoins quelques-uns, rarissimes, en vont jusqu'à se rêver mouches.

Commentaires

1. Le jeudi 22 septembre 2016, 18:04 par Elias
Une partie du numéro de la mouche comédienne consiste à essayer de convaincre les spectateurs qu'eux aussi sont des mouches dans la bouteille même s'ils ne s'en étaient jamais rendus compte jusque là.

vendredi 16 septembre 2016

Quand le bordel est le monde des Idées.

" Ah ! là ! là ! Que ne pouvait-il filer ! Rompre sa chaîne ! Mais depuis longtemps, il n'était plus, comme les autres, qu'un homme des fonds, garrotté. Peu probable qu'il ait jamais l'audace d'un acte de délivrance. Ici, rien ne poussait au joyeux courage libérateur : tout poussait à un courage désespéré, où la mort coïncidait avec la levée d'écrou. Monde fini. Usé jusqu'à la corde. Ah ! là ! là ! oui : filer. Foutre le camp aux Indes néerlandaises ou ailleurs.
Contempler ton azur ô mer équatoriale !
brûler la politesse à cette soi-disant civilisation dont... à laquelle... la guerre du Droit et tout le sacro-saint fourbi ! Filer, oublier et renaître !
D'autres qu'il admirait avaient eu ce courage. Du jour au lendemain, ils avaient rompu leur ban d'infamie, brisé l'amarre qui les enchaînait à un présent, à un passé, à un avenir également ignobles. Libres, ils avaient couru toute leur chance. Mais lui... " Mais moi ? Est-ce qu'on file ? Java est loin ! " Il ne filerait jamais que jusqu'à sa petite villa, au bord de la mer, et toute la journée il chasserait, pêcherait des coquillages, bouquinerait, si l'envie lui en revenait. Il se baignerait dans une solitude, mais pour combien de temps encore, inviolée ? La mer serait tiède...
Homme libre, toujours, tu chériras la mer... (Louis Guilloux, Le sang noir, 1935)
Le ciel du cygne baudelairien paraìt être devenu une destination exotique, inaccessible pour Cripure, petit professeur de philosophie.
En fait la réalité absolue des Idées, c'est en fonctionnaire que Cripure y a accès, une fois par an, à l'occasion du bac :
" Il écrivait à l'avance à la patronne pour qu'on lui retînt une chambre et passait là trois ou quatre jours dans la compagnie des filles qui, elles au moins, avaient, n'est-ce pas, sur les autres femmes et en général sur l'humanité soit-disant civilisée un avantage primordial : celui d'être absolument vraies (...) C'était pour lui comme une sorte de Java à portée de la main."
Que sont devenues les Idées ! On ne les trouve même pas dans les grandes idées de l'époque, toutes mystificatrices, toutes justificatrices de massacres.
Et ce n'est donc pas le cours de philo qui les apporte aux futurs bacheliers, "ces petits messieurs, pauvres gosses volés, dupés scandaleusement."
Non, elles se trouvent plutôt dans un avatar inattendu : la chair des filles, précieuse non pour le plaisir qu'elle donne ("Il couchait peu avec elles"), mais pour exhiber le fond sordide et sinistrement réel du monde.

Commentaires

1. Le samedi 17 septembre 2016, 19:06 par angela Cleps
Au moins Cripure n'avait pas besoin de séduire ses étudiantes, comme l'image courante du prof de philo au cinéma le laisse croire ( Bruno Kremer dans je ne sais plus quel film avec Vanessa Paradis, Catherine Deneuve dans Les Voleurs, etc.)
2. Le samedi 17 septembre 2016, 20:14 par Arnaud
Noce blanche (me semble-t-il) de Jean Claude Brisseau, tout à fait oubliable...
3. Le samedi 17 septembre 2016, 20:39 par Elias
Sur l'image du prof de philo qui couche avec ses élèves on peut aussi citer Terminale de Francis Girod (sur un scénario de Gérard Miller).
4. Le samedi 17 septembre 2016, 20:54 par Arnaud
Sans oublier L'homme irrationnel de Woody Allen (2015), mais, à la suite de la coucherie, le film s'achève sur la tentative de meurtre de l'étudiante... Mais nous sommes loin de Guilloux.
5. Le dimanche 18 septembre 2016, 19:27 par Philalèthe
J'explique dans le post de ce dimanche pourquoi  il ne faut pas coucher avec ses élèves, pas plus qu'avec ses disciples.