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vendredi 11 novembre 2022

Contre l'idéalisation des victimes.

 " Quand une nation est maltraitée, il y a toujours quelqu´un pour trouver que ces opprimés sont des gens merveilleux : vous ne trouvez pas cela un peu exagéré ?

B. R. - Certainement. C'est immanquable : dès qu'une nation, ou une classe, ou ce que vous voudrez , se trouve injustement opprimée, les gens honnêtes, humanitaires se mettent à lui trouver les mérites les plus exquis. Là-dessus, ces vertueuses créatures héritent de la liberté, et aussitôt vous les voyez qui copient, de tout leur coeur et de toutes leurs forces, les vices de leurs oppresseurs. " (Ma conception du monde, Idées NRF, 1962, p. 124)

jeudi 2 juin 2016

Singer est-il anthropocentriste ?


Le principe d'égale considération des intérêts conduit Singer à prendre la souffrance au sérieux autant chez les animaux humains que chez les animaux non-humains.
Reste que cela ne le contraint pas à soutenir que les vies des animaux humains valent celles des animaux non-humains. En effet les vies n'ont pas toutes la même valeur (ce qui permettra de juger la mise à mort plus ou moins grave selon que la victime a une vie de plus ou moins grande valeur).
Mais qu'est-ce qui donne à la vie de la valeur ?
" La vie d'un être possédant conscience de soi, capable de penser abstraitement, d'élaborer des projets d'avenir, de communiquer de façon complexe, et ainsi de suite , a plus de valeur que celle d'un être qui n'a pas ces capacités." (La libération animale)
J'ai alors l'impression que l'anthropocentrisme qui est sorti par la porte au niveau du principe d'égale considération des intérêts rentre par la fenêtre au niveau de l'évaluation de la valeur de la vie. Certes cela ne mène pas Singer à défendre que la vie de n'importe quel homme a plus de prix que celle de n'importe quel animal :
" Tuer un chimpanzé est pire que tuer un être humain qui, du fait d'un handicap mental congénital, n'est pas et ne sera jamais une personne." (Questions d'éthique pratique)
Mais n'est-ce pas spéciste de prendre la vie humaine comme modèle ?
Si au fond Singer accepte de qualifier de personnes les grands singes, n'est-ce pas parce qu'il donne le plus de prix aux individus les plus réussis de l'espèce humaine ?
Pour mesurer le problème, ces lignes de Russell citées par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer dans son Éthique animale (2008) :
" Il n'y a aucune raison objective de considérer que les intérêts des êtres humains sont plus importants que ceux des animaux. Nous pouvons détruire les animaux plus facilement qu'ils ne peuvent nous détruire : c'est la seule base solide de notre prétention de supériorité. Nous valorisons l'art, la science et la littérature, parce que ce sont des choses dans lesquelles nous excellons. Mais les baleines pourraient valoriser le fait de souffler et les ânes pourraient considérer qu'un bon braiment est plus exquis que la musique de Brahms. Nous ne pouvons le prouver, sauf par l'exercice de notre pouvoir arbitraire. Tous les systèmes éthiques, en dernière analyse, dépendent des armes de guerre." (If animals could talk, 1932)
On peut être méfiant par rapport à un tel relativisme éthique, mais la position de Singer n'échappe à cette critique que si la défense de la supériorité de la vie humaine sur la vie non-humaine repose sur une conception réaliste des valeurs morales, présupposant que l'intelligence humaine a accès à une connaissance vraie de la valeur des valeurs, ce qui revient finalement à une argumentation circulaire (si les hommes ont une vie qui a plus de valeur que la vie animale, c'est parce que leur intelligence qui a plus de valeur que l'intelligence animale le leur fait savoir).

Commentaires

1. Le vendredi 3 juin 2016, 00:00 par Astwin
Si "tous les systèmes éthiques, en dernière analyse, dépendent des armes de guerre", alors notre humanité est réduite au niveau du monde animal puisque c'est la loi du plus fort qui prédomine.
Exit saint Thomas d'Aquin et sa pensée.
Toutefois, l'homme de la rue dirait que nos dirigeants (drôles d'animaux politiques), s'assoient allègrement sur les systèmes éthiques, racoleurs et normatifs, s'érigeant comme d'aucun autrefois en caïd des bacs à sable de la maternelle.
2. Le jeudi 9 juin 2016, 09:40 par Philalèthe
Il n'y a pas d'espèce animale autre que la nôtre capable de penser que tous les systèmes éthiques, en dernière analyse, dépendent de la guerre et il n'y en a pas non plus d'autre qui mène avec cette intensité des guerres internes à l'espèce. Donc pas de souci, que Russell ait ou non raison, l'animal humain garde sa singularité et ne peut de toute façon pas être réduit au niveau du monde animal pour la raison qu'il y appartient, qu'on l'appelle Saint-Thomas d'Aquin ou non.
Cela dit, c'est clair que si la valeur d'une éthique ne dépend que de la force de ceux qui la soutiennent, alors il n'y a plus de place pour l'argumentation rationnelle en éthique, qu'on soit thomiste ou non. Il n'y a même pas de place pour l'argumentation méta-éthique qui réduit toutes les éthiques à pas grand chose.
Quant à l'homme de la rue, je ne sais pas s'il est toujours aussi clairvoyant que vous le dites. 
Et puis quel est le dirigeant politique qui, à défaut de faire une politique morale, n'a pas une morale politique avec laquelle il simule la moralité ?
3. Le jeudi 9 juin 2016, 12:40 par Philalèthe
Excusez-moi, Astwin, à cause d'une mauvaise manip, j'ai annulé votre dernier commentaire, je le retranscris donc de mémoire :
" En ce qui concerne l'homme de la rue, vous avez sans doute raison... Ce qui fait un point commun entre l'homme de la rue et l'homme politique."
Tout le problème est de savoir ce qu'on trouve dans la rue : sociologiquement "l'homme de la rue" est comme "l'opinion publique", une construction sociale, aux contenus variables en fonction de ce qui la détermine.
Vous faisiez peut-être référence au "decent man" d'Orwell, qu'on aimerait bien voir en effet plus souvent dans la rue...
4. Le jeudi 9 juin 2016, 14:28 par Astwin
Oui, effectivement dans mon esprit, l'homme de la rue s'apparentait plus au "decent man" susceptible d'accepter des contraintes éthiques plutôt qu'au "smartphone man" dont la seule expérience éthique réside dans la quête de l'"ultime" application à télécharger.
5. Le jeudi 9 juin 2016, 14:36 par Philalèthe
Vous avez malheureusement raison d'appeler cela "une expérience éthique", vu que l'on parlera sans doute de "philosophie de la vie" pour défendre "les choix" du "smartphone man", le vocabulaire de la liberté et de l'individualité décrivant de manière mystificatrice les pratiques les plus contraintes socialement et les plus collectives... Enfin c'est "mon choix" de croire cela !

dimanche 27 octobre 2013

Russell défiguré.

