Qu’est-ce qu’un examen de conscience ?
En philosophe on pense à l’ introspection de son intériorité, quelque chose comme l' inventaire exhaustif et précis de son mobilier mental en vue d’en évaluer la valeur morale : entrer en soi-même pour juger de l’intégrité de son soi.
Or, une page de Balzac tirée du Père Goriot fait voir sous un autre jour ce qui se passe dans l'esprit à cette occasion. C’est Eugène de Rastignac qui s’examine, soucieux de savoir s’il commet une faute morale en devenant l’amant d’une des deux filles de Goriot, Delphine, mariée au baron de Nuncingen :
« La longue promenade de l’étudiant en droit fut solennelle. Il fit en quelque sorte le tour de sa conscience. S’il flotta, s’il examina, s’il hésita, du moins sa probité sortit de cette âpre et terrible discussion éprouvée comme une barre de fer qui résiste à tous les essais. Il se souvint des confidences que le père Goriot lui avait faites la veille, il se rappela l’appartement choisi pour lui près de Delphine, rue d’Artois ; il reprit sa lettre, la relut, la baisa. – Un tel amour est mon ancre de salut, se dit-il. Ce pauvre vieillard a bien souffert par le cœur. Il ne dit rien de ses chagrins, mais qui ne les devinerait pas ! Eh bien ! j’aurai soin de lui comme d’un père, je lui donnerai mille jouissances. Si elle m’aime, elle viendra souvent chez moi passer la journée près de lui. Cette grande comtesse de Restaud est une infâme, elle ferait un portier de son père. Chère Delphine ! elle est meilleure pour le bonhomme, elle est digne d’être aimée. Ah ! ce soir je serai donc heureux ! Il tira la montre, l’admira. – Tout m’a réussi ! Quand on s’aime bien pour toujours, l’on peut s’aider, je puis recevoir cela. D’ailleurs je parviendrai, certes, et pourrai tout rendre au centuple. Il n’y a dans cette liaison ni crime, ni rien qui puisse faire froncer le sourcil à la vertu la plus sévère. Combien d’honnêtes gens contractent des unions semblables ! Nous ne trompons personne ; et ce qui nous avilit, c’est le mensonge. Mentir, n’est-ce pas abdiquer ? Elle s’est depuis longtemps séparée de son mari. D’ailleurs, je lui dirai, moi, à cet Alsacien, de me céder une femme qu’il lui est impossible de rendre heureuse. »
Cette énumération des états psychologiques du personnage présente quelque chose comme un fourre-tout. On y trouve en effet pêle-mêle entre autres :
- des souvenirs d’actions faites par les autres
- des perceptions d’objets (la lettre, la montre)
- des analyses psychologiques d’autrui
- des décisions
- des prédictions hypothétiques ou non, sur des actions de soi-même ou d’autrui
- des jugements synthétiques sur sa propre vie
- des formules morales générales
- des observations générales sur les comportements
Par rapport à une analyse philosophique, le texte de l’écrivain non seulement a plus de vérité psychologique parce qu’il rend le chaotique et le décousu de l’examen ; mais en plus il attire l’attention sur le fait que l’introspection n’est pas comparable à la découverte d’une grotte mais qu’elle est largement remémoration de ce qui a eu lieu, observation de ce qui est, anticipation de ce qui sera, de ce qui pourrait être. Si Rastignac disait à quelqu’un ce qu’il se dit ici à lui-même, l’étranger pourrait opiner, rectifier, corroborer, nuancer, preuve que Rastignac dans cette enquête n’a pas affaire à une intériorité inaccessible au jugement d’autrui mais bien, pour l’essentiel, à des croyances portant sur des réalités en droit autant connaissables par lui que par autrui.
Certes on pourrait objecter que Balzac décrit ici un examen de conscience imparfait, impur, trop tourné vers le monde. Mais, si on comprend une expression comme "l’examen méthodique et soigné de sa pure intériorité", est-on en mesure d’en trouver en soi un seul exemple ? L’enquête éthique que chacun mène sur soi le conduit à penser à soi bien sûr mais ce soi n’est pas l’esprit désincarné, bien plutôt l’être humain situé dans une société donnée, pris dans un réseau de relations précises avec d’autres hommes particuliers.
L’introspection apparaît alors moins comme un effort pour adopter sur l’état de son esprit (et précisément sur la valeur morale de celui-ci) le point de vue de Dieu que comme la tentative d’atteindre ce même point de vue en surplomb sur le rôle qu’on a, qu’on a eu, qu’on aura et qu’on devrait avoir au beau milieu des autres, au cœur même du monde.
Commentaires
Je ne pensais pas un seul instant à la philosophie de l'esprit !..
Sous-entendez vous que tout projet relevant d'un réductionnisme matérialiste de l'esprit est une imposture dans sa prétention à "faire science" (comme on dit) ?
Le "jargon" peut aussi bien s'épanouir dans les thèses anti-matérialistes...
du moins dans ses formes les plus réductionnistes.