Ai je besoin de dire mon sentiment pour le scepticisme de Montaigne, en tant qu'il a pour mobile cardinal de vivre en paix parmi les conflits idéologiques des hommes, causes de ces guerres civiles qui gênaient sa tranquillité,en même temps que de supprimer ces conflits afin précisément de vivre en paix, et dans lequel je vois encore la volonté de ne point adopter un idéal avec netteté et donc exclusivisme de manière à n'avoir point à la défendre ni à attaquer ceux qui veulent le détruire et à éviter les ennuis qu'impliquent de telles allures. Quant l'éloquent docteur souhaite la justice, l'humanitarisme, la liberté de conscience, c'est surtout qu'il y voit des avantages pour sa commodité personnelle; je ne le sens nullement disposé à se mobiliser pour le triomphe de ces valeurs et à porter la responsabilité de son enseignement par un fier Me adsum qui feci. J'ai même le sentiment que si d'autres prêchent des valeur contraires, il pense qu'il faut les laisser faire pou ne pas troubler la paix, c'est à dire sa chère quiétude. Sa morale réside assez bien dans le mot d'Horace : in propria pelle quiescere. Au surplus il assure qu'il n'y a pas une idée qui vaille de tuer un homme ni de se faire tuer pour elle, ce qui montre le cas qu'il fait d'une conviction morale. e somme ce scepticisme, fondé sur la dépréciation des engagements moraux et la terreur de leurs conséquences, me paraît fort méprisable.
Sans doute n'auriez-vous pas cru de votre vivant à la possibilité de votre résurrection. Mais elle est un fait et je m'en réjouis. Et je vois votre malice à m'envoyer un texte d'un enterré précisément tout à fait vif. Je n'ai pas le souvenir d'avoir lu des lignes vôtres sur Montaigne mais je dois l'avouer, votre mépris de son scepticisme trop accommodant ne me surprend pas. Les valeurs ont, je crois, pour vous une réalité objective et l'action comme la pensée doivent s'y subordonner. Je ne sais pas si vous avez écrit sur Descartes et Leibniz mais j'imagine que vous avez pris parti pour le Dieu de Leibniz, parce qu'il ne crée pas les valeurs mais s'y conforme. Enfin, je ne veux pas vous lasser. Sachez quand même que votre présence vivante me trouble et me ferait presque croire, horribile dictu, au miracle. Cher maître, recevez l'expression de mon profond respect.
Je lis la Préface écrite par Étiemble en 1958 à votre Trahison des Clercs. Il y met Montaigne sur le même plan que Montesquieu, Voltaire, et Zola :
" Montaigne s'oppose aux procès de sorcellerie, au massacre des Caraïbes, au pillage des Indes Orientales "
Ne devez-vous pas donner raison à un des rares hommes qui de votre vivant vous a défendu ? Ne voyez-vous pas un seul aspect de Montaigne, celui qui précisément vous déplaît tant ?
Commentaires
Mais elle est un fait et je m'en réjouis.
Et je vois votre malice à m'envoyer un texte d'un enterré précisément tout à fait vif.
Je n'ai pas le souvenir d'avoir lu des lignes vôtres sur Montaigne mais je dois l'avouer, votre mépris de son scepticisme trop accommodant ne me surprend pas. Les valeurs ont, je crois, pour vous une réalité objective et l'action comme la pensée doivent s'y subordonner. Je ne sais pas si vous avez écrit sur Descartes et Leibniz mais j'imagine que vous avez pris parti pour le Dieu de Leibniz, parce qu'il ne crée pas les valeurs mais s'y conforme.
Enfin, je ne veux pas vous lasser. Sachez quand même que votre présence vivante me trouble et me ferait presque croire, horribile dictu, au miracle.
Cher maître, recevez l'expression de mon profond respect.