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vendredi 15 mars 2019

Destruction d'un champ scientifique.

" Réélu en avril, Viktor Orban a décidé de s’attaquer, cette fois, à l’Académie hongroise des sciences (MTA), le plus ancien et le plus grand organisme de recherches du pays. Fondée au XIXe siècle, l’Académie symbolise la renaissance nationale, à l’époque, de ce pays d’Europe centrale.
Le 12 février, des centaines d’universitaires ont manifesté pour dénoncer la reprise en main de cette institution qui est l’une des plus respectées du pays. A la fin du mois de mars, le gouvernement souverainiste de Viktor Orban devrait en effet annoncer qu’il distribuera désormais directement les crédits alloués à la recherche, privant de ce fait l’Académie et ses 5 000 salariés de l’autonomie dont ils disposaient jusqu’alors. Les sommes en jeu sont considérables : le budget annuel de l’institution atteint 40 milliards de forints (127 millions d’euros).
Dans un courrier adressé à des scientifiques qui critiquent cette réforme, le premier ministre hongrois affirme que ces changements sont justifiés par la volonté de « permettre au savoir de générer des avantages économiques directs ». « Malheureusement », ajoute le chantre de l’illibéralisme, « les classements internationaux montrent que la Hongrie est l’un des pays européens les moins performants en matière d’innovation. »" lis-je dans Le Monde du 16-03-2019.
Dans un champ scientifique, pour reprendre le concept de Pierre Bourdieu, la seule finalité est la production du savoir. À cette fin, le chercheur a un intérêt personnel à produire et à aider à produire (je pense là à l' évaluateur) un savoir impersonnel. Quand l'État au plus niveau voit dans le savoir seulement un moyen de générer du profit, le démantèlement du champ scientifique est à l'oeuvre. Il ne manquera plus grand chose pour qu'on appelle savoir les idées qui rapportent...

Commentaires

1. Le mardi 19 mars 2019, 03:49 par lena galpesc
"Dans un champ scientifique, pour reprendre le concept de Pierre Bourdieu, la seule finalité est la production du savoir"
Il me semble que vous idéaliséez un peu la position de Bourdieu: le champ scientifique selon lui n' a pas cette seule finalité. Il a aussi des enjeux sociaux et politiques, associés au désir de reconnaissance. Certes Bourdieu n'est pas Latour, mais il n'est pas Merton ! cf
2. Le mardi 19 mars 2019, 21:13 par Philalèthe
Merci pour le lien.
Oui, je vous l'accorde, j'ai simplifié ! Mais le désir de reconnaissance n'est-il pas dans un champ scientifique produit comme désir de reconnaissance de l'objectivité des recherches, de l'aptitude à produire des vérités impersonnelles ? Certes existent aussi des enjeux sociaux et politiques mais le champ n'est-il pas structuré de telle manière que leurs poids maximisent la probabilité de la production de la vérité ? On me dira que je décris plus le champ scientifique tel qu'il doit être (où le déterminisme social tend à favoriser la découverte du vrai) qu'un champ scientifique réel, où les enjeux sociaux et politiques ont malheureusement aussi des effets perturbateurs épistémologiquement parlant. C'est alors comme l'idée de démocratie un idéal régulateur.
3. Le jeudi 21 mars 2019, 21:53 par lena galpesc
Le champ scientifiques est il mertonien? je ne crois pas que Bourdieu l'ait pensé.
Il n'a pas une vue cynique , mais le principe d'un champ est de viser une certaine distribution de pouvoir et de reconnaissance.Supprimez médailles, prix, argent des labos, reconnaissance académique, aurait on beaucoup de savants ? En chine on paie les scientifiques pour le nombre d'articles publiés!
4. Le vendredi 22 mars 2019, 15:26 par Philalèthe
Pas de doute : Bourdieu construit sa conception du champ scientifique, entre autres, contre Merton : aussi présente-t-il la position mertonienne dans un chapitre  de Science de la science et réflexivité intitulé Une vision enchantée. Une des critiques adressées à Merton est de transformer le champ divisé (en communauté unie) et donc de ne pas  prendre en compte les luttes internes de pouvoir et de reconnaissance. Mais ces luttes internes ne sont-elles pas une des conditions nécessaires de la découverte de la vérité ? L'important étant que médailles et titres soient réellement distribués aux meilleurs des scientifiques dans un domaine donné, ce qui implique que les critères de sélection des meilleurs soient scientifiques et non politiques, économiques etc.
Cela dit, il y a un aspect de Merton que Bourdieu reprend : je pense à ce que Bourdieu appelle lui-même le "réalisme" de Merton -  le monde social existe, la science existe (ibid. p.30) -. On pourrait ajouter : la vérité existe. 
S'il fallait choisir entre l'objectivisme de Merton et le subjectivisme de Latour, je choisirais le premier , surtout à notre époque hyper-subjectiviste et anti-réaliste, en somme pour tordre le bâton dans l'autre sens.
En tout cas, je reconnais que la fin du billet offre une lecture mertonienne et enchantée de Bourdieu, j'ai été trop bref...
5. Le dimanche 24 mars 2019, 01:31 par lena galpesc
Certes les luttes internes sont la condition de l'obtention de la vérité. Mais toute la question est : cette dernière est-elle expliquée par celles-là? Bourdieu est souvent dangereusement près de cette idée.
6. Le dimanche 24 mars 2019, 12:19 par Philalèthe
Bourdieu distingue nettement les connaissances réellement rationnelles des croyances arbitraires déguisées en rationnelles/universelles. Il ne dénonce pas les Lumières mais l'obscurantisme des Lumières, comme dans cette page des Méditations pascaliennes : 
" L'obscurantisme des Lumières peut prendre la forme d'un fétichisme de la raison et d'un fanatisme de l'universel qui restent fermés à toutes les manifestations traditionnelles decroyance et qui, comme l'atteste par exemple la violence réflexe de certaines dénonciations de l'intégrisme reigieux, ne sont pas moins obscurs et opaques à eux-mêmes que ce qu'ils dénoncent." (p.94)
Mais c'est vrai qu'il associe cet obscurantisme à une propriété intrinsèque de la raison : "la virtualité d'un abus de pouvoir", ce qui est en un sens dans la tradition kantienne. Certes on pourrait rendre compte de ces rationalisations néfastes sans pour autant en faire des effets possibles de la raison. Reste que Bourdieu croit dans la réalité d'un universel scientifique autant que moral, comme par exemple on le lit dans ce passage du même ouvrage : 
" Il faut prendre acte de l'universalité de la reconnaissance officiellement accordée aux impératifs d'universalité, sorte de "point d'honneur spiritualiste" de l'humanité : impératifs d'universalité cognitive qui imposent la négation du subjectif, du personnel, au profit du transpersonnel et de l'objectif ; impératifs d'universalité éthique qui demandent la négation de l'égoïsme et de l'intérêt particulier au profit du désintéressement et de la genérosité." (p.146)
Certes la citation de Marx au début est un peu inquiétante. Le chapitre duquel est tiré le premier texte est intitulé d'ailleurs L'ambiguïté de la raison
Sauf à me tromper, vous n'acceptez pas d'attribuer à la raison la responsabilité de son usage irrationnel. Raisonner mal n'est pas exercer d'une certaine manière la raison, c'est ne pas l'exercer.

lundi 11 avril 2016

Calliclès et Bourdieu : la philo, bonne pour les ados ?