« On m'a posé... On me pose sans arrêt la question sur le livre que j'emporterais sur une île déserte ; un lieu commun du journalisme. Au début j'ai répondu que j'emporterais une encyclopédie ; mais je ne sais si on me permettrait d'emporter dix ou douze volumes, je crois que non. Alors j'ai opté pour l'Histoire de la philosophie occidentale de Bertrand Russell, qui serait peut-être le livre qui me suivrait dans l'île... » ( Jorge Luis Borges, Ultimes dialogues avec Osvaldo Ferrari )
Excellent choix ! À condition cependant que Borges n'ait pas, par malheur, en mains la traduction française, disponible dans un coffret de deux volumes depuis 2011 (Les Belles Lettres). En effet, à ma consternation, j'ai réalisé que cette traduction de Hélène Kern, qui correspond à la première publication en 1946 de l'ouvrage de Russell, est franchement à réviser ( je m'en suis aperçu quand, ne comprenant pas certains passages, j'ai consulté l'original anglais qui disait alors autre chose mais très clairement en tout cas ! ).
À titre d'exemple, voici deux paragraphes, d'abord dans le texte original (A) , puis dans la traduction que je dénonce (B) , enfin dans une traduction personnelle (C), certes non irréprochable mais meilleure, je l'espère :
A :
" I come now to the position of Protagoras, that man is the measure of all things, or, as it is interpreted, that each man is the measure of all things. Here it is essential to decide the level upon which the discussion is to proceed. It is obvious that, to begin with, we must distinguish between percepts and inferences. Among percepts, each man is inevitably confined to his own; what he knows of the percepts of others he knows by inference from his own percepts in hearing and reading. The percepts of dreamers and madmen, as percepts, are just as good as those of others; the only objection to them is that, as their context is unusual, they are apt to give rise to fallacious inferences.
But how about inferences? Are they equally personal and private? In a sense, we must admit that they are. What I am to believe, I must believe because of some reason that appeals to me. It is true that my reason may be some one else's assertion, but that may be a perfectly adequate reason - for instance, if I am a judge listening to evidence. And however Protagorean I may be, it is reasonable to accept the opinion of an accountant about a set of figures in preference to my own, for I may have repeatedly found that if, at first, I disagree with him, a little more care shows me that he was right. In this sense I may admit that another man is wiser than I am. The Protagorean position, rightly interpreted, does not involve the view that I never make mistakes, but only that the evidence of my mistakes must appear to me. My past self can be judged just as another person can be judged. But all this presupposes that, as regards inferences as opposed to percepts, there is some impersonal standard of correctness. If any inference that I happen to draw is just as good as any other, then the intellectual anarchy that Plato deduces from Protagoras does in fact follow. On this point, therefore, which is an important one, Plato seems to be in the right. But the empiricist would say that perceptions are the test of correctness in inference in empirical material. " (I, II, XVIII)
B :
" J'en viens maintenant à la position de Protagoras : l'homme est la mesure de toutes choses ou, comme elle est généralement interprétée : chaque homme est la mesure de toutes choses. Ici, il est essentiel de bien marquer le terrain sur lequel la discussion doit porter. Il est clair que, pour commencer, nous devions distinguer entre les perceptions et les conséquences. En ce qui concerne les perceptions, chaque homme est inévitablement limité à ses perceptions personnelles. Ce qu'il sait des perceptions des autres, il le sait par les conséquences de ses propres perceptions, en entendant et en lisant. Les perceptions de l'homme en état de rêve et celles des fous, en tant que perceptions sont tout aussi justes que celles des personnes à l'état normal. La seule objection contre elles est que leur texture étant anormale, elles sont aptes à produire des conséquences fausses.
Mais que dirons-nous des conséquences ? Sont-elles également personnelles et privées ? En un sens, nous devons admettre qu'elles le sont. Ce que je dois croire, je dois le croire pour certaines raisons qui m'apparaissent valables. Il est vrai que ma raison peut être l'affirmation de quelqu'un d'autre mais ceci peut aussi être une raison parfaitement plausible, par exemple si je suis un juge qui cherche la vérité. Tout disciple de Pythagore que je puisse être, il est raisonnable d'accepter l'opinion d'un rapporteur sur une série de faits, de préférence à la mienne, car j'ai pu faire l'expérience qu'étant, au début en désaccord avec lui, après avoir étudié la question je me suis rendu compte qu'il avait raison. Dans ce sens, je peux admettre qu'un autre homme est plus sage que moi. La position de Protagoras, lorsqu'elle est justement interprétée, n'implique pas l'idée que je me trompe jamais mais seulement que l'évidence de mes erreurs doit m'apparaître à moi-même. Mon passé personnel peut être jugé exactement comme une autre personne serait jugée. Mais tout ceci présuppose que, en ce qui concerne les conséquences opposées aux perceptions, il y a des règles impersonnelles d'exactitude. Si une conséquence quelconque que j'ai été amené à déduire se trouve être tout aussi bonne qu'une autre, alors l'anarchie intellectuelle que Platon tire de Protagoras doit nécessairement suivre. Par conséquent, sur ce point, qui est important, Platon semble être dans le vrai. Mais les empiristes diront que les perceptions sont les épreuves de l'exactitude des conséquences dans la substance empirique."
C :
" J'en viens maintenant à la position de Protagoras, selon laquelle l'homme est la mesure de toutes choses ou, comme on l'interprète, que chaque homme est la mesure de toutes choses. Il est essentiel ici de décider du niveau où la discussion doit se poursuivre. Il est évident que pour commencer nous devons distinguer entre les percepts et les inférences. En ce qui concerne les percepts, chaque homme est inévitablement limité aux siens ; ce qu'il sait des percepts des autres, il le sait par inférence à partir des percepts qu'il a en entendant et en lisant. Les percepts des rêveurs et des fous sont tout aussi bons que ceux des autres ; la seule objection qu'on peut leur faire est que, comme leur contexte est inhabituel, ils ont tendance à donner lieu à des inférences fallacieuses.
Mais qu'en est-il des inférences ? Sont-elles également personnelles et privées ? Dans un certain sens, nous devons admettre qu'elles le sont. Ce que je dois croire, je dois le croire pour une raison qui me parle. Il est vrai que ma raison peut être l'assertion de quelqu'un tout en étant une raison parfaitement adéquate - par exemple si je suis un juge écoutant une déposition. Aussi protagoréen que je puisse être, il est raisonnable d'accepter l'opinion d'un comptable sur une série de chiffres de préférence à la mienne car je peux avoir découvert à plusieurs reprises que si au départ j'étais en désaccord avec lui, un peu plus d'attention me montrait qu'il avait raison. En ce sens je peux admettre qu'un autre homme est plus sage que moi. La position protagoréenne, correctement interprétée, n'implique pas que je ne fais jamais d'erreurs, mais seulement que la preuve de mes erreurs doit m'apparaître. Mon moi passé peut être jugé tout autant qu'une autre personne peut être jugée. Mais tout ceci présuppose qu'en ce qui concerne les inférences par opposition aux percepts il y a un critère impersonnel de justesse. Si toute inférence qu'il m'arrive de tirer est aussi bonne que n'importe laquelle, alors en découle de fait l'anarchie intellectuelle que Platon déduit de Protagoras. Donc sur ce point, qui est important, Platon semble être dans le vrai. Mais l'empiriste dirait que les perceptions constituent le test déterminant l'inférence juste en matière empirique."

