MOI : - Mais si vous êtes porté à douter, vous n'êtes donc pas athée ?
ELLE : - Disons que je suis athée au sens où je tiens pour vrai que Dieu n'existe pas, mais je reconnais ne pas savoir que Dieu n'existe pas.
MOI : - Ne peut-on vraiment pas le savoir ?
ELLE : - La réponse à la question dépend en fait de la définition de Dieu. Si, comme les épicuriens, on croit qu'être un dieu, c'est être un objet composé d' atomes et situé dans l'espace, alors on peut savoir qu'on n' a découvert aucun objet de ce type dans l'univers. Mais si on définit dieu comme un être qui a créé l'Univers et qui n'est ni dans l'espace ni dans le temps, aucune enquête ne peut aboutir à son inexistence, puisque, dès le départ, sa définition en fait quelque chose dont on ne peut pas avoir l'expérience.
MOI : - Et par le raisonnement pur, on ne peut pas aboutir à la conclusion que son existence est impossible ?
ELLE : - Certes, si on prouvait que l'existence de l'univers implique logiquement l'inexistence de Dieu, ça serait un argument puissant en faveur de l'athéisme, mais ce n'est pas le cas. Tout au contraire, l'astrophysicien le plus éclairé peut croire en Dieu !
MOI : - Est-il réellement éclairé s'il croit en Dieu tout en étant scientifique ?
ELLE : - Oui, il est réellement éclairé scientifiquement mais il doit aussi penser que la connaissance scientifique n'est pas la seule connaissance. Il ne peut donc pas être scientiste et croire en Dieu.
MOI : - Je ne comprends pas : la théorie du Big Bang explique l'univers de A à Z, non ?
ELLE : - En effet mais le processus que la science décrit peut être attribué à la création de Dieu !
MOI : - Comment comprendre la création si le temps et l'espace ne sont pas antérieurs à l'univers ?
ELLE : - En effet mais ce que vous dites suppose qu'on ne dépasse pas ce que nous apprend la science, mais il n'y a pas de science justifiant l'idée que seule la science apporte une connaissance de la réalité, pas plus qu'il n'y a de raisonnement justifiant l'idée que seule la raison est un moyen de connaître la réalité.
MOI : - Je ne comprends pas votre dernier point.
ELLE : - C'est simple : si vous faisiez un raisonnement aboutissant à l'idée que la raison est le seul moyen d'aboutir à la connaissance, vous supposeriez ce que vous devez justifier, que la raison permet de connaître la vérité, ici la vérité sur la portée du raisonnement.
MOI : - Le rationalisme ne peut donc pas être prouvé par la raison et si je vous comprends bien, c'est une des raisons pour lesquelles vous sympathisez avec le scepticisme. Cela dit, revenons à la religion : savez-vous quelque chose sur ses effets, indépendamment de la question de sa vérité ?
ELLE : - Ils peuvent être puissants, l'histoire l'a montré, et autant au service du bien que du mal !
MOI : - Vous aimeriez croire ?
ELLE : - J'ai été croyante en effet dans mon enfance et je crois ne jamais avoir de plus forts plaisirs d'amour-propre qu'à cette époque.
MOI : - ?
ELLE : - Au sens où j'étais fière de pouvoir être, par moments du moins, aussi bonne que Dieu voulait que je sois.
MOI : - Vous êtes nostalgique ?
ELLE : - Pas du tout, car non seulement la religion met la barre trop haut mais en plus elle se trompe à mes yeux sur l'identité de qui met la barre.
MOI : - Met-elle la barre trop haut ou la place-t-elle tout simplement mal ? Pensez par exemple à la culpabilisation relative à la masturbation.
ELLE : - Sur ce point, je vous donne raison. Mais je pensais plutôt à l'altruisme qu'elle ordonne. J'en étais venue à croire que penser du mal de quelqu'un sans le dire est déjà un péché. Et cet oeil de Dieu, qui voit tout !
MOI : - D'un autre côté, elle doit favoriser chez quelques-uns l'acuité au niveau de l'introspection et donc une certaine lucidité sur les intentions.
ELLE : - Il se peut mais qui dit que cette vigilance ne se mêle pas à beaucoup d'illusions sur soi ?