Calliclès dans le Gorgias de Platon :
" Quand je vois un jeune, un adolescent qui fait de la philosophie, je suis content, j'ai l'impression que cela convient à son âge, je me dis que c'est le signe d'un homme libre (...) Mais si c'est un homme d'un certain âge, que je vois en train de faire de la philosophie, un homme qui n'arrive pas à s'en débarrasser, à mon avis, Socrate, cet homme ne mérite que des coups." (485 d-e)
Bourdieu le 19 octobre 1982 au Collège de France :
" Il y a dans la préhistoire des sciences sociales, une sorte de fascination sur un certain nombre de problèmes légués par la philosophie, au mauvais sens du terme, comme tous les tristes topiques du genre " expliquer et comprendre ", " sciences de l'homme et sciences de la nature ", " y a-t-il une spécificité des sciences de l'homme ? ", etc. Toutes ces discussions sur le rapport du monde social, qui peuvent avoir une fonction éminente dans l'enseignement - il faut bien enseigner quelque chose - et aussi dans la discussion un peu adolescente sur le monde social, doivent, me semble-t-il, être évacuées du discours scientifique."

Commentaires

1. Le samedi 16 avril 2016, 14:07 par Arnaud
La conception exprimée ici par Calliclès ne rejoint-elle pas l’opinion commune sur la philosophie qui avait cours chez les Athéniens de cette époque ? Elle envisageait la philosophie comme une formation éducative parmi d’autres ou encore comme une gymnastique mentale et verbale bonne pour la jeunesse, mais par la suite inutile voire ridicule et nuisible chez l’homme mûr. Il est clair que cette philosophie qui convient à l’adolescent mais non à l’adulte n’a que peu de choses à voir avec celle que pratique Socrate : pour Calliclès, une vie réussie est une vie où l’on se distingue sur l'Agora, notamment par l’éclat du discours. On devine sans peine sa fascination pour la rhétorique qu’il confond purement et simplement avec la philosophie… Dans cette optique, le parallèle avec cet extrait de Bourdieu n'est-il pas hasardeux ?
2. Le dimanche 17 avril 2016, 09:40 par sale pelcange
proposition : pas de philosophie avant 25 ans ( avant les esprits ne sont pas mûrs), et pas après 70 ans ( après ils sont trop mous).
Et sanctions pour ceux qui continuent après cet âge.
3. Le dimanche 17 avril 2016, 11:41 par Philalethe
à sale pelcange
voilà une proposition platonicienne en tant qu'elle légifère dans les choses de l'esprit et non platonicienne en tant qu'elle y condamne la gérontocratie.
Mais l'exclusion des plus de 70 ans est trop générale, je propose donc après 70 ans une censure d' État constituée des meilleurs philosophes et jugeant au cas par cas.
4. Le dimanche 17 avril 2016, 11:47 par Philalethe
à Arnaud
Un parallèle ne veut pas dire une identification. L'arrière-plan des deux condamnations de la philosophie est bien différent : pour Calliclès, c'est la vie active qui la justifie, pour Bourdieu, c'est la science.
Cela dit, il y a de nombreux textes chez Bourdieu qui expriment ce désir d'en finir avec la philosophie, ce qui est en aucune manière une misologie.
Certes les références aux philosophies sont multiples chez lui mais elles ne sont pas vraiment respectueuses ; il se sert des concepts philosophiques des autres comme les chrétiens ont récupéré pour leurs églises les restes des monuments païens...

dimanche 10 avril 2016

Pierre Hadot ou le livre de philosophie vu comme un manuel de gymnastique de l'esprit.

Bien avant que Pierre Hadot n'écrivît Qu'est-ce que la philosophie antique ? (1995), Pierre Bourdieu dans son cours au Collège de France développait une distinction entre usage pratique et usage théorique du livre :
" Les lecteurs professionnels liront tous les textes comme s'ils avaient été faits pour être lus, alors que le manuel de gymnastique est fait, non pas pour être lu, mais pour être exécuté et le livre de prière tibétain pour être psalmodié, dansé, chanté (...) ces textes ne sont pas destinés à la lecture, et surtout pas (...) à la recherche des cohérences cachées, etc. On en a une preuve dans le fait que ces textes, souvent, ne résistent à la recherche d'une cohérence que jusqu'à un certain point, au-delà duquel ils cassent, parce que l'une des propriétés de la logique pratique est, précisément, d'être valable en pratique, c'est-à-dire pour les besoins d'une urgence et jusqu'à un certain point." (Sociologie générale, cours du 12 octobre 1982, Le Seuil, 2015, p. 254-255)
Face à un texte théorique qui "casse", par exemple qui est contradictoire, on peut donc toujours le sauver de la condamnation en le voyant comme un texte à vivre et non comme un texte à évaluer en termes de vrai et de faux.
Il va de soi que Bourdieu n'envisageait pas que les textes philosophiques pussent être vus comme des textes ayant comme premier but de modifier pratiquement leur lecteur.
Pierre Hadot proposera pourtant de voir les contradictions théoriques contenues dans un texte antique non pas comme des fautes logiques mais comme des tactiques opposées visant le même but, soit la transformation psychologique du lecteur.
Ludwig Wittgenstein, avant lui, semble avoir proposé de voir tous les textes religieux sous ce jour : dénués de vérité, ils se réduiraient alors à des instruments de salut, plus ou plus moins adaptés à soi, plus ou moins efficaces. Mais, si je crois dans la valeur de l'Évangile, n'est-ce pas parce que je juge ce texte vrai dans un sens très ordinaire ? Je le juge alors en accord avec une réalité surnaturelle qui m'échapperait sans lui.
Manifestement cette lecture pratique des textes, que Bourdieu oppose à la lecture savante et philologique, est une aubaine pour tous les textes en délicatesse avec la vérité.
Mais quand on lit les philosophes antiques, faut-il vraiment remplacer l'habitus savant par l'habitus pratique ? Ces philosophes n'étaient-ils pas d'abord des savants s'adressant à d'autres savants ?

Commentaires

1. Le dimanche 17 avril 2016, 09:44 par sage canpell
Pour la thèse selon laquelle la philosophie c'est de la gymnastique tout court, voir Vespérini, Marc Aurèle, Verdier 2016.
Assez convaincant.
2. Le dimanche 17 avril 2016, 11:51 par Philalethe
Je dois donc lire cet ouvrage. Merci !
Je crois en effet qu'il y a dans le stoïcisme un idéal de bonne figure : il faut s'entraîner pour tenir son rôle, ne pas faiblir dans sa fonction sociale et les officii qui lui correspondent.
Bien sûr une métaphysique prétend fonder en vérité ce training de l'esprit.

mercredi 16 mars 2016

D'un usage ambigu de la notion de vérité dans une page de Bourdieu.