Commentaires

1. Le lundi 28 octobre 2013, 09:52 par Versus
" Les percepts des rêveurs et des fous sont tout aussi bons que ceux des autres ; la seule objection qu'on peut leur faire est que, comme leur contexte est inhabituel, ils ont tendance à donner lieu à des inférences fallacieuses."
Comme le dit le peintre Jean Dubuffet :" il n' y a pas plus d' art des fous que des dyspeptiques du genou "?
2. Le lundi 28 octobre 2013, 11:28 par Philalethe
1) je ne connaissais pas cette citation de Dubuffet qui, à vrai dire, me surprend car, à première vue, "art des fous" n'est pas une expression dépourvue de sens (à la différence de dyspeptique du genou). Dubuffet veut-il dire que par définition art implique raisonnement valide et vrai (par exemple au niveau des techniques de l'art ?) Dans ces conditions, si le malade mental fait de l'art, ce n'est pas en tant que malade qu'il est artiste mais en tant qu'il est capable de faire un usage remarquable de certains effets de sa pathologie (et cela grâce à des connaissances vraies par exemple sur les matériaux qu'il utilise etc.) Pouvez-vous préciser la pensée de Dubuffet sur ce point ?
2) Quant aux lignes de Russell que vous citez, je ne vois pas leur rapport avec le texte de Dubuffet. L'auteur veut dire que si le fou n'est pas en mesure de mettre en relation ce qu'il perçoit avec son état mental (le contexte), alors il est enclin à prendre pour réel ce qu'il perçoit et à formuler des jugements faux (il en va de même pour qui ne met pas en rapport les perceptions du fou avec sa folie). Mais lucide ou non, le malade mental n'en devient pas artiste pour autant.
Mais je ne demande qu'à être éclairé sur le rapport que vous faites entre les deux citations !
3. Le mercredi 30 octobre 2013, 10:39 par Versus
Ah que la spontanéité de réponse par internet peut nous faire tronçonner une citation de Jean Dubuffet!
La phrase exacte est :
"Notre point de vue sur la question que la fonction d' art est dans tous les cas la même et qu' il n' y a pas plus d' art des fous que d' art des dyspeptiques ou des malades du genou."
In l' art brut préféré aux arts culturels. 1948.
En ce sens votre paragraphe 1) en est la juste et précise explication.
Chez Jean Dubuffet, il me semble qu' il faille dissocier, mais sans les opposer, ses réflexions sur l' art brut proprement dit et sa propre analyse sur sa pratique picturale.
Dubuffet est avant tout un praticien de son art qui a puisé autour de lui des pratiques qui lui ont permis de se remettre en cause constamment.
De l' art brut on peut dire que selon ses écrits, qu'il le considère comme un dynamique non ressaisie par la raison qui obéit au " principe de plaisir " avec ce qu' il emporte de prolifération, de chaos, d' imprévisibilité. L' art se construit dans le mouvement même de cette activité. Les formes ne sont pas données, elles s' instaurent sans à priori, dans le geste, le faire, en train de s' accomplir.
Bref, l' art brut rappelle à l' art qu' il est hors codes préétablis, qu' il doit répondre à ses moyens ( son "sentiment intérieur") ainsi qu' à une mise en forme de moyens, c' est-à-dire ses matériaux propres.
Pour votre second paragraphe 2) il n' y a pas de rapport sinon que Dubuffet délimite très nettement le monde des idées et la pratique d' un art.
Mais quelle exacte traduction que votre version du texte de B. Russel
Bien à vous.
4. Le jeudi 31 octobre 2013, 22:26 par Philalethe
Merci beaucoup de votre longue réponse !
Il est amusant que, bien que mutilée, la citation que vous avez donnée ait en somme le même sens que sous sa forme complète.
Quant à la position de Dubuffet sur l'art brut, ne revient-elle pas à introduire une différence entre les bruts et les autres artistes, comme si les premiers expulsaient d'eux une matière sans forme alors que les seconds auraient des formes sans matière ? Si c'est le cas, le brut n'est pas tant un modèle à imiter (d'ailleurs qui imite un brut n'est pas un brut !) qu'un indice d'une richesse expressive (qu'on espère bien partager). Mais il se peut que je n'aie pas bien compris ce que Dubuffet veut dire !
Quant au texte de Russell, il faudrait avoir le temps de donner une traduction exacte de toute l'oeuvre !

samedi 26 octobre 2013

Socrate, au Paradis des hommes mais au Purgatoire des philosophes !

Quel philosophe contemporain oserait aujourd'hui juger Socrate avec la liberté de ton de Bertrand Russell ?
" Le Socrate de Platon fut, durant longtemps, un modèle pour les philosophes qui vinrent après lui. Que devons-nous en penser du point de vue moral ? (Je m'intéresse seulement à l'homme tel que le définit Platon.) Ses mérites sont évidents. Il est indifférent aux succès mondains, dépourvu de crainte au point de rester calme, sociable et gai jusqu'au dernier moment, attachant plus de prix à ce qu'il croit être la vérité qu'à toute autre chose. Il a cependant de graves défauts. Il se montre peu honnête et sophiste dans ses arguments et dans sa pensée intime ; il se sert de son intelligence pour prouver les conclusions qui lui sont agréables plutôt que pour faire une recherche désintéressée de la connaissance. Il y a quelque chose d'un peu forcé et d'onctueux chez lui. Son courage, en face de la mort, aurait été plus remarquable s'il n'avait pas cru qu'il allait jouir d'une éternelle félicité dans la compagnie des dieux. Contrairement à certains de ses prédécesseurs, il n'était pas scientifique dans ses méthodes de réflexion mais décidé à prouver que l'univers s'accordait avec ses règles éthiques, ce qui est une trahison de la vérité et un grave péché philosophique. Comme homme, nous pouvons croire qu'il fut admis dans la communion des saints mais, comme philosophe, il aurait besoin d'un long séjour dans un purgatoire scientifique." ( Histoire de la philosophie occidentale, p.182-183, Belles-Lettres )
" The Platonic Socrates was a pattern to subsequent philosophers for many ages. What are we to think of him ethically? (I am concerned only with the man as Plato portrays him.) His merits are obvious. He is indifferent to worldly success, so devoid of fear that he remains calm and urbane and humourous to the last moment, caring more for what he believes to be truth than for anything else whatever. He has, however, some very grave defects. He is dishonest and sophistical in argument, and in his private thinking he uses intellect to prove conclusions that are to him agreeable, rather than in a disinterested search for knowledge. There is something smug and unctuous about him, which reminds one of a bad type of cleric. His courage in the face of death would have been more remarkable if he had not believed that he was going to enjoy eternal bliss in the company of the gods. Unlike some of his predecessors, he was not scientific in his thinking, but was determined to prove the universe agreeable to his ethical standards. This is treachery to truth, and the worst of philosophic sins. As a man, we may believe him admitted to the communion of saints; but as a philosopher he needs a long residence in a scientific purgatory."

Commentaires

1. Le dimanche 27 octobre 2013, 22:48 par milord l'harsouille
Bien vu, moi j'ai l'édition anglaise, et je me
mouche avec la française.

mercredi 16 octobre 2013

Y a-t-il jamais eu quelque chose dans les poubelles de la philosophie ?

Dans son Histoire de la philosophie occidentale , Bertrand Russell écrit :
" (...) Les théories philosophiques, si elles sont importantes, peuvent généralement être renouvelées sous une autre forme après avoir été réfutées. Les réfutations sont rarement définitives ; dans la plupart des cas, elles ne sont que le prélude à d'autres recherches." (p. 80, éd. Les Belles Lettres)
Deux exemples, parmi d'autres, me paraissent confirmer cette opinion : prenez d'abord l'argument ontologique formulé par Anselme de Canterbury il y a un peu moins de mille ans. Déjà Anselme a dû le défendre contre des attaques dont il était le contemporain ; quant à Kant, il jugeait sans doute avoir démontré une fois pour toutes la fausseté de cet argument a priori de l'existence de Dieu ( l'analyse du concept de Dieu conduirait à conclure nécessairement à l'existence de Dieu ). Mais l'argument reste soutenu sous des formes plus sophistiquées. Voyez à ce sujet les réflexions de Cyrille Michon dans Klesis. Pensez ensuite à la philosophie de l'esprit et au problème de la relation esprit / corps. Descartes avait défendu un dualisme substantiel ( le corps et l'esprit ont chacun une réalité indépendante mais ils interagissent ) ; déjà la princesse Élisabeth avait mis le doigt sur la difficulté de cette position ( si l'esprit n'a rien de matériel, comment peut-il causer des modifications du corps, comme n'importe quel acte volontaire, entre autres, le met en évidence ? ). On pourrait penser que ce dualisme-là est réfuté mais non ! C'est seulement une position ultra-minoritaire en philosophie de l'esprit où domine le matérialisme mais elle a encore des partisans (à cette occasion, je me permets de recommander l'excellent livre de François Loth qui vient de paraître chez Vrin mais n'en concluez pas que l'auteur est un dualiste cartésien ! )
À défaut de positions vaincues, n'y aurait-il donc en philosophie que des positions minoritaires argumentées avec d'autant plus de subtilité qu'elles sont sabordées de toutes parts et qu'elles ne peuvent donc rester crédibles qu'en faisant voir les failles des positions dominantes ?
Mais n'y a-t-il pas des thèses philosophiques vraiment indéfendables ? Par exemple, celle d'Aristote exprimée dans La Politique et soutenant l'existence de maîtres et d'esclaves par nature (certes il reconnaît aussi l'existence d'un esclavage injustifiable par la nature) ?
Mais si c'est le cas, qui osera se lancer dans l'exploration des poubelles de la philosophie ?
Michael Bruce et Steven Barbon ont édité en 2011 chez Wiley-Blackwell un ouvrage où étaient présentés les 100 arguments les plus importants de la philosophie occidentale (il est d'ailleurs souhaitable que ce livre voie le jour en français aussi !).
Qui fera l'inventaire des 100 arguments les plus mauvais de la philosophie ?

Commentaires

1. Le mercredi 16 octobre 2013, 20:41 par Pik
Le premier exemple de l'argument ontologique a aussi été récemment repris par Jean Baechler (L'Être, les fondements métaphysiques de la hiérologie, Hermann Philosophie, 2013), avec les autres preuves de l'existence de Dieu. Il cite la réfutation par Kant, l'acceptation par Hegel, et relève le sophisme dans l'argument pour une autre démonstration à caractère plus général, à savoir une propriété de l'absolu transcendantal.
Et si même en philosophie, rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme?
Salutations (et bravo pour votre blog)
2. Le mardi 22 octobre 2013, 12:03 par Plok
Il y a sans doute des arguments mauvais classiques en philosophie, mais ils sont de deux sortes :
a) ou bien ils sont des instances de paralogismes bien connus , répertoriés depuis Platon et Aristote sous le nom de sophismes et repris dans tous les manuels de logique ou de théorie de l'argumentation, et en ce cas ils n'ont rien de spécifique à tel philosophe, même s'ils font ( devraient faire ) honte à ceux qui les commettent ( certains sont particulièrement mauvais, comme ceux qu'on trouve chez Derrida dans le style : si X est possible, alors X est nécessaire , ou chez nombre de philosophes sous la forme de la pétition de principe , du genre : la raison pour laquelle j'asserte que X, c'est que X)
etc.
2) les autres arguments sont ceux qui sont mauvais mais en un sens intéressant, comme le Dominateur, le cercle cartésien, la déduction transcendantale ou la soi-disant réfutation du problème du libre arbitre par Bergson , ou encore la soi-disant dissolution de la question mind/body chez LW.
Ces arguments là sont mauvais, mais ne font pas honte à leurs auteurs. Il faut du boulot pour les réfuter et voir leurs ressorts, et ceux qui les ont produits ont fait de leur mieux, et ne se sont pas reposés sur le mol oreiller du sophisme.
Bref on peut être dans l'erreur de manière conne ou bien de manière intéressante ( est-ce une pétition de principe ? sans doute)
3. Le mardi 22 octobre 2013, 13:19 par Philalèthe
Merci Plok !
Vous venez de donner une idée de plan pour le livre que j'ai appelé de mes voeux : la première partie présenterait les arguments "cons", comme vous dites, et permettrait au lecteur de se faire la main et la seconde serait un vrai défi, à relever non  par l'application de la logique mais par un développement de l'imagination théorique. Ce livre pourrait être utilisé dans les lycées et les universités, mais je fais l'hypothèse qu'une partie  des professeurs de philosophie répugnerait à le faire acheter pour au moins deux raisons : a) un argument philosophique ne peut pas être extrait du système philosophique  auquel il appartient sous peine d'être défiguré b) chaque système philosophique est à étudier de l'intérieur et on ne peut en faire une critique que depuis un autre système philosophique (ces deux raisons entraînant à critiquer tel ou tel argument seulement  du point de vue du système dont il est un argument) .
C'est aussi pour ces même raisons que l'ouvrage sur les 100 meilleurs arguments heurterait, j'imagine, une partie des philosophes français (ce qui est une raison de plus de le traduire !).
4. Le mardi 22 octobre 2013, 22:24 par plick et plock
je ne suis pas totalement sûr qu'un bon argument philosophique ( ie un argument informatif, non sophistique, et profond) ne puisse être critiqué que du point de vue d'un autre système philosophique que celui dont il fait partie ( c'était l'idée de Renouvier, de Gueroult, de Vuillemin , peut être celle de Bouveresse). par exemple , je crois que peut montrer , sans souscrire à des idées idiosyncrasiques sur la modalité, où pèchent les arguments transcendentaux. Bref il y a un tribunal objectif de la raison humaine. Mais c'est vrai qu'il suppose l'adhésion à des principes minimaux de la raison. Bref pas moyen de critiquer Kant si on est Kierkegaard ou Kant si on est Nietzsche .
5. Le mercredi 23 octobre 2013, 10:59 par Philalèthe
J'entends bien mais est-ce justifié d' accorder  à ce tribunal objectif de la raison humaine un autre pouvoir que celui de déterminer les erreurs logiques qui mineraient certaines argumentations philosophiques ? Peut-il aussi évaluer la vérité, et non seulement la validité des thèses philosophiques qu'il sera conduit à juger ? Si on répond par oui, cela ne revient-il pas à reconnaître la possibilité d'un jugement rationnel - et  non limité philosophiquement, sans idiosyncrasie philosophique en somme, - portant sur les contenus philosophiques ? N'est-ce pas trop beau pour être vrai ? N'est-ce pas le rêve d'un règlement rationnel et non-philosophique des problèmes philosophiques ? En quoi est-ce distinct alors d'un remplacement des thèses philosophiques par une vérité scientifique ? 
6. Le mercredi 23 octobre 2013, 23:32 par sapeur camembert
Pas nécessairement. Voici des vérités philosophiques (non scientifiques) incontestables, accessibles à la raison et à l'argument :
1. il y a un monde extérieur indépendant de nous
2. nous avons des connaissances sur ce monde
3. il y a des vérités mathématiques
4. la logique est un moyen sûr de raisonner
5. une chose ne peut être elle même et son contraire
6. il y a des vérités morales
7. le bien est une propriété non naturelle
8. les choses sont ce qu'elles sont et pas autrement
9. Dieu n 'existe pas
10. le monde n'a pas été créé il y a cinq, minutes ni il y a six mille ans
je peux allonger la liste, mais pas tellement. Mais je crois que toute aine philosophie peut établir, par l'argument et l'expérience, de telles vérités.
George Edward M.
7. Le jeudi 24 octobre 2013, 09:59 par Philalèthe
Cher Sapeur,
Comme vous le reconnaissez, ce ne sont dix vérités incontestables que du point de vue de Moore ! Mais admettons qu'elles fassent partie des certitudes communes à tous les philosophes qui raisonnent bien, reste alors qu'à part 9 et 7, elles sont plates et guère intéressantes... Ajoutons que 1,2,3 et 10 sont connues sans l'aide de la philosophie... C'est la montagne qui accouche d'une souris dont on a déjà vu avant les images...
8. Le lundi 28 octobre 2013, 09:54 par Ephraïm Camembert
Mais ces vérités de sens commun sont-elles aussi évidentes aux philosophes? les défendre contre les philosophes qui les nient, ou y voient de faussetés, ou cherchent chicane sur chacune, n'est-ce pas une des tâches de la philosophie? N'est ce pas aussi une des tâches de la philosophie de voir *comment* ces vérités sont des vérités?
9. Le lundi 28 octobre 2013, 19:56 par Philalethe
Oui, je comprends mais reste que la montagne philosophique formée depuis plus de 2500 ans n'a tout de même alors que le rôle modeste d'expliquer que la souris dont elle accouche est la seule chose dont elle doit accoucher. Le contraste est surprenant alors entre la sophistication, la complexification, l'érudition des argumentations en jeu et les thèses qui en résultent. En termes platoniciens on pourrait peut-être dire que l'episteme a dans ce cadre comme fonction paradoxale d'expliquer pourquoi l'opinion vraie est vraie.

mardi 30 avril 2013

Popper et Russell, Descartes et les Rose-Croix.

On sait que Popper a distingué dans les propositions empiriques celles qui courent le risque d'être réfutées par les faits et celles qui sont immunisées contre ce risque. Si je raconte par exemple que "tous les hommes sont méchants", l'existence d'un seul homme bon rend fausse la phrase en question. Mais si j'ajoute que "certains sont assez dissimulateurs pour jouer aux bons", j'aurai à première vue toujours raison: le monde sera toujours au rendez-vous de mes prédictions à ce sujet. On a appelé infalsifiables ces propositions qu'on ne peut pas rendre fausses (to falsify en anglais).
Or, je trouve dans la biographie de Descartes par Adrien Baillet (1691) un exemple savoureux de déclarations infalsifiables.
Revenant de ses voyages dans le Nord de l'Europe, Descartes arrive en Paris en 1623. La venue supposée des Rose-Croix (ils ont leur QG en Allemagne) dans la capitale est annoncée par une "campagne médiatique" moqueuse qui multiplie les annonces infalsifiables :
" Il (Descartes) en avait reçu la première nouvelle par une affiche qu'il en avait lu aux coins des rues et aux édifices publics, dès son arrivée. L'affiche était de l'imagination de quelque bouffon, et elle était conçue en ces termes : Nous députés du collège principal des frères de la Rose-Croix faisons séjour visible et invisible en cette ville... Nous montrons et enseignons sans livres ni marques à parler toutes sortes de langues des pays où nous habitons. Sur la foi de cette affiche, plusieurs personnes sérieuses eurent la facilité de croire qu'il était venu une troupe de ces invisibles s'établir à Paris. On publiait que les trente-six députés que le chef de leur société avait envoyés par toute l'Europe, il en était venu six en France ; qu' après avoir donné avis de leur arrivée par l'affiche que nous venons de rapporter, ils s'étaient logés au Marais du Temple ; qu'ils avaient ensuite afficher un second placard portant ces termes : S'il prend envie à quelqu'un de venir nous voir par curiosité seulement, il ne communiquera jamais avec nous. Mais si la volonté le porte réellement et de fait à s'inscrire sur le registre de notre confraternité, nous qui jugeons des pensées lui feront voir la vérité de nos promesses. Tellement que nous ne mettons point le lieu de notre demeure, puisque les pensées jointes à la volonté réelle de celui qui lira cet avis seront capables de nous faire connaître à lui, et lui à nous." (Éditions des Malassis, 2012, p.162)
On pense à la théière de Russell :
" Si je suggérais qu'entre la Terre et Mars se trouve une théière de porcelaine en orbite elliptique autour du Soleil, personne ne serait capable de prouver le contraire pour peu que j'aie pris la précaution de préciser que la théière est trop petite pour être détectée par nos plus puissants télescopes. Mais si j'affirmais que, comme ma proposition ne peut être réfutée, il n'est pas tolérable pour la raison humaine d'en douter, on me considérerait comme un illuminé."
"Illuminé" : j'interromps la citation, le temps de reprendre une phrase de Baillet consacrée encore aux Rose-Croix :
" Ayant eu le malheur de s'être fait connaître à Paris dans le même temps que les alumbrados, ou les illuminés d' Espagne, leur réputation échoua dès l'entrée." (ibid. p.161)
Russell de nouveau :
" Cependant, si l'existence de cette théière était décrite dans des livres anciens, enseignée comme une vérité sacrée tous les dimanches et inculquée aux enfants à l'école, alors toute hésitation à croire en son existence deviendrait un signe d'excentricité et vaudrait au sceptique les soins d'un psychiatre à une époque éclairée, ou de l'Inquisiteur en des temps plus anciens." (Y a-t-il un Dieu ? 1952).
Rappelons pour terminer le principe de Clifford :
" C'est un tort, toujours, partout et pour quiconque de croire quoi que ce soit sur la base d'une évidence insuffisante." (L'éthique de la croyance, 1901)
Le principe renvoie au néant les théières invisibles et leurs avatars mais le sceptique se demandera si le principe de Clifford est suffisamment prouvé pour qu'on le tienne pour vrai.
Concernant Descartes, ajoutons que, pour démentir la rumeur selon laquelle il faisait partie des Rose-Croix, il lui a suffi de se faire voir dans les rues de la capitale !

samedi 31 décembre 2011

Chomsky : Russel et Wittgenstein / Derrida, Lacan, Althusser ou en faveur de la philosophie analytique mais sans idolâtrie aucune.

" Si, par exemple, je lis Russell ou la philosophie analytique, ou encore Wittgenstein, il me semble que je peux comprendre ce qu'ils disent et pourquoi cela me paraît faux, comme c'est souvent le cas. Par contre, quand je lis Derrida, Lacan, Althusser ou l'un de ceux-là, je ne les comprends pas. C'est comme si les mots défilaient sous mes yeux : je ne suis pas leurs argumentations, je ne vois pas d'arguments, tout ce ce qui ressemble à une description de faits me semble faux. Alors peut-être qu'il me manque un gène ou je ne sais quoi, c'est possible. Mais ce que je crois vraiment, c'est qu'il s'agit de charlatanisme." (Comprendre le pouvoir, volume 3, p.17-18)

Commentaires

1. Le dimanche 1 janvier 2012, 23:28 par Philemonex
Ce qui manque à Chomsky, ce n'est sûrement pas un gène ou je ne sais quoi, mais plutôt ce je-ne-sais-quoi que Pascal appelait déjà l'esprit de finesse (lui qui ne manquait pourtant d'esprit de géométrie). Tous ces "arguments" d'une très grande vulgarité contre le soi-disant "charlatanisme" d'une certaine philosophie française relèvent pour le moins d'une très grande paresse intellectuelle.
2. Le jeudi 5 janvier 2012, 21:16 par Azul
Je partage l'avis de Philemonex: l'extrait suivant, avec la citation de Göring, montre le manque de tact. Je trouve étonnant qu'un linguiste n'ait pas senti cela. J'ai parfois l'impression que, chez certains intellectuels, le désir de se distinguer peut l'emporter sur le désir de comprendre.
3. Le dimanche 8 janvier 2012, 01:18 par Elias
A propos d'Althusser, je vous livre ce petit extrait de L'esprit révolutionnaire de Leszek Kolakowski (ed. Complexe p. 185)
"Je suis loin d'être un partisan de la philosophie analytique anglo-saxonne. Cependant lorsque je lis certains philosophes dialecticiens (par exemple Althusser) il m'arrive de regretter qu'ils n'aient pas été formés par cette philosophie et qu'ils manquent de toute discipline logique. Une telle formation les aurait aidés à comprendre la simple différence entre "dire" et "prouver" quelque chose (Althusser énonce souvent une proposition général, la cite par la suite, puis s'y réfère en disant "nous avons montré" ou "il a été prouvé" )..."
4. Le dimanche 8 janvier 2012, 21:28 par Philalèthe
@ Philemonex
Certes on peut rejeter une argumentation par paresse intellectuelle alors qu'on ne s'est pas donné la peine de la comprendre mais tout rejet d'une argumentation n'implique pas nécessairement cette paresse...
@ Azul
Chomsky avait, je crois, lui l'impression que le désir de se distinguer pouvait l'emporter chez certains sur le désir de se faire comprendre.
@ Elias
Merci beaucoup pour ce texte qui va dans le sens de la méfiance de Chomsky vis-à-vis d' Althusser. De manière plus générale, c'est un défaut assez répandu de confondre affirmation d'une position avec justification d'une position, le problème étant cependant qu'on ne peut pas tout justifier et que les évidences de départ ne sont souvent pas partagées.
5. Le lundi 9 janvier 2012, 22:33 par Philemonex
Philalethe,
Merci de ne pas me prêter une généralisation que je n'ai pas faite. Je parlais de Chomsky. Celui-ci n'a pas toujours boudé la "théorie littéraire" à l'époque où il était soutenu et traduit en français par Mitsou Ronat et publié par Jean-Pierre Faye dans la revue "Change" ("adversaire" de Tel Quel). Je pense simplement que Chomsky devient un peu gâteux, si vous me permettez, et d'autre part qu'il a toujours connu un certain déficit philosophique (on le voit bien dans ses entretiens avec Foucault où, par exemple, il s'entête à soutenir l'existence d'une "nature humaine" et où il n'a pas l'air de bien comprendre les arguments pourtant forts classiques que lui oppose son interlocuteur à ce propos).
Vous (et/ou Chomsky) prêtez ensuite à "certains" philosophes un "désir de se distinguer"... C'est cela que vous appelez "argumenter" ? Pardonnez-moi, je n'y vois qu'un argument psychologique, une supposition purement gratuite et à vrai dire absurde (Althusser, Derrida, etc. auraient eu avant tout le désir de se "distinguer" ? êtes-vous sérieux ?). Vous lâchez là un "mauvais coup" ne ressemblant en rien à une argumentation. Je pourrais aussi bien vous rétorquer - ce ne serait pas plus argumentatif ni plus sérieux, mais je peux le faire - que les philosophes qui vous semblent "sérieux" (on va citer Bouveresse, par exemple, pour rester dans le contexte français) me paraissent à moi rébarbatifs, ennuyeux à mourir, écrivant comme des pieds là où les français sus-cités sont stylés et brillants (par intelligence et non pour briller ...en société, la bonne blague !) ; un peu plus loin dans ce que j'ai appelé moi-même la vulgarité, je pourrais également donner dans le psychologique et vous parler de la jalousie et de la rancoeur de Bouveresse tout spécialement à l'égard de Derrida, la rancoeur de toute une vie, tout ce qui rend ses livres "polémiques" sur l'air du temps aussi mauvais et vains, aussi visiblement mal intentionnés ; je pourrais vous parler de cela, ce serait sincère mais cela n'aurait aucune valeur.
Enfin concernant la distinction finale entre "affirmation" et "justification", là encore, comme vous allez vite en besogne ! Quand vous lisez Althusser ou Derrida, vous trouvez qu'ils n'argumentent pas, qu'ils "affirment" sans justifier ? Quelle conception étriquée de l'argumentation est donc la vôtre ?
Pardonnez le ton un peu vif... Merci de m'avoir accueilli néanmoins et merci pour votre blog.
6. Le mardi 10 janvier 2012, 14:58 par Philalèthe
@ Philemonex
1) pourquoi faudrait-il être gâteux ou insuffisant philosophiquement pour soutenir l'existence d'une nature humaine ? S'il n'y avait pas de nature humaine, qu'est-ce que la culture pourrait bien cultiver ? Le point difficile est de déterminer dans le détail les propriétés de cette nature (mais ne puis-je pas dire en toute sécurité par exemple que l'homme est par nature apte à imiter ?).
2) sans aucune mauvaise foi, j'attire votre attention sur le fait que je parle de certains qui pour se distinguer etc. Vous ajoutez à ce que j'écris : philosophes et vous déterminez encore plus étroitement en mentionnant Derrida et Althusser. J'aurais jugé injuste et ridicule de disqualifier ainsi globalement ces deux philosophes. Je souhaitais en revanche faire connaître l'avis tranché et sévère de Chomsky.
3) faut-il être stylé et brillant en philosophie pour être un bon philosophe ?
Les arguments que vous appelez vulgaires sont-ils pour autant faux ? Les arguments originaux sont-ils pour autant vrais ?
4) je vous laisse attribuer à Bouveresse jalousie et rancoeur ; mais même si c'était vrai, des arguments qu'on soutient par jalousie et rancoeur ne sont pas nécessairement faux comme ne sont pas nécessairement vrais des arguments qu'on soutient par bienveillance et générosité.
7. Le samedi 7 septembre 2013, 19:21 par Vince
Faire cours ou faire court...comme les histoires....qu'on raconte ...???...!!!
Merci pour votre accueil !
Vince

mercredi 11 mai 2011

À peu près au même moment, Freud, Musil et Russell tirent sur la philosophie et ses systèmes.

Freud dans une lettre du 22 Avril 1928 :
" Vous n'imaginez probablement pas combien me sont étrangères toutes ces cogitations philosophiques. La seule satisfaction que j'en tire est de savoir que je ne participe pas à ce lamentable gâchis de pouvoirs intellectuels. Les philosophes croient sans doute qu'ils contribuent par de telles études au développement de la pensée humaine, mais il y a un problème psychologique ou même psychopathologique derrière chacune d'entre elles."
Plus modéré, en 1932, dans les Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse :
" La philosophie n'est pas contraire à la science, elle se comporte elle-même comme une science, travaille en partie avec les mêmes méthodes, mais elle s'en éloigne dans la mesure où elle s'accroche à l'illusion de pouvoir livrer une image du monde cohérente et sans lacune, qui doit pourtant s'écrouler à chaque nouveau progrès de notre savoir."
Musil en 1930 dans L'homme sans qualités (mais ce texte est bien connu) :
" Les philosophes sont des violents qui, faute d'une armée à leur disposition, se soumettent le monde en l'enfermant dans un système."
Enfin Russell dans La conquête du bonheur (1930) :
" L'enfant qui, pour une raison ou pour une autre, est privé de l'affection de ses parents, va certainement devenir timide et timoré, prêt à s'effrayer de toutes choses et à s'apitoyer sur son sort et il ne pourra plus affronter le monde avec un esprit joyeux et aventureux. Cet enfant se mettra, extrêmement jeune, à méditer sur la vie, la mort et la destinée humaines. Il devient un introverti et, ayant commencé par être mélancolique, il finit par rechercher les consolations irréelles de quelque système de philosophie ou de théologie. Le monde est une véritable pagaille où des choses plaisantes et déplaisantes se succèdent en désordre. Et le désir d'en faire un système ou un dessin intelligible n'est, au fond, qu'un résultat de la peur, n'est en réalité qu'une sorte d'agoraphobie ou peur des espaces découverts. L'étudiant timide se sent en sécurité entre les quatre murs de son cabinet de travail. S'il peut arriver à se persuader que l'univers est ordonné, d'une façon analogue il se sentira tout aussi protégé en s'aventurant dans les rues. Un tel homme, s'il avait reçu plus d'affection, craindrait moins le monde réel et ne devrait pas se forger un monde idéal qui prendrait sa place parmi ses croyances." (p.163-164)

mardi 10 mai 2011

La machine à saucisses, métaphore de l'homme !

" Il y avait une fois deux machines à saucisses élégamment construites pour transformer le porc en délicieuses saucisses. La première de ces deux machines conserva son enthousiasme pour les porcs et produisit d'innombrables saucisses ; l'autre se dit : " Quel intérêt le porc peut-il présenter pour moi ? Mon propre mécanisme est bien plus intéressant et bien plus merveilleux que n'importe quel porc." Elle refusa le porc et se mit à étudier son mécanisme intérieur. Ceclui-ci, privé de sa nourriture naturelle, cessa de fonctionner et plus elle l'étudiait, plus il lui semblait vide et stupide. Tout cet appareil raffiné qui avait servi à produire les délicieuses saucisses était arrêté et elle était bien en peine de deviner à quoi il aurait bien pu servir. La seconde machine à saucisses ressemble à l'homme qui a perdu toute joie dans la vie, alors que la première ressemble à l'homme qui l'a gardée." (Russel La conquête du bonheur 1930, p.147-148, Petite Bibliothèque Payot)

samedi 30 avril 2011

En lointain écho à des débats contemporains, la position de Russell par rapport à une pédagogie de la simplification.

Dans Le behaviourisme et ses valeurs (Behaviourism and values) dans les Essais sceptiques (1928), Russell cite un texte tiré de The child : his nature ans his needs (L'enfant : sa nature et ses besoins) d'un certain M.V.O'Spea, professeur de pédagogie à l'université de Wisconsin. Le voici :
" Il y a vingt-cinq ans, les élèves apprenaient à orthographier de dix à quinze mille mots ; mais, des investigations conduites durant les deux dernières décennies, il résulte que le diplômé ordinaire d'une école supérieure n'a pas besoin dans son travail d'école, et n'aura besoin plus tard dans sa vie, que de l'orthographe de trois mille mots tout au plus, à moins qu'il n'entreprenne des études techniques spéciales qui l'obligeraient d'apprendre un vocabulaire technique spécial. L' Américain typique, dans sa correspondance et dans ce qu'il écrit pour le journal, emploie rarement plus de quinze cents mots différents ; beaucoup d'entre nous n'emploient jamais plus de la moitié de ce nombre. S'inspirant de ces faits, les cours d'orthographe en usage dans les écoles modernes sont basés sur ce principe qu'il faut arriver à connaître si bien les mots qu'on emploiera réellement dans la vie quotidienne qu'on puisse les orthographier automatiquement ; quant aux mots techniques et rares qu'on apprenait autrefois et qui probablement ne seront jamais employés, on les élimine. Les cours d'orthographe modernes ne conservent pas un seul des mots qui semblaient utiles simplement à développer la mémoire" (p.105 Les Belles Lettres 2011)
Et voici la mise au point de Russell, qu'on peut lire un peu plus loin :
" Ceux qui ne savent que mille cinq cents mots seront incapables de s'exprimer avec précision ou beauté, sauf s'il s'agit de sujets très communs ou par une chance très rare. Environ la moitié de la population américaine d'aujourd'hui dépense autant de temps pour son éducation que Shakespeare, mais son vocabulaire est à peine le dixième de celui de Shakespeare: Pourtant le sien devait être intelligible pour un citoyen moyen de son époque, puisqu'il l'a employé dans des pièces qui devaient avoir un succès commercial. Nos contemporains croient qu'un homme maîtrise suffisamment sa langue s'il peut se faire comprendre ; nos aïeux pensaient qu'il devait être capable de donner du plaisir esthétique par son langage parlé et écrit " (p.107)

jeudi 28 avril 2011

Du philosophe et du politique, qui est le fou ?

1) Le politique !
Pascal :
" On ne s'imagine Platon et Aristote qu'avec de grandes robes de pédants. C'étaient des gens honnêtes et comme les autres, riant avec leurs amis. Et quand ils se sont divertis à faire leurs lois et leurs politiques, ils l'ont fait en se jouant. C'était la partie la moins philosophe et la moins sérieuse de leur vie ; la plus philosophe était de vivre simplement et tranquillement. S'ils ont écrit de politique, c'était comme pour régler un hôpital de fous. Et s'ils ont fait semblant d'en parler comme d'une grande chose, c'est qu'ils savaient que les fous à qui ils parlaient pensent être rois et empereurs. Ils entrent dans leurs principes pour modérer leur folie au moins mal qu'il se peut " (Pensée 472 éd. Le Guern)
Russell :
" Un homme qui a souffert quelque humiliation invente une théorie selon laquelle il est roi d'Angleterre et il trouve toutes sortes d'explications ingénieuses pour justifier le fait qu'il n'est pas traité avec tous les égards dus à sa haute situation. Dans ce cas particulier, son illusion ne provoque pas de sympathie de la part de ses voisins et c'est pourquoi ils l'enferment. Mais, si, au lieu d'affirmer sa propre grandeur, il affirme la grandeur de sa nation ou de sa classe ou de sa foi, il gagne des armées d'adhérents et devient un chef politique ou religieux, même si, pour un observateur impartial, son opinion semble aussi absurde que celle qu'on trouve dans les asiles de fous" (Essais sceptiques p.23 Les Belles Lettres 2011)
2) le philosophe !
Wittgenstein :
" Le philosophe est quelqu'un qui doit guérir en lui-même de nombreuses maladies de l'entendement avant de pouvoir parvenir aux saines notions du sens commun " (1944)
" Si dans la vie nous sommes environnés par la mort, pareillement dans la santé de l'entendement, nous sommes environnés par la folie " (1944)

samedi 26 mars 2011

Wittgenstein, Russell, les guêpes et les abeilles.

En 1922, Russell et sa femme rencontrent Wittgenstein à Innsbrück. C'est dur de trouver un hôtel à cause de l'invasion des touristes profitant de l'inflation.
" Ils finirent par trouver une chambre pour trois ; les Russell prendraient le lit et Wittgenstein dormirait sur le canapé. "Heureusement , l'hôtel avait une terrasse agréable où nous pouvions nous installer pour discuter de la meilleure manière de faire venir Wittgenstein en Angleterre." Elle (Dora Russell) nie farouchement qu'il y ait eu une dispute : " Wittgenstein n'a jamais été quelqu'un de facile, mais je pense que leurs différends portaient seulement sur des questions philosophiques."
Russell, par contre, dirait plus tard que le différend était d'ordre religieux. Selon lui, Wittgenstein, alors "au sommet de son ardeur mystique", était très peiné parce que je n'étais pas chrétien". Il "m'assura avec beaucoup de sincérité qu'il valait mieux être bon qu'intelligent". Mais cela ne l'empêcha pas (et Russell semble percevoir ici un paradoxe amusant) d' être terrorisé par les guêpes, et, en raison des insectes, incapable de passer une nuit de plus dans le logement que nous avions trouvé". ( Ray Monk Wittgenstein p.211)
Pourquoi Russell juge-t-il paradoxal le comportement de Wittgenstein ?
Parce que si on est au sommet de l'ardeur mystique on ne prête pas attention à ce qui se passe sur terre, particulièrement si cela ne représente qu'un faible danger pour notre corps ?
On pourrait aussi s'étonner du fait que Wittgenstein, qui s'est engagé en 14-18 et a demandé à intégrer une unité combattante en vue de se mettre à l'épreuve de la mort, se laisse déranger par de simples guêpes, lui dont le courage au front a été remarquable.
Mais ces guêpes me font penser aux abeilles auxquelles il se réfère dans les Remarques mêlées:
" Je puis dire : " Remercie ces abeilles pour leur miel, comme si elles étaient des hommes qui l'auraient préparé pour toi par bonté" ; cela est compréhensible et décrit la façon dont je souhaite que tu te conduises. Mais je ne puis dire : " Remercie-les car vois comme elles sont bonnes pour toi !" - elles peuvent te piquer l'instant d'après". (1937)
La religion de Wittgenstein ne l'a pas conduit à ne pas identifier les dangers possibles ; elle consistait à trouver l'attitude juste par rapport à eux. Il n'avait pas à supporter sereinement des guêpes ou des abeilles menaçantes. En revanche il devait être en mesure de faire face à un destin qu'il aurait été lâche de fuir. La religion de Wittgenstein n'a jamais été une fuite du monde, mais une manière de rester serein dans le monde, aussi horrible qu'il puisse devenir. La gratitude par rapport à la réalité pourtant non intentionnellement généreuse qu'exprime cette parabole des abeilles est le complément de cette acceptation de la réalité, quand il se trouve que celle-ci, pour des raisons qui ne dépendent pas des hommes, leur sourit.

samedi 27 novembre 2010

Un texte anti-cartésien de Russell sur le langage.

" Les animaux émettent des cris de douleur, et les enfants, avant de savoir parler, peuvent exprimer la rage, l'inconfort, le désir, la délectation, et toute une gamme de sentiments par des cris et des roucoulements de divers types. Un chien de berger émet des ordres à l'intention de son troupeau par des moyens qu'il est difficile de distinguer de ceux employés par le berger. Entre ces bruits et la parole, on ne peut pas tracer de limite précise. Quand le dentiste vous fait mal, il se peut que vous émettiez un grognement involontaire : cela ne compte pas comme parole. Mais s'il dit : "Dites moi si je vous fais mal", et que vous produisiez exactement le même son, ce dernier devient une parole, plus encore, une parole de l'espèce destinée à transmettre une information. Cet exemple illustre le fait que, dans le langage comme à d'autres égards, il y a une gradation continue de comportement animal à celui de l'homme de science le plus pointilleux, et des bruits pré-linguistiques à la diction étudiée du lexicographe" (La connaissance humaine, sa portée, ses limites, 1948, trad. de Nadine Lavant, 2002, p.94, Vrin)
Le 5 Avril 1951, Wittgenstein écrit :
" Je veux considérer l'homme ici comme animal ; comme un être primitif à qui l'on accorde l'instinct, mais non le raisonnement. Comme un être dans un état primitif. Car nous n'avons pas avoir honte d'une logique qui suffit à un moyen de communication primitif. Le langage n'émerge pas du raisonnement." (475, De la certitude, trad. de Danièle Moyal-Sharrock, 2006, Gallimard)
" Ich will den Menschen hier als Tier betrachten ; als ein primitives Wesen, dem man zwar Instinkt, aber nicht Raisonnement zutraut. Als ein Wesen in einem primitiven Zustande. Denn welche Logik für ein primitives Verständigungsmittel genügt, deren brauchen wir uns auch nicht zu schämen. Die Sprache ist nicht aus einem Raisonnement hervorgegangen"

Commentaires

1. Le dimanche 5 décembre 2010, 00:41 par Augustin
Ce qu'on pourrait aussi déduire de l'Ethique de Spinoza ainsi. Tout sentiment est une idée, or, mon chat a des sentiments, donc mon chat a des idées. Mon chat n'est-il pas joyeux de jouer avec cruauté avec sa souris en peluche?
2. Le dimanche 5 décembre 2010, 11:46 par Philalèthe
Merci d'évoquer Spinoza. Vous avez raison. À la différence de Descartes, il a accordé aux animaux un esprit. Permettez-moi de rappeler ce texte très clair à ce sujet, qui est le début du scolie de la proposition LVII du livre III de l'Éthique ("n'importe quel affect de chaque individu discorde de l'affect d'un autre, autant que l'essence de l'un diffère de l'essence de l'autre"):
" De là suit que les affects des animaux que l'on dit privés de raison (car, que les bêtes sentent, nous ne pouvons absolument plus en douter, maintenant que nous connaissons l'origine de l' Esprit) diffèrent des affects des hommes autant que leur nature diffère de la nature humaine. Cheval et homme, c'est vrai, sont tous deux emportés par le Désir de procréer ; mais l'un, c'est un Désir de cheval, et l'autre, d'homme. De même aussi les Désirs et les Appétits des insectes, des poissons et des oiseaux doivent être chaque fois différents" (trad. Pautrat)
Reste que Spinoza partage l'idée cartésienne que les animaux doivent être mis par les hommes à leur service, comme le prouve le scolie 1 de la proposition XXXVII de l'Éthique :
" Parce que le droit de chacun se définit par sa vertu ou puissance, les hommes ont un droit bien plus grand sur les bêtes que celles-ci n'en ont sur les hommes. Je ne nie pas pour autant que les bêtes sentent ; mais je nie que, pour cette raison, il nous soit interdit de veiller à notre utilité et d'user d'elles à notre guise, en les traitant de la manière qui nous convient le mieux ; puisqu'elles ne conviennent pas avec nous en nature, et que leurs affects, de nature, sont différents des affects humains (voir le scol. Prop.57)"
Ce chat qui joue avec la souris, à vous de jouer avec lui, d'en faire le meilleur usage possible, mais sans cruauté, cela va de soi. Reste que vous rêvez - spinozistement parlant bien sûr ! - si vous pensez en faire un ami :
" À part les hommes, nous ne connaissons pas, dans la nature, de singulier dont l'Esprit puisse nous donner du contentement, et que nous puissions nous lier d'amitié ou de quelque genre de relation ; et par suite tout ce qu'il y a dans la nature des choses en dehors des hommes, la règle de notre utilité ne commande pas de le conserver ; mais elle nous enseigne, en vue d'usages divers, à la conserver, à le détruire, ou à l'adapter à notre usage de quelque façon que ce soit " (IV Appendice chap 26)
3. Le samedi 11 décembre 2010, 15:50 par Tseing Gompo
La theorie du droit selon la vertu me parait abracadabrante. Penser l espece humaine comme plus vertueuse que les rossignols me semble d un narcissime absolu se transformant en pulsion d emprise et menant a la torture et l esclavage massif des animaux au 21eme siecle, ou l on a peut etre jamais autant torture et prive de le librte les etres...
cf www.petatv.com
Ceux qui croient a la metempsychos, peuvent redouter le pire...
Non?
4. Le samedi 11 décembre 2010, 16:40 par Philalèthe
Spinoza identifie la vertu à la puissance et c'est vrai alors que l'espèce humaine a une plus grande puissance que les rossignols.
5. Le mercredi 22 décembre 2010, 21:37 par 
La référence à la cinquième partie du Discours donnera longtemps à réfléchir (""il n'y a point d'hommes si hébétés et si stupides, sans en excepter même les insensés, [qui] ne soient capables d'arranger ensemble diverses paroles, et d'en composer un discours [...] : et qu'au contraire, il n'y a point d'autre animal, tant parfait et tant heureusement né qu'il puisse être, qui fasse le semblable" (Discours de la méthode, coll. de Poche, p. 147).
Dans les faits, on observe que les partitions d'Opéra imposent parfois aux divas de bien difficiles ornements dits "trilles" qui sont les caractéristiques du chant naturel des rossignols. Les perroquets, quant à eux, caricaturent parfois de manière étonnante les paroles de leurs maîtres et n'ont peut-être pas cette compétence. Il existe aussi des mimétismes humains de parole dont on se demande s'ils ne sont pas destinés à évacuer l'intention même d'une pensée (pas de soucis, pas de soucis, etc.)
Hume contre Descartes ?
Il y a aussi la question du rire, phénomène humain par excellence, et inconnu chez les animaux (sauf peut-être des singes, mais je trouve leur humour un peu bête...)
Merci en tout cas pour votre blog très stimulant.
6. Le jeudi 30 décembre 2010, 23:55 par Augustin
Cher Philalèthe,
Merci de votre long développement spinoziste. Il se trouve que je suis spinozien, pas spinoziste. - Il m'a toujours semblé absurde d'insister sur la discontinuité homme animal.
Spinoza dit: "à la conserver, à le détruire, ou à l'adapter à notre usage de quelque façon que ce soit ", en sorte que le premier verbe peut être dit primer sur les autres. Conserver les animaux peut être considéré comme utile,
Le problème de Wittgenstein ici est le ton un peu méprisant qu'il semble adopter, un peu comme Héraclite - Bréhier en parle à propos d'Héraclite, qui comparait les hommes en général aux singes au regard du démiurge.
Certes, l'homme possède un langage primitif, puisqu'il se déroule dans le temps, hors de l'intuition du troisième genre de connaissance, qui se rapproche de l'intuition.
Mais qu'est- ce que l'intuition? Brice Parain en parle quelque part, dans son Sur la dialectique. Pourquoi ne parleriez - vous pas de Brice Parain? Je serais heureux de vous lire sur lui.