Locke consacre la chapitre IX du livre III de l' Essai sur l'entendement humain à l'imperfection des mots. Il vient de souligner combien les mots qui signifient les idées morales sont confus tant ils véhiculent des idées variables selon les locuteurs. Puis viennent ces lignes sur les philosophes de l'Antiquité :
" Il serait inutile de faire remarquer quelle obscurité doit avoir été inévitablement répandue par ce moyen (Locke se réfère à la confusion du vocabulaire moral) dans les écrits des hommes qui ont vécu dans des temps reculés, et en différents pays. Car le grand nombre de volumes que de savants hommes ont écrit pour éclaircir ces ouvrages, ne prouve que trop quelle attention, quelle étude, quelle pénétration, quelle force de raisonnement est nécessaire pour découvrir le véritable sens des anciens auteurs. Mais comme il n’y a point d’ouvrages dont il importe extrêmement que nous nous mettions fort en peine de pénétrer le sens, excepté ceux qui contiennent, ou des vérités que nous devons croire, ou des lois auxquelles nous devons obéir, et que nous ne pouvons mal expliquer ou transgresser sans tomber dans de fâcheux inconvénients, nous sommes en droit de ne pas nous tourmenter beaucoup à pénétrer le sens des autres auteurs qui n’écrivent que leurs propres opinions, qu’ils le sont de savoir les nôtres. Comme notre bonheur ou notre malheur ne dépend point de leurs décrets, nous pouvons ignorer leurs notions sans courir aucun danger. Si donc en lisant leurs écrits, nous voyons qu’ils n’emploient pas les mots avec toute la clarté et la netteté requise, nous pouvons fort bien les mettre à quartier sans leur faire aucun tort, et dire en nous-mêmes :
''Pourquoi se fatiguer à pouvoir te comprendre, si tu ne veux te faire entendre ?'' ( 10, trad. Coste, Livre de Poche, p.717-718)
On notera néanmoins avec intérêt et étonnement que quelques pages plus loin, l'auteur propose sur le même sujet une argumentation plus mesurée et plus précise aussi :
" 22. Cette incertitude de ces mots nous devrait apprendre à être modérés, quand il s'agit d'imposer aux autres le sens que nous attribuons aux anciens auteurs,
Une chose au moins dont je suis assuré, c'est que dans toutes les langues la signification des mots dépendant extrêmement des pensées, des notions, et des idées de celui qui les emploie, elle doit être inévitablement très incertaine dans l'esprit de bien des gens du même pays et qui parlent la même langue. Cela est si visible dans les auteurs grecs, que quiconque prendra la peine de feuilleter leurs écrits, trouvera dans presque chacun d'eux un langage différent, quoiqu'il voie partout les mêmes mots. Que si à cette difficulté naturelle qui se rencontre dans chaque pays, nous ajoutons celles que doit produire la différence des pays, et l'éloignement des temps dans lesquels ceux qui ont parlé et écrit ont eu différentes notions, divers tempéraments, différentes coutumes, allusions, et figures de langage, etc. chacune desquelles choses avait quelque influence sur la signification des mots, quoique présentement elles nous soient tout à fait inconnues, la raison nous obligera à avoir de l'indulgence et de la charité les uns pour les autres à l'égard des interprétations ou des faux sens que les uns ou les autres donnent à ces anciens écrits ; puisqu' encore qu'il nousimporte beaucoup de les bien entendre, ils renferment d' inévitables difficultés, attachées au langage, qui, excepté les noms des idées simples et quelques autres fort communs, ne sauraient faire connaître d'une manière claire et déterminée le sens et l'intention de celui qui parle, à celui qui écoute, sans de continuelles définitions des termes. Et dans les discours de religion, de droit et de morale, où les matières sont d'une plus haute importance, on y trouvera aussi de plus grandes difficultés." (trad. Coste p.728)
Une chose au moins dont je suis assuré, c'est que dans toutes les langues la signification des mots dépendant extrêmement des pensées, des notions, et des idées de celui qui les emploie, elle doit être inévitablement très incertaine dans l'esprit de bien des gens du même pays et qui parlent la même langue. Cela est si visible dans les auteurs grecs, que quiconque prendra la peine de feuilleter leurs écrits, trouvera dans presque chacun d'eux un langage différent, quoiqu'il voie partout les mêmes mots. Que si à cette difficulté naturelle qui se rencontre dans chaque pays, nous ajoutons celles que doit produire la différence des pays, et l'éloignement des temps dans lesquels ceux qui ont parlé et écrit ont eu différentes notions, divers tempéraments, différentes coutumes, allusions, et figures de langage, etc. chacune desquelles choses avait quelque influence sur la signification des mots, quoique présentement elles nous soient tout à fait inconnues, la raison nous obligera à avoir de l'indulgence et de la charité les uns pour les autres à l'égard des interprétations ou des faux sens que les uns ou les autres donnent à ces anciens écrits ; puisqu' encore qu'il nousimporte beaucoup de les bien entendre, ils renferment d' inévitables difficultés, attachées au langage, qui, excepté les noms des idées simples et quelques autres fort communs, ne sauraient faire connaître d'une manière claire et déterminée le sens et l'intention de celui qui parle, à celui qui écoute, sans de continuelles définitions des termes. Et dans les discours de religion, de droit et de morale, où les matières sont d'une plus haute importance, on y trouvera aussi de plus grandes difficultés." (trad. Coste p.728)