Dans son cours donné au Collège de France le 16 Juin 1982, Pierre Bourdieu dit :
" S'il y a une vérité, c'est que la vérité est un enjeu de luttes."
Moi, je me dis : " Non, il y a une vérité, elle est indépendante des luttes, mais il est possible que sa connaissance, elle, soit un enjeu de luttes."
Je découvre vite en poursuivant ma lecture que la lutte dont parle Bourdieu a comme but non de connaître la vérité mais de faire croire aux autres groupes que ce que le groupe tient pour vrai est vrai, dit autrement, de faire reconnaître comme étant des vérités des croyances :
" Cela découle de cette proposition selon laquelle chaque groupe a intérêt à sa propre vérité et qu'un groupe qui prend à son compte la vérité du groupe antagoniste se suicide en tant que groupe."
Je traduis avec mes mots : " chaque groupe a intérêt à faire passer ses croyances pour vraies et un groupe qui tient pour vrai ce que le groupe antagoniste tient pour vrai se suicide en tant que groupe." Ce qui devrait amener à conclure que les croyances sont multiples, mais, surpris, inquiet même, je lis :
" Autrement dit, la vérité n'est pas une, mais multiple et il n'y a guère de proposition universelle sur le monde social."
Béotien qui tenait la sociologie pour une science, désormais déçu, je pense alors que la sociologie n'est pas un savoir, mais seulement un ensemble de croyances ( d'un ou de plusieurs groupes ).
Avide de connaître la suite, allant même jusqu'à sauter quelques lignes, je reprends ma lecture :
" D'une certaine façon, la vérité étant un enjeu de luttes, il appartient à la science sociale, non pas de décider où est la vérité, mais de savoir que s'affrontent deux vérités qui ne sont pas pour elles-mêmes relativisables, "vérité" étant pris, je le répète, dans le sens nietzschéen de perspective fondée dans des intérêts vitaux."
Certes je partage l'idée que la vérité n'est pas quelque chose qui se décide mais je faisais confiance au sociologue pour qu'il me communiquât la vérité qu'il a découverte sur la société. Cela dit, Bourdieu reconnaît tout de même à la sociologie la fonction de savoir la vérité mais seulement sur les affrontements de vérités, non, mieux dit, sur les affrontements de "vérités", ah salvateurs guillemets, mais si tardifs !
Je vais donc quitter cette page un peu rassuré ; certes le sociologue a révisé à la baisse ses classiques prétentions gnoséologiques puisque, malgré son travail, de la société on ne saura rien. Néanmoins il ne renonce pas à la possibilité de me fournir un savoir vrai sur les luttes ; luttes qui ont lieu non entre des vérités (comment donc des vérités pourraient bien lutter entre elles ? Elles n'ont pas de passions !) mais entre des groupes tenant à tort pour vraies leurs croyances sur la société.
Au fond, ce que Bourdieu appelle ici vérité avec ou sans guillemets, n'est-ce pas, plus clairement dit, ce que les marxistes désignent du nom, vieilli aujourd'hui, d'idéologie ?
Dois-je ajouter que ce billet ne veut être rien plus que la communication d'une réflexion rendue perplexe par la lecture de la p.188 du cours de Sociologie générale (Seuil, 2015) ?

Commentaires

1. Le samedi 26 mars 2016, 03:37 par Nagel Lescap
la vérité ne peut elle être la vérité tout en étant enjeu de luttes ?
2. Le samedi 26 mars 2016, 12:57 par Philalèthe
Oui la vérité est ce qu ' elle est et en plus elle est enjeu possible de luttes mais j ' ai cru lire dans certaines lignes de Bourdieu qu ' elle ne serait rien de plus que le nom trompeur donné à leurs croyances par ceux qui luttent pour les faire reconnaître comme universellement vraies.
3. Le samedi 26 mars 2016, 19:05 par Nagel Lescap
Mais quand bien même y aurait une lutte entre ceux qui luttent pour faire reconnaître leurs croyances comme universellement vraies et ceux qui pensent qu'elles ne peuvent pas l'être, cela ne changerait rien au fait que la vérité est ce qu'elle est. Si nous luttons pour un morceau de fromage, et que vous dites qu'il est pourri alors que je le trouve très parfumé, cela ne change rien au fait que le fromage pue.
4. Le samedi 26 mars 2016, 19:13 par Philalèthe
Je préfère dire que ça ne change rien au fait que c ' est par exemple de l ' Époisses.
5. Le dimanche 27 mars 2016, 00:17 par Astwin
Une même vérité peut s'exprimer de bien des manières différentes.
Mais peut-être est-il exact de considérer qu'il existe une Vérité Universelle et que celle-ci comme dans le Tableau de Cébès est celle qui trône au sommet du chemin escarpé de la vie. Toute Universelle qu'elle soit, elle s'offre à Tous mais peu y parviennent par défaut, souvent malheureusement, de concupiscence comme le faisait si justement remarquer Pascal.
6. Le dimanche 27 mars 2016, 12:27 par Philalèthe
On peut avoir une conception de l ' universellement vrai moins grandiose:  ainsi est-il universellement vrai que je vous réponds, Astwin.

jeudi 27 février 2014

La critique d'art révisée à la baisse par la sociologie critique ou comment prendre au sérieux ce qui n'est pas sérieux.


Bourdieu, qui a dans ces moments quelque chose de sinon désespéré, du moins de désabusé et d'un tantinet méprisant, ne mâche pas ses mots le 26 Janvier 2000 dans son cours au Collège de France sur Manet .
Après avoir posé le problème de savoir si l'impression ( des peintres impressionistes ) révèle l'objet vu ou le sujet voyant et après avoir mentionné les "étiquettes" dont on dispose pour qualifier les différents courants artistiques ( naturalisme, impressionisme, symbolisme, romantisme ), il ajoute :
" Il n'y a rien de plus vaseux que la critique picturale, il n'y a pas de raison pour que cela ait été mieux à d'autres époques. C'est extrêmement confus, et une des erreurs consisterait à mettre plus de logique dans l'objet qu'il n'y en a dans la réalité. Il faut respecter ces objets, il faut les prendre comme ils sont, mais en sachant que ce n'est pas le concept taillé à la serpe logique, ce sont des intuitions conceptuelles destinées à exprimer des impressions confuses à propos d'objets polysémiques." ( p. 326 )
En plus d'être vaseuse, la critique picturale vise autre chose que ce qu'elle prétend faire :
" On voit bien que ces enjeux conceptuels sont toujours des enjeux politiques, pas au sens de " la politique " au sens ordinaire, mais politiques dans le champ artistique : est-ce que j'annexe Manet comme un ancêtre du symbolisme ou est-ce qu'au contraire je le repousse comme le dernier des barbares, aussi abruti que Courbet ? (...) Je dis ça de manière volontairement simpliste parce que je pense qu'une part énorme du discours artistique, du discours sur l'art, a pour but de cacher ces enjeux et de les masquer sous de la foutaise théorique, de la foutaise conceptuelle. Je pense qu'il vaut mieux le savoir, ce qui ne veut pas dire ne pas le prendre au sérieux - c'est une autre forme de sérieux, différente de celui que les gens s'accordent. Parce qu'il n'y a rien de plus sérieux que les critiques d'art." ( p. 327-328 )
Mais qu'est-ce que le vrai sérieux du point de vue de Bourdieu ?
C'est suivre un précepte valable pour tous ceux qui font des sciences sociales ( historien, sociologue, ethnologue, etc. ) : il faut historiciser et l'objet de l'enquête et l'enquêteur - ses problèmes, ses concepts, etc. -.
Historiciser l'objet, ça ne fait pas douter de la capacité d'atteindre la vérité sur cet objet, précisément la vérité sur ses conditions historiques de possibilité.
En revanche c'est plus délicat d'historiciser l'enquêteur car si on ne veut pas s'enfermer dans un historicisme auto-réfutant, il faut se livrer à un effort qui a quelque chose d'héroïque : purifier la connaissance de l'enquêteur sur l'objet en la débarrassant de tout ce qu'elle doit à l'histoire ( à la mauvaise histoire, si on peut dire ) et qui la limite en termes de vérité.
Il y a quelque chose du geste du Baron de Münchhausen dans le fait de se plonger intégralement dans l'histoire et de vouloir en même temps en sortir pour faire de la sociologie une science vraie et pas juste une construction de l'esprit socialement conditionnée.
On sent chez Bourdieu d'ailleurs souvent de la souffrance et du doute : suis-je arrivé sur le sol ferme du vrai ou le crois-je à tort, pris que je suis dans des croyances historiquement causées mais seulement illusoirement vraies ?
Si le sociologue se pense dès le début complètement et essentiellement dedans (la société, l'histoire, le champ etc.), comment peut-il espérer être un jour dehors pour voir clairement ?
Ne faut-il pas croire qu'on est toujours au moins un peu dehors pour garder une confiance raisonnable dans la possibilité de connaître la vérité ?
Ne pas historiciser : naïveté ; tout historiciser : incapacité de connaître le vrai.

mercredi 15 janvier 2014

Blogs et impressionnisme.

 " Il faut être endimanché, et Les Romains de la décadence de Couture est un exemple parfait de peinture endimanchée."
Dans son cours au Collège de France consacré à Manet, Pierre Bourdieu évoque l'hypothèse formulée par Albert Boime dans The Academy and French Painting in the nineteenth century (1971), selon laquelle " il n'y a pas eu vraiment de révolution impressionniste dans la mesure où celle-ci aurait consisté essentiellement à constituer en oeuvres achevées les esquisses des peintres académiques " (p.203).
Bourdieu explicite alors la distinction entre l'impression et l'invention :
" Pour la tradition académique, l'esquisse se distinguait du tableau comme l'impression, qui convient à la phase première, privée, du travail artistique, se distingue de l'invention, travail de la réflexion et de l'intelligence, accompli dans l'obéissance aux règles et appuyé sur la recherche érudite, notamment historique. Autrement dit, il y a deux phases : l'impression, qui est destinée à rester dans le secret de l'atelier, et l'invention qui est le travail proprement artistique."
Bourdieu finit par reprendre à son compte la définition en l'appliquant au travail intellectuel :
" C'est quelque chose que j'ai observé sur moi-même mais aussi sur des personnes avec qui j'ai pu travailler : si la lecture des épreuves de livres, par exemple, est une épreuve très angoissante, c'est qu'elle marque cette ligne invisible où la chose cesse d'être privée. Et de même pour la lecture du livre quand on le fait (c'est très dur), mais le livre achevé, c'est encore plus terrifiant parce qu'il a cette espèce de fini qui lui donne un côté fatal - les erreurs sont là, elles ne peuvent pas être corrigées, on les voit tout de suite alors qu'on ne les avait pas vues avant, etc." (p.205)
Je me dis alors que l'auteur de blog a quelque chose de l'impressionniste ; loin d'être terrifié à l'idée qu'il peut exposer publiquement ses insuffisances, il prend plaisir à communiquer l'inachevé. Il soumet sans les relire ses épreuves à l'épreuve du public (à supposer que son public ne soit pas seulement celui qu'il s'imagine avoir... Parions que les blogs sont zappés, copiés-collés, malmenés, mal compris mais bien peu lus !)
Il faudrait cependant ici différencier les blogs de recherche des blogs ordinaires : on pourrait comparer le blogger de recherche à un jeune artiste, contemporain de Manet, qui présenterait ses esquisses au public pour que par ses critiques il lui permette d'inventer et d'équivaloir les Couture, Cabanel, Bouguereau, grands maîtres de l'art pompier.
Terminons avec la figure du blogger honteux, je veux dire le grand maître qui à ses yeux se laisse aller :
" (...) Couture, le maître de Manet (...) avait une liberté critique particulière à l'égard de l'institution académique. Il portait souvent ses recherches vers des objets ou des choses proches de ceux des artistes indépendants. Par exemple, en matière de paysage ou de portrait, il accordait beaucoup d'attention à la fraîcheur et à la spontanéité de la première impression, et, bien que ces esquisses soient parfois troublantes, il ne fut jamais capable - selon Boime - de s'abandonner entièrement à l'improvisation dans ses oeuvres définitives, et il fut toujours freiné par le besoin de moraliser. Prisonnier de l'esthétique du fini qui s'imposait à lui quand il arrivait à la phase finale de son travail, en un sens - du point de vue des impressionniste -, il gâchait son travail en le finissant à l'extrême ; il identifiait la liberté à la première esquisse, mais il était désorienté lorsqu'il fallait la projeter à grande échelle pour en faire l'oeuvre publique, officielle." (p.204)
 "Dans le travail que j'avais fait il y a quelques années sur la photographie, j'avais montré que les gens ne se laissent pas photographier au naturel et veulent aussitôt prendre la pose, construire une image d'eux-mêmes, mettre leurs plus beaux vêtements, se rendre présentables"

Commentaires

1. Le jeudi 16 janvier 2014, 00:05 par Maël Goarzin
Merci pour ce billet, qui confirme mon goût pour l'impressionnisme, c'est-à-dire, à vous lire, l'inachevé. Je préfère penser que les tableaux impressionnistes, loin d'être inachevés, montrent davantage le mouvement et la sensibilité de l'existence, de la même manière que le blogger va, peut-être, à travers ses billets, montrer le mouvement de sa pensée, de manière plus libre et moins systématique qu'ailleurs.
Certes, le blogger (académique ou non) prend la pose, d'une certaine manière, même lorsqu'il blogue, mais il le fait d'une autre manière, peut-être plus naturelle, en tout cas plus personnelle, que dans un article ou un livre universitaire. Dès lors qu'il y a publication, quel que soit le média, il y a, quelque part, une certain souci de présentation. Mais ce souci n'est pas nécessairement, du moins je l'espère, synonyme d'emprisonnement, comme c'est le cas pour Couture.
2. Le jeudi 16 janvier 2014, 14:29 par clodoweg
Peinture "endimanchée" ? et pourquoi pas ?
Mais, et c'est pourquoi j'aime les peintres pompiers, le temps a passé et les "habits du dimanche" ont changé. Pour le goût moderne ces tableaux deviennent des objets étranges ou insolites.
Et de ce fait même, dérangeants.
3. Le jeudi 16 janvier 2014, 15:48 par Philalethe
à clodoweg :
Les "habits du dimanche" ont-ils changé ou ont-ils disparu ? Ne peine-t-on pas en effet à citer l'équivalent aujourd'hui de l'art pompier ? Désormais n'y a-t-il pas plus de dimanche pour la peinture que pour le commerce ?
À moins de dire tout simplement que c'est l'avant-gardisme académique...
4. Le jeudi 16 janvier 2014, 21:28 par Please Glance
Est qu'il n' y a pas de tout dans les blogs ? des tableaux achevés en style pompier? des esquisses? des gribouillages? Prenez les dessins de Poussin. lls sont tous des esquisses préliminaire à ses tableaux achevés, mais ils sont aussi très finis en eux mêmes, au point qu'on les traite à présent comme des oeuvres à part entière.
5. Le samedi 18 janvier 2014, 18:38 par clodoweg
Je reconnais être, faute de culture suffisante sur le sujet, incapable d'affirmer qu'il existe encore un art pompier.
Mais en voyant ce qui est exposé dans des endroits comme la FIAC, j'ai des soupçons.
6. Le mercredi 22 janvier 2014, 18:15 par Philalethe
à Please Glance :
Par hasard, lisant le dernier livre de Simone (p.53), je trouve ces lignes de Delacroix, qui peuvent faire douter de la pertinence de penser le blog sur le modèle de l'esquisse ; le peintre dans une lettre du 8 avril 1854 note " l'impossibilité d'ébaucher en littérature, de manière à peindre quelque chose à l'esprit, et la force, au contraire, que l'idée peut présenter dans une esquisse ou un croquis primitif (...) (en littérature), l'à-peu-près (...) est insupportable (... ) ; en peinture (...), une belle indication, un croquis d'un grand sentiment peuvent égaler les productions les plus achevées pour l'expression "

jeudi 29 août 2013

Le Descartes de Pierre Bourdieu.

En vue de clarifier la discussion, née de mon billet précédent, voici, présenté chronologiquement, l'essentiel des textes consacrés à Descartes par Pierre Bourdieu :
1970 La reproduction :
“ Le mythe cartésien d’une raison innée, i.e. d’une culture naturelle ou d’une nature cultivée qui préexisterait à l’éducation, illusion rétrospective nécessairement inscrite dans l’éducation comme imposition arbitraire capable d’imposer l’oubli de l’arbitraire, n’est qu’une autre solution magique du cercle de l’AuP (autorité pédagogique) : “Pour ce que nous avons tous été enfants avant que d’être hommes, et qu’il nous a fallu longtemps être gouvernés par nos appétits et nos précepteurs, qui étaient souvent contraires les uns aux autres, et qui, ni les uns ni les autres, ne nous conseillaient peut-être pas toujours le meilleur, il est presque impossible que nos jugements soient si purs ni si solides qu’ils auraient été si nous avions eu l’usage entier de notre raison dès le point de notre naissance, et que nous n’aurions jamais été conduits que par elle.” Ainsi, on n’échappe au cercle du baptême inévitablement confirmé que pour sacrifier à la mystique de la “deuxième naissance” dont on pourrait voir la transcription philosophique dans le phantasme transcendantaliste de la reconquête par les seules vertus de la pensée d’une pensée sans impensé (…) Dans le cas de la religion, de l’art, l’amnésie de la genèse conduit à une forme spécifique de l’illusion de Descartes : le mythe d’un goût inné qui ne devrait rien aux contraintes de l’apprentissage puisqu’il serait donné tout entier dès la naissance transmue en choix libres d’un libre arbitre originaire les déterminismes capables de produire tant les choix déterminés que l’oubli de cette détermination ” (p. 53-54)
1972 Esquisse d’une théorie de la pratique:
“ De même que pour Descartes “la création est continue, comme dit Jean Wahl, parce que la durée ne l’était pas” et parce que la substance étendue n’enferme pas en elle-même le pouvoir de subsister, Dieu se trouvant investi de la tâche à chaque instant recommencée de créer le monde ex nihilo, par un libre décret de sa volonté, de même, le refus typiquement cartésien de l’opacité visqueuse des “potentialités objectives” et du sens objectif conduit Sartre à confier à l’initiative absolue des “agents historiques”, individuels ou collectifs, comme “le Parti”, hypostase du sujet sartrien, la tâche indéfinie d’arracher le tout social, ou la classe, à l’inertie du “pratico-inerte”” (p.249, note 33)
1979 La distinction :
“ Une histoire sociale de la notion d’”opinion personnelle” montrerait sans doute que cette invention du 18ème siècle s’enracine dans la foi rationaliste selon laquelle la faculté de “bien juger”, comme disait Descartes, c’est-à-dire de discerner le bien du mal, le vrai du faux par un sentiment intérieur, spontané et immédiat, est une aptitude universelle d’application universelle (comme la faculté de juger esthétiquement selon Kant), - même si l’on doit accorder, surtout à partir du 19ème siècle, que l’instruction universelle est indispensable pour donner à cette aptitude son plein développement et fonder réellement le jugement universel, le suffrage universel.” (p.465)
1980 Le sens pratique:
“ Pareil au Dieu de Descartes dont la liberté ne peut trouver sa limite que dans une décision de liberté, celle par exemple qui est au principe de la continuité de la création – et en particulier de la constance des vérités et des valeurs -, le sujet sartrien, sujet individuel ou sujet collectif, ne peut s’arracher à la discontinuité absolue des choix sans passé ni avenir de la liberté que par la libre résolution du serment ou de la fidélité à soi-même ou par la libre démission de la mauvaise foi, seuls fondements des deux seules formes concevables, authentique ou inauthentique, de la constancia sibi.” (p.72)
1982 Leçon sur la leçon:
“ En faveur du parti de la science, qui est plus que jamais celui de l’Aufklärung, de la démystification, on pourrait se contenter d’invoquer un texte de Descartes que Martial Guéroult aimait à citer : “ Je n’approuve point qu’on tâche à se tromper en se repaissant de fausses imaginations. C’est pourquoi, voyant que c’est une plus grande perfection de connaître la vérité, encore même qu’elle soit à notre désavantage, que de l’ignorer, j’avoue qu’il vaut mieux être moins gai et avoir plus de connaissance.” La sociologie dévoile la self-deception, le mensonge à soi-même collectivement entretenu et encouragé qui, en toute société, est au fondement des valeurs les plus sacrées et, par là, de toute l’existence sociale.” (p. 32)
1983 Choses dites:
“ L’opposition entre le paradigme de la Rational Action Theory (R.A.T.), comme disent ses défenseurs, et celui que je propose avec la théorie de l’habitus, fait penser à celle qu’établit Cassirer, dans La philosophie des lumières, entre la tradition cartésienne qui conçoit la méthode rationnelle comme un processus conduisant des principes aux faits, par la démonstration et la déduction rigoureuse, et la tradition newtonienne des Regulae philosophandi qui préconise l’abandon de la déduction pure au profit de l’analyse qui part des phénomènes pour remonter vers les principes et vers la formule mathématique capable de fournir la description complète des faits.” (p.61-62)
1992 Réponses:
“ On peut se demander, comme vous le faites, s’il faut alors parler de stratégie. Le mot est fortement associé à la tradition intellectualiste et subjectiviste qui, de Descartes à Sartre, a dominé la philosophie occidentale et qui connaît aujourd’hui un nouvel essor avec une théorie qui, comme la théorie de l’action rationnelle, est bien faite pour satisfaire le « point d’honneur spiritualiste » des intellectuels. » (p.104)
« Pratiquer le doute radical en sociologie, c’est un peu se mettre hors la loi. C’est sans doute ce qu’avait senti Descartes qui, au grand étonnement de ses commentateurs, n’a jamais étendu à la politique – on sait la prudence avec laquelle il parle de Machiavel – le mode de pensée qu’il avait inauguré si intrépidement dans le domaine de la connaissance. » (p.211)
1997 Méditations pascaliennes:
« Contre l’illusion scolastique qui incline à mettre une visée intentionnelle au principe de chaque action et contre les théories socialement les plus puissantes du moment qui, comme l’économie néo-marginaliste, acceptent sans la moindre contestation cette philosophie de l’action, le concept d’habitus a pour fonction primordiale de rappeler fortement que nos actions ont plus souvent pour principe le sens pratique que le calcul rationnel, ou que, contre la vision discontinuiste et actualiste qui est commune aux philosophies de la conscience (et dont l’expression paradigmatique se trouve chez Descartes) et aux philosophies mécanistes (avec le couple stimulus-réponse), le passé reste présent et agissant avec les dispositions qu’il a produites. » (p.78-79)
« Est-il un seul philosophe soucieux d’humanité et d’humanisme qui n’accepte pas le dogme central de la foi rationaliste, et de la croyance démocratque, selon lequel la faculté de « bien juger », comme disait Descartes, c’est-à-dire de discerner le bien du mal, le vrai du faux, par un sentiment intérieur, spontané et immédiat, est une aptitude universelle d’application universelle ? » (p.83)
« Établissant une stricte division entre l’ordre de la connaissance et l’ordre de la politique, entre la scolastique « contemplation de la vérité » (contemplatio veritatis) et l’ « usage de la vie » (usus vitae), l’auteur des Principes de la philosophie, au demeurant si intrépide, reconnaît que, hors du premier domaine, le doute n’est pas de mise : à la manière de tous les sectateurs modernes du scepticisme, de Montaigne à Hume, il s’est toujours abstenu, au grand étonnement de ses commentateurs, d’étendre à la politique – on sait avec quelle prudence il parle de Machiavel – le mode de pensée radical qu’il avait inauguré dans l’ordre du savoir. Peut-être parce qu’il pressentait qu’il se serait condamné, conformément aux prévisions de Pascal, à cette ultime découverte, bien faite pour ruiner l’ambition de tout fonder en raison, que « la vérité de l’usurpation », « introduite autrefois sans raison, est devenue raisonnable » (p.115)
2001 Science de la science et réflexivité :
“ En réponse à la question de savoir qui est le “sujet” de cette “création de vérités et de valeurs éternelles”, on peut invoquer Dieu ou tel ou tel de ses substituts, dont les philosophes ont inventé toute une série : c’est la solution cartésienne des seminae scientiae, ces semences ou ces germes de science qui seraient déposés sous forme de principes innés dans l’esprit humain (…) Si l’on écarte les solutions théologiques ou crypto-théologiques (…), est-ce que la vérité peut survivre à une historicisation radicale ? » (p. 10-11)
Il semble donc que ce que Bourdieu a pris pour cible chez Descartes, c’est principalement son rationalisme innéiste, son conscientialisme ainsi que sa croyance dans le libre-arbitre. En revanche Bourdieu, gardant de Descartes le rationalisme et la primauté de la vérité, paraît avoir repris à son compte le doute cartésien en le rendant plus radical, en l’étendant à la « politique », ce qui l’a conduit à retrouver la thèse pascalienne selon laquelle les institutions sociales ont des causes oubliées (plus, maintenues dans l’oubli) et sont dépourvues de fondements rationnels.
Cependant, l'effort qu'a fait Bourdieu pour penser l'État sans reproduire à son propos la pensée d'État n'est donc en rien une deuxième naissance de type cartésien, dénoncée par le sociologue dès 1970 comme illusoire, mais une tentative de parvenir, avec l'héritage culturel sans lequel le projet même d'un tel doute ne peut pas venir à l'esprit, à une connaissance vraie de l'État.

Commentaires

1. Le jeudi 29 août 2013, 15:13 par cal espagnel
Bravo pour cette moisson!
Resterait encore à savoir, à supposer que Descartes ait soutenu cs doctrines, si la théorie du choix rationnel est cartésienne en ce sens et si Bourdieu d'attaque pas un homme de paille.
Son fondateur, Frank Ramsey, ne parlait jamais d'intentions, mais de (degrés de) croyances et de désirs, et il ne cessait de dire que ceux-ci ne sont la plupart du temps pas présents à notre conscience. Il soutenait que l'on ne peut jamais voir de connaissances infaillibles, mais seulement des croyances probables. Nombre de ses successeurs, de Savage à Harsanyi ou Becker, ne parlent pas d'intentions et sont fallibilistes en théorie de la connaissance. Est-ce bien cartésien? La rationalité de la théorie du choix social est tout sauf cartésienne.
2. Le vendredi 30 août 2013, 15:55 par Philalèthe
On peut en effet discuter la justesse de ce portrait de Descartes par Bourdieu. Ainsi, par exemple, le texte cartésien cité dans La Reproduction est compréhensible autrement que ne le fait Bourdieu : avoir, dès la naissance, l'usage de la raison n'implique pas que toutes les connaissances acquises dès la naissance sont de source exclusivement rationnelle, comme semble le suggérer Bourdieu, la raison pouvant s'appliquer aussi autant aux perceptions qu'aux paroles transmises à l'enfant par les adultes.
À noter aussi que sur la question de l'art, la position cartésienne n'est pas celle que suggère Bourdieu en associant plus ou moins implicitement une conception innéiste du beau à ce qu'il nomme "l'illusion de Descartes". En témoigne par exemple ce passage d'une lettre à Mersenne du 18 mars 1630, où se décèle une position esthétique empiriste et relativiste :
" Pour votre question, savoir si on peut établir la raison du beau, cela revient au même que ce que vous demandiez auparavant, pourquoi un son est plus agréable que l'autre, sinon que le mot de beau semble plus particulièrement se rapporter au sens de la vue. Mais généralement, ni le beau ni l'agréable ne signifient rien qu'un rapport de notre jugement à l'objet ; et parce que les jugements des hommes sont si différents, on ne peut dire que le beau et l'agréable aient aucune mesure déterminée. Et je ne le saurais mieux expliquer, que j'ai fait autrefois en ma Musique ; je mettrai ici les mêmes mots, parce que j'ai le livre entre les mains : " Entre les objets des sens, le plus agréable à l'esprit n'est pas celui qui est perçu par le sens avec le plus de facilité, ni celui qui est perçu avec le plus de difficulté. C'est celui dont la perception n'est pas assez facile pour combler l'inclination naturelle par laquelle les sens se portent vers leurs objets, et n'est pas assez difficile pour fatiguer le sens ". J'expliquais " ce qui est perçu facilement ou difficilement par le sens " ainsi : par exemple, les compartiments d'un parterre, qui ne consisteront qu'en une ou deux figures, arrangées toujours de même façon, se comprendront bien plus aisément que s'il y en avait dix ou douze, et arrangées diversement ; mais ce n'est pas à dire qu'on puisse nommer absolument l'un plus beau que l'autre mais, selon la fantaisie des uns, celui de trois sortes de figures sera le plus beau, selon celle des autres, celui de quatre, ou de cinq, etc. Mais ce qui plaira à plus de gens, pourra être nommé simplement le plus beau, ce qui ne saurait être déterminé "
Certes les rectifications auxquelles nous nous livrons sur la lecture bourdieusienne des philosophes ne sont pas une objection intéressante du point de vue de la sociologie, ce qui compte étant non la conformité du commentaire de Bourdieu au texte commenté mais la conformité de ses études sociologiques par rapport aux objets étudiés. Mais les philosophes ont précisément d'autres habitus par rapport aux textes philosophiques que les sociologues ! Ceci dit, quand les sociologues prétendent dire la vérité sur les textes philosophiques, alors les philosophes sont tout de même légitimés à les contredire, si besoin est !
3. Le jeudi 6 octobre 2016, 04:56 par Marc Solitaire
Le rappel d'un extrait de la "Reproduction" est légitime et cruel... Au sens où il peut indiquer un certain échec de l'entreprise Bourdieu.
Car, finalement Bourdieu ne s'échappera jamais de tout ce qui est là souligné, avec cette référence à Descartes.
Si l'on peut résumer la position cartésienne : nous avons une raison inné (hypostasiée plus tard chez Kant), que bien malheureusement une certaine forme d'instruction dans l'enfance, serait venue corrompre... sans que par la suite une autre très noble ne suffira vraiment rétablir,... Comme seule pourra le faire, après un "doute", une profonde introspection... Et c'est le pont aux ânes de l'autodidactisme contre les Ecoles ; pas une biographie de savant, d'artiste, d'écrivain n'y échappe. Or, pour en revenir à Bourdieu, on ne doit pas s'y tromper, c'est toujours ainsi que les choses furent dites, même si ce fut, sous l'apparence de démystifier "l'inculcation". On pourrait même voir de façon Nietschéenne (se raconter sa vie à soi-même) tout le projet du sociologue comme une autobiographie (voir son "auto-analyse)", à savoir celle d'un élève d'origine modeste, fréquentant le grand lycée parisien, puis la plus prestigieuse des grandes écoles... jusqu'à bifurquer... pour son salut de ce parcours préétabli (décrit par "Les Héritiers"), etc... mais pour finir malgré tout : médaille d'or CNRS, Collège de France...
Reste que dans tout cela, de son éducation enfantine... Quid. Et lorsque Bourdieu voudra rendre ses thèses plus parlantes, abordant Manet, ce devait être être exactement le même schéma (les Beaux-Arts, dont le peintre aurait su s'échapper que par lui-même,... Bourdieu n'imagine pas un seul instant que quelque chose de la "manière" du peintre aurait pu se jouer bien avant dans sa vie...). Il serait trop long d'opposer à cela quoi que ce soit de probant, mais force est de constater, qu'il est bien difficile de noter alors, la moindre différence avec la voie royale décrite dans la Discours de la Méthode, celui de l'avènement de la raison, que tout philosophe qu'il se nomme Spinoza ou autre, inlassablement répète, depuis Platon.
4. Le jeudi 6 octobre 2016, 16:03 par Philalèthe
Votre critique n'est pas justifiée.
"Comprendre, c'est comprendre d'abord le champ avec lequel et contre lequel on s'est fait." écrit Bourdieu sans son Esquisse pour une auto-analyse.
Lisons bien : il est écrit "le champ avec lequel". 
Déterministe, Bourdieu a essayé de reconstituer les déterminismes qui l'ont produit, lui et Manet, "producteurs produits".

mardi 27 août 2013

Le doute radical de Pierre Bourdieu.

Il y a quelque chose de cartésien dans l'effort fait par Pierre Bourdieu pour éliminer de la recherche sociologique les croyances impensées qui en empêcheraient la justesse, ce qu'il désigne du nom d'adhérences dans le cours au Collège de France du 19 Janvier 1991. Bien trouvé, le terme, par sa connotation médico-pathologique, évoque quelque chose à extirper d'urgence ( mais en fait l'usage idéologique du terme est classique ) :
" Une des ressources majeures du métier de chercheur consiste à trouver des ruses - des ruses de la raison scientifique, si je puis dire -, qui permettent précisément de contourner, de mettre en suspens tous ces présupposés qui sont engagés par le fait que notre pensée est le produit de ce que nous étudions et que notre pensée a des sortes d'adhérences. "Adhérence" est mieux qu' "adhésion", car ça serait trop facile s'il s'agissait simplement d'adhésion. On dit toujours : " C'est difficile parce que les gens ont des biais politiques " ; or c'est à la portée du premier venu de savoir que, étant plutôt de droite ou plutôt de gauche, on est exposé à tel danger épistémologique. En fait, les adhésions sont faciles à suspendre ; ce qui est difficile à suspendre, ce sont les adhérences, c'est-à-dire les implications si profondes de la pensée qu'elles ne se connaissent pas elles-mêmes." ( Sur l'État, p.172 ).
Plus loin, mais dans le même esprit, Bourdieu ose la formule un peu extravagante : " nos esprits sont des inventions d'État " ( ibid. p.185 ) et je pense alors que l' État est le Malin Génie de Pierre Bourdieu...

Commentaires

1. Le mercredi 28 août 2013, 10:55 par lena plagesc
Un jour, en 1992, je donnai à Bourdieu un livre intitulé Etats d'esprit. Il eut le sourire de ceux qui viennent de déceler un contrepet ou un bon jeu de mots. L'année suivante il publia un article "Esprit d'Etat" .
Actes de la recherche en sciences sociales lien Année 1993 lien Volume 96 Numéro 96-97 lien pp. 49-62
qu'on trouve sur :
Y a t-il un rapport ? Quoi qu'il en soit , le texte, sur lequel se base ensuite le livre que vous citez, est un chef d'oeuvre de constructivisme sociologique: toutes nos structures cognitives, des perceptions aux croyances, sont construites par l'Etat, et sont forgées par la classe dominante.
Mais ce n'est pas très cartésien, c'est plutôt humien, peircien ou wittgensteinien : nous cherchons à faire taire le doute,et nous ne pouvons y parvenir, car nos dispositions doxastiques sont si ancrées que c'est impossible. C'est plus pascalien que cartésien, aussi, comme Bourdieu le dit dans son dernier livre.
2. Le mercredi 28 août 2013, 11:38 par Philalèthe
Merci pour l'article !
Vous, aussi,finalement  éclairez en remontant aux commencements !
Certes Bourdieu avoue sa dette par rapport à Pascal et à Wittgenstein alors que je n'ai pas le souvenir d'un texte où il se serait dit cartésien. Mais son effort douloureux ici, quasi désespéré (il donne l'impression de délivrer ses cours en souffrant énormément, il le dit en fait noir sur blanc) pour ne pas se faire avoir par la pensée d'État sur l'État m'évoque un Descartes malheureux qui ne trouverait pas le cogito comme moyen définitif de se mettre à l'abri du doute radical et donc un Malin Génie plus puissant que celui inventé par Descartes.
Si je vois bien ce qu'il y a de pascalien , entre autres, dans sa quête démystifiante des commencements arbitraires des institutions (il fait en somme de l'histoire critique au sens de Nietzsche), je saisis  moins le côté wittgensteinien. Les certitudes primitives auxquelles se rapporte Wittgenstein dans De la certitude me paraissent généralement plus causées par l'impact du monde naturel et social sur l'homme en tant qu'espèce animale et sociale d'un certain type que déterminées par des rapports de force entre des groupes. En revanche c'est vrai que Bourdieu reprend très clairement la distinction cause / raison. De toute façon il y aurait, je crois, tout un travail à faire pour prendre la mesure réelle de l'influence wittgensteinienne sur l'oeuvre de Bourdieu (ce qui est sûr, c'est qu'il la revendique à tout bout de champ !) 
3. Le mercredi 28 août 2013, 14:17 par Philalèthe
Après lecture de l'article, je note quand même que dès le début Bourdieu déclare son intention d'appliquer le doute hyperbolique à la pensée de l'État, mais, dans ce papier, à la différence du cours auquel je me référais, le sociologue a confiance dans la capacité à ne ne pas être pris au piège des représentations d'État sur l'État.
4. Le mercredi 28 août 2013, 15:16 par lena
Boudieu fait flèche de tout bois. Il nous dit tantôt qu'il y a des structures si profondes dans nos couches doxastiques qu'on ne peut pas douter ( il adapte à sa guise les concepts des auteurs que je cite, sans prendre tout en eux) et de l'autre il dit qu'il faut douter hyperboliquement de toutes les doxas qu'on nous impose. Celui qui doute si hyperboliquement - et qui est le seul à en être capable - c'est le sociologue bourdieusien lui-même et non pas quelque cavalier français enfermé dans son poële
5. Le jeudi 29 août 2013, 09:28 par herve
J'ai toujours une interrogation (naïve ?) sur les conditions de possibilité épistémologiques de la sociologie de Bourdieu.
Où est le point d'appui du doute dans sa pensée ?
Si "nos esprits sont des inventions d'Etat" , si "toutes nos structures cognitives, des perceptions aux croyances, sont construites par l'Etat, et sont forgées par la classe dominante" , comment est-il possible de s'arracher à ce qui est plus qu'un simple agrégat d'influences, pour atteindre une objectivité scientifique à laquelle seul le sociologue (bourdieusien, cela va de soi...) peut prétendre ?
6. Le jeudi 29 août 2013, 10:26 par herve
Si j'ai bien compris Marx, ce qui n'est pas sûr, la condition épistémologique de sa pensée est donnée par cette pensée elle-même, mais implique quelques difficultés :
- Si l'histoire est "l'histoire de la lutte des classes" la vérité peut être atteinte par la classe qui _fait_ l'histoire. Au moment où Marx écrivait, il soutenait que c'était le prolétariat qui faisait (ou était au moins appelé à faire) l'histoire...
Connaître la vérité de l'histoire et de la domination de classe impliquait donc de pouvoir adopter le point de vue du prolétariat.
Mais comment adopter "le point de vue du prolétariat" quand on n'en fait pas partie, comme Marx et surtout Engels, lui-même "chef d'entreprise" ?
Question non négligeable puisqu'elle implique la possibilité de la célèbre "avant-garde éclairée du prolétariat"...
De nombreux marxistes ont forgé le concept d' "intellectuel déclassé" pour justifier que des penseurs puissent adopter le "point de vue du prolétariat"...
A ma connaissance (très lacunaire...), Bourdieu ne s'est pas livré à ce type de contorsion...
7. Le jeudi 29 août 2013, 11:21 par Philalèthe
@ Hervé
Sur le problème que vous posez, un texte éclairant me paraît être le cours au Collège de France de 2001 paru sous le titre Sciences de la science et réflexivité (Raisons d'agir).
Pour faire vite : la production de la vérité en sociologie (mais pas seulement) a comme condition un champ autonome (par rapport aux champs artistiques, économiques, religieux etc.) dont les agents ont un intérêt personnel à produire des textes objectifs, impersonnels, c'est-à-dire qui résistent aux efforts intéressés des autres agents (du même champ) en vue de mettre en relief les insufffisances du point de vue de la vérité des textes en question. Ce champ scientifique a comme condition un certain type d'État  en mesure de garantir l'autonomie du champ par rapport principalement aux pouvoirs économiques. De cette manière, Bourdieu pense pouvoir rendre compte de "la genèse historique de vérités transhistoriques" (p.10)
8. Le jeudi 29 août 2013, 12:06 par herve
Un ami m'avait fait une réponse assez semblable après avoir assisté à une conférence de Bourdieu. Quelqu'un aurait directement demandé à icelui : Comment peut-on connaître objectivement le système de domination ?
Tout ceci est au conditionnel car c'est une connaissance du premier genre dirait Spinoza ; "Il y a quelqu'un qui m'a dit" chanterait Carla Bruni...
Bourdieu aurait répondu : "il faut que quelqu'un ait intérêt à la connaissance de la vérité du système de domination".
Selon vos termes, des "agents ont un intérêt personnel à produire des textes objectifs, impersonnels, c'est-à-dire qui résistent aux efforts intéressés des autres agents (du même champ) en vue de mettre en relief les insufffisances du point de vue de la vérité des textes en question".
Mais cela suppose un certain type d'Etat qui, comme le dit Bourdieu lui-même à la p. 51 de l'article communiqué par lena plagesc, laisse une liberté (relative) aux sciences sociales. Il faut que celles-ci soient préparées à en user contre lui.
Si j'ai bien compris, mais je vais lire "Sciences de la science et réflexivité", le point d'appui du doute bourdieusien se trouve, en dernière instance, selon une des expressions favorites d'Althusser, dans l'existence d'un Etat qui a _intérêt_ à modeler nos structures cognitives ET à nous laisser, au moins partiellement, la liberté de construire une connaissance objective se retournant contre lui...
C'est (presque) du Lénine :
« Le capitalisme est tellement cupide qu’il nous vendra la corde pour le pendre ».
9. Le jeudi 29 août 2013, 15:02 par Philalèthe
@ Hervé
Sauf à me tromper, Bourdieu n'aurait pas ratifié la fin de votre billet, tant il a critiqué l'habitude de penser l'État comme un  sujet. Cf mon billet :
Cf aussi ce passage du cours du 10 Janvier 1991 : " Le mot "État" est une sorte de désignation sténographique, mais, à ce titre, très dangereuse, d'un ensemble de structures et de processus extrêmement compliqués. Il me faudrait des heures pour développer ce que j'ai mis sous le mot État en disant que "l'État a décidé de substituer l'aide à la personne à l'aide à la pierre". Ce sont des milliers de personnes, dans des relations complexes, dans des champs, des sous-champs articulés, opposés, etc." (Sur l'État p.178)
10. Le jeudi 29 août 2013, 16:14 par herve
Est-ce l'expression "l' existence d'un Etat qui a _intérêt_..." qui vous fait penser que je le considère comme un sujet ?
11. Le jeudi 29 août 2013, 16:20 par Philalèthe
Oui, ces lignes suggèrent comme une stratégie de l'État mais je vous ai sans doute mal compris.
12. Le vendredi 30 août 2013, 11:16 par herve
Des expressions comme :
- "l' État est le Malin Génie de Pierre Bourdieu"
- "l' existence d'un Etat qui a _intérêt_..."
- "l'État a décidé de substituer l'aide à la personne à l'aide à la pierre"
peuvent donner l'impression que l'Etat est pensé comme un sujet.
Mais, en effet, " Ce sont des milliers de personnes, dans des relations complexes, dans des champs, des sous-champs articulés, opposés, etc."
Certains agents peuvent œuvrer pour que l'Etat définisse "un champ autonome (par rapport aux champs artistiques, économiques, religieux etc.) dont les agents ont un intérêt personnel à produire des textes objectifs, impersonnels, (...)"
Cela leur permet de constituer un discours de légitimation à la gloire de l'Etat qui, en accueillant des penseurs comme Pierre Bourdieu au Collège de France, montre bien qu'il favorise "la liberté de la réflexion critique."
Dans "des sous-champs articulés, opposés, etc.", d'autres agents de l'Etat peuvent faire des coupes sombres dans les budgets de la recherche car "les intellos nous emmerdent", et "Deux intellectuels assis vont moins loin qu'une brute qui marche." (Maurice Biraud, in "Taxi pour Tobrouk")...
http://www.vodkaster.com/Films/Un-T...
13. Le vendredi 30 août 2013, 11:34 par Philalèthe
Merci beaucoup pour cette savoureuse séquence !