Zeuxis, l'enfant et les raisins (Anonyme au musée de l'Hermitage) -
« On dit encore que Zeuxis peignit plus tard un enfant qui portait des raisins : un oiseau étant venu les becqueter, il se fâcha avec la même ingénuité contre son ouvrage, et dit : "J'ai mieux peint les raisins que l'enfant; car si j'eusse aussi bien réussi pour celui-ci, l'oiseau aurait dû avoir peur. " » (traduction Littré)
Même si Fontenelle ne cite pas littéralement ces lignes, l'anecdote, rapportée par Pline l'Ancien dans son Histoire naturelle, est reprise à la fin du dialogue entre Athenais et Icasie. On en reparlera plus tard.
Quant au point de départ de ce sixième dialogue infernal, c' est un échange d'expériences entre deux femmes : Athénais, en mettant en avant son esprit, s'est faite épouser, alors que Acasie, elle, a échoué à se faire épouser en se comportant pourtant identiquement. Donc, par les mêmes moyens, elles ont produit des effets opposés.
Cependant Acasie n’en tire pas la leçon qu’il ne faut pas montrer son esprit si on veut se faire épouser :
« Il seroit assez plaisant que dans une occasion pareille à celle où je me trouvai, quelqu’autre qui sauroit mon histoire, et qui voudrait en profiter, eût la finesse de ne laisser point voir d’esprit, et qu’on se moquât d’elle »
Cette histoire a pourtant bel et bien une morale : il est vain de prétendre arriver par le raisonnement sur l’expérience à des règles infaillibles de succès. On comprend alors la référence à Zeuxis : si sa peinture apparaît manifestement comme réussie, les oiseaux la prenant pour la réalité, c’est précisément parce qu’il a échoué à faire passer, par le trompe-l’œil, l’enfant peint pour un enfant réel. Mais répétons-le : l’apprenti-peintre ne doit pas s’efforcer à l’avenir de peindre imparfaitement une partie pour ainsi réaliser parfaitement la toile tout entière. En effet, qui sait ?, on pourrait alors moquer sa maladresse. Mais que faire alors ?
« En vérité, quoi qu’on fasse dans le monde, on ne sait ce que l’on fait, et après l’aventure de ce peintre, on doit trembler, même dans les affaires où l’on se conduit bien et craindre de n’avoir pas fait quelque faute qui eût été nécessaire. Tout est incertain. Il semble que la fortune ait soin de donner des succès différents aux mêmes choses, afin de se moquer toujours de la raison humaine, qui ne peut avoir de règle assurée » (Nouveaux dialogues des morts)
Fontenelle, on l'a dit, ne fait pas l’éloge de la négligence : en effet c’est très rationnel de faire les choses selon les règles car ce serait être bien imprudent de penser réussir en faisant exprès de mal faire, en sabotant volontairement son oeuvre. Reste que la conduite rationnelle ne garantit pas le succès : il peut être causé parce qu’ « on fait par hasard les plus heureuses sottises du monde ». Or, vu qu’on ne peut pas faire intentionnellement quelque chose par hasard, on est en droit de dire que Fontenelle considère que le succès est quelquefois « un effet quelquefois secondaire » et non "un effet essentiellement secondaire" au sens que Jon Elster a donné à cette expression.
Vouloir le succès en se fiant aux règles, aussi sophistiquées soient-elles, conduit quelquefois à l’échec ; vouloir l’échec ne conduit pas pour autant au succès.
Simplement le succès est ici quelque chose qui arrive en plus, quand par hasard on a fait quelque chose en moins ou en trop.