Ce n’est pas seulement la terre, creusée par Cléanthe, qui ne donne pas de fruits, c’est son propre esprit !
« Il travaillait beaucoup, mais il était peu doué par nature et excessivement lent. » (VII, 170).
On se moque de lui :
« Il supportait les quolibets de ses condisciples et acceptait de s’entendre appeler un âne, disant que lui seul pouvait supporter le faix de Zénon. » (VII, 171)
Malin l’imbécile ! Il détourne l’injure et en fait un compliment : de buté, il devient résistant au poids des tâches. Du devoir, il comprend l’essentiel, qu’il faut le porter. Alors devenir âne est un idéal humain difficile.
Bon, il reconnaît tout de même sa bêtise :
« Souvent il s’injuriait lui-même. L’entendant faire, Ariston lui dit : « Qui donc injuries-tu ? » Et lui dit en riant : « Un vieil homme, qui a des cheveux gris mais nulle intelligence » (ibid.)
Attention ! Ce n’est pas un portrait accablant de lui-même qu’il fait, c’est juste une proclamation : j’ai tout gagné à la force du poignet ! Pas servi par la nature, donc d’autant plus méritant. De l’art de se faire des compliments en s’insultant. Ces philosophes antiques sont de sacrés fieffés. Je ne me trompe pas. Il n’accepte que les jurons qu’il peut tourner en éloges. Face aux vraies insultes, il reste de marbre et s’illustre d’autant :
« Comme le poète Sosithéos (un illustre inconnu : je ne trouve que cette occurrence de son nom dans ces 1400 pages des Vies et doctrines des philosophes illustres de Diogène Laërce) au théâtre s’en prenait à lui en sa présence en disant : « Ceux que la folie de Cléanthe conduit comme des bœufs » il garda sa contenance. S’émerveillant de ce fait, les spectateurs applaudirent Cléanthe et chassèrent Sosithéos ( le spectacle n’est pas sur scène mais dans la salle, on le savait, ces philosophes sont des comédiens de leur idéal ). Quand ce dernier éprouva du remords pour l’insulte (qu’il lui avait infligée), Cléanthe l’accueillit, disant qu'il serait anormal que Dionysos et Héraclès ne se fâchent pas quand ils sont moqués par les poètes, et que lui prenne mal la première diffamation venue. » (VII, 173)
Bas les masques ! Le tâcheron montre son vrai visage : un aspirant à la divinité. Le héros Hercule ne lui suffit plus, c’est d’un dieu qu’il se veut l’image.