Lisant Le public et ses problèmes de John Dewey (1927), je tombe sur un extrait d’un livre de W.H. Hudson A traveller in little things qui immédiatement m’évoque le passage de Solon où, à celui qui lui demande comment faire pour que les hommes commettent le moins possible d’injustices, il répond : « Ce serait si ceux qui ne sont pas lésés le supportaient aussi mal que ceux qui sont lésés » (I,59) Décrivant un village du Wiltshire, Hudson parle aussi de lésion mais au sens le plus concret du terme :
« Chaque maison formait un centre de vie humaine lié à la vie des oiseaux et des bêtes, et les centres se touchaient les uns les autres comme un rang d’enfants qui se donnent la main ; tous formaient un seul organisme, poussés par une seule vie, mus par un seul esprit, comme un serpent multicolore au repos, étendu de tout son long sur le sol. J’imaginais que l’habitant d’un cottage situé à l’autre bout du village, occupé à couper un gros morceau de bois ou une souche, se blessait grièvement en faisant accidentellement tomber sur son pied sa hache acérée. Alors la nouvelle de l’accident volerait de bouche en bouche jusqu’à l’autre bout du village, un mile plus loin ; non seulement, chaque villageois serait rapidement mis au courant, mais en outre chacun aurait en même temps une image très vive de son compagnon au moment de la mésaventure, l’image de la hache acérée et luisante s’abattant sur son pied, du sang rouge coulant de la plaie ; et chacun ressentirait en même temps la plaie dans son propre pied et le choc dans son corps. De la même manière, toutes les pensées et tous les sentiments se communiqueraient librement d’une personne à l’autre, sans même qu’il soit besoin de paroles ; tous seraient des participants en vertu de cette sympathie et de cette solidarité qui unissent les membres d’une petite communauté isolée. Personne ne serait capable d’une pensée ou d’une émotion qui semblerait étrange aux autres. Le caractère, l’humeur, la manière de voir les choses propres à l’individu et au village seraient les mêmes. »
Et Dewey de conclure :
« Dans de telles conditions d’intimité, l’Etat est une impertinence. »
Commentant Solon, j’écrivais que « le droit n’a des chances d’être appliqué que si tous les citoyens s’identifient aux victimes » (note du 30-05-05). Je me dis maintenant que si tous s’identifient à n’importe quelle victime, les lois n’ont tout simplement pas de raison d’être... Les idées même de Droit et de transgression du Droit sont logiquement incompatibles avec une telle situation.