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vendredi 16 août 2013

Pour une sociologie non théologique.

Spinoza :
“ Si, par exemple, une pierre est tombée d’un toit sur la tête de quelqu’un et l’a tué, ils (les théologiens) démontreront que la pierre est tombée pour tuer l’homme, de la façon suivante : si, en effet, elle n’est pas tombée à cette fin par la volonté de Dieu, comment tant de circonstances (souvent, en effet, il faut un grand concours de circonstances simultanées) ont-elles pu concourir par hasard ? Vous répondrez peut-être que c’est arrivé parce que le vent soufflait et que l’homme passait par là. Mais ils insisteront : pourquoi le vent soufflait-il à ce moment-là ? Pourquoi l’homme passait-il par là à ce même moment ? Si vous répondez de nouveau que le vent s’est levé parce que la veille, par un temps encore calme, la mer avait commencé à s’agiter, et que l’homme avait été invité par un ami, ils insisteront de nouveau, car ils ne sont jamais à court de questions : pourquoi donc la mer était-elle agitée ? Pourquoi l’homme a-t-il été invité à ce moment-là ? et ils ne cesseront ainsi de vous interroger sur les causes des causes, jusqu’à ce que vous vous soyez réfugié dans la volonté de Dieu, cet asile de l’ignorance. » (Éthique, De Dieu, appendice, La Pléiade, p.350)
Bourdieu :
« L’État a été un des grands asiles de l’igorance en ce sens que l’on fait porter à l’État tout ce qu’on ne sait pas expliquer dans le monde social et qu’on l’a couvert de toutes les fonctions possibles : l’État conserve, etc. Vous verrez dans les livres à prétention « théorique » que le nombre de phrases où l’État est le sujet est fantastique. Cette espèce d’hypostase du mot État, c’est la théologie quotidienne. Or faire de l’État le sujet de propositions n’a pratiquement aucun sens. C’est pourquoi je contourne toujours mes phrases pour en parler. » ( Sur l’État, cours du 15 Février 1990, Seuil, p.157-158 )
Si Bourdieu a raison, peut-on appeler les anarchistes les plus théologiens des politiques ?

samedi 10 août 2013

Le cynique, bien plus radical que l'anarchiste.

Je me suis déjà demandé comment être cynique aujourd’hui, plus précisément comment se comporter pour, sans ridicule, prétendre être un disciple contemporain de Diogène, d’ Antisthène, d’Hipparchia, de Cratès etc.
Partant de l’idée que le cynisme est lié à un rejet des usages de la cité au profit d’une vie universelle et naturelle, je trouve dans un passage de Pierre Bourdieu une possibilité cynique. Le sociologue veut mettre en évidence que la vie privée est encadrée par des décisions étatiques ; pour cela il fait référence au calendrier officiel par rapport auquel se déterminent nos calendriers privés. Parce que les contestations politiques les plus radicales se construisent dans le cadre de règles implicites officielles qu’il semblerait fou de contester, Bourdieu écrit :
“ Je ne connais pas d’anarchiste qui ne change pas d’heure lorsque nous passons à l’heure d’été.” (Sur l’État, cours du 18 janvier 1990)
Or, il me semble que si l’anarchiste ne peut exister en tant que tel que parce que l’État est déjà là, le cynique pourrait se permettre de refuser la temporalité officielle, en faveur de quelque chose comme le temps naturel, celui du jour, de la nuit, du passage des saisons.

Commentaires

1. Le mercredi 21 octobre 2015, 16:27 par LM Bernard
Bien vu le cynique rompt les valences conventionnelles,construites sur des valeurs ,du lien social,catégorisation culturelle,sémiotique de la représentation de l'Académie et du Lycée.
L'anarchiste reste dans la représentation du zoon politicon,il conteste le pouvoir,l'appareil d'état ,pas la collectivité.
le cynique rejette les contraintes du tout somme des parties et le tout holiste ou le tout est plus que la somme des parties,il s'excentre,se singularise,se bestialise et peut effectivement refuser toute temporalité officielle,a t on vu un loup solitaire regarder midi à sa montre?.

mardi 20 mars 2012

Georges Canguilhem, recensant un ouvrage d’ Emmanuel Berl (Mort de la morale bourgeoise), fait penser (sans le vouloir) à Pierre Bourdieu

« La bourgeoisie, selon Berl et sans doute selon la vérité, tient en deux mots, droit acquis et héritage. Ainsi s’explique, et sans y voir de machiavélisme, que la culture entendue comme prestige des langues anciennes et par-dessus tout du latin, langue des Codes et des Digestes, soit l’idéal pédagogique de la bourgeoisie. Berl voit dans la culture, en fait sinon en droit, moins une formation de l’esprit qu’un memento de mots de passe. Pouvoir dire à propos Tu quoque, mi fili et Quousque tandem Catilina c’est montrer qu’on est d’une classe ou qu’on a rapport avec elle. Ainsi la culture secondaire est moins un moyen d’universelle communion spirituelle que le Sésame, ouvre-toi ! d’un certain milieu social. On voudrait pouvoir protester, surtout quand on vit de dispenser ladite culture (la pensée d’un homme en place…). Et pourtant qui donc a pu prendre au sérieux pendant une heure le métier d’examinateur au baccalauréat sans avoir le sentiment qu’il donne l’estampille à un incontestable faux-semblant ? » (Libres Propos, décembre 1930 in Œuvres complètes, tome 1, p.327, Vrin, 2011)

vendredi 9 juillet 2010

Bourdieu, Thalès et la servante ou d'une certaine ignorance double du sage.

J'ai consacré déjà plusieurs billets au couple formé par Thalès et sa servante, le premier d'entre eux se trouvant ici. Pour rafraîchir la mémoire, voici le récit qu'en fait Platon dans le Théétète :
" Thalès (...) occupé à mesurer le cours des astres (...) et regardant en l'air, était tombé dans un puits, une servante thrace fit cette plaisanterie, parfaitement dans la note et bien tournée : que dans son ardeur à savoir ce qu'il y a dans le ciel, il ignorait ce qu'il avait devant lui, même à ses pieds. Et la même plaisanterie continue d'être bonne, pour tous ceux qui passent leur vie dans la quête du savoir." (174 a-b trad. Brisson 2008)
Comme on le voit, déjà chez Platon, le personnage représente un type d'homme, à savoir le type philosophique. Pierre Bourdieu, lui aussi, l'a transformé en nom commun en l'identifiant à la disposition scolastique, qui "incite à entrer dans le monde ludique de la conjecture théorique et de l'expérimentation mentale, à poser des problèmes pour le plaisir de les résoudre, et non parce qu' ils se posent, sous la pression de l'urgence, ou à traiter le langage non comme un instrument, mais comme un objet de contemplation, de délectation, de recherche formelle ou d'analyse" (p.24). Voici le passage :
" La disposition "libre" et "pure" que favorise la skholè implique l'ignorance (active ou passive) non seulement de ce qui se passe dans le monde de la pratique (et que met en lumière l'anecdote de Thalès et de la servante Thrace), et, plus précisément, dans l'ordre de la polis et de la politique, mais aussi de ce que c'est que d'exister, tout simplement, dans le monde. Elle implique aussi et surtout l'ignorance, plus ou moins triomphante, de cette ignorance et des conditions économiques et sociales qui la rendent possible." ( Méditations pascaliennes p.26-27)
On dira que l'opposition théorie / pratique illustrée par une opposition homme / femme ou philosophe / servante a quelque chose du cliché. Peut-être mais c'est à contrebalancer avec le fait qu'ici la femme est du côté de la polis et des affaires de la cité. La servante a beau travailler au foyer, elle symbolise l'intérêt pour le monde extérieur des affaires généralement aux hommes.
Certes cette référence à Thalès est vraiment tout à fait secondaire ; je note d'ailleurs avec amusement que le nom du sage ne se trouve pas dans l'index nominum de l'ouvrage de Pierre Bourdieu. S'il s'y était trouvé, la servante sans nom en aurait été de toute façon absente et fort injustement. Sauf à me tromper, aucun des index des oeuvres de Bourdieu ne mentionne le philosophe au regard levé vers le ciel !

jeudi 8 juillet 2010

Bourdieu, lecteur approximatif d' Austin, ou contribution minuscule à la lecture des " Méditations pascaliennes ".

Au début des Méditations pascaliennes (1997), dans le premier chapitre, Pierre Bourdieu fait la "critique de la raison scolastique" : il entend par cette expression la critique des "présupposés qui sont constitutifs de la doxa génériquement associée à la skholè, au loisir, qui est la condition de l'existence de tous les champs savants." (p.22). Or, il pense trouver cet usage du mot scolastique dans un passage de Sense et Sensibilia du philosophe Austin :
" Austin parle en passant, dans Sense et Sensibilia, de "vision scolastique" (scholastic view), indiquant, à titre d'exemple, le fait de recenser et d'examiner tous les sens possibles d'un mot, en dehors de toute référence au contexte immédiat, au lieu d'appréhender ou d'utiliser simplement le sens de ce mot qui est directement compatible avec la situation."
Bourdieu critique ici une absence de sensibilité au contexte. Or, ce qu' Austin dénonce dans le passage en question, c'est certes une absence de sensibilité au contexte mais prenant une toute autre forme. Les mots sont utilisés immédiatement dans leur sens philosophique au lieu d'être examinés dans la pluralité de leurs usages contextuels :
" My general opinion about this doctrine ( Austin vise la thèse suivante : " we never directly perceive or sense, material objects (or material things), but only sense-data" ) is that it is a typically scholastic view, attributable, first, to an obsession with a few particular words, the uses of which are over-simplified, not really understood or carefully studied or correctly described ; and second, to an obsession with a few (and nearly always the same) half-studied "facts". (I say "scholastic", but I might just as well have said "philosophical" ; over-simplification, schematization, and constant obsessive repetition of the same small range of jejune "examples" are not only not peculiar to this case, but far too common to be dismissed as an occasional weakness of philosophers.)" (Oxford University Press p.3).
En un sens, Austin dans ces lignes accuse les philosophes de ne pas examiner tous les sens possibles d'un mot, certes non pas hors contexte, mais dans tous les contextes possibles - ce que Wittgenstein désignait sous le nom de die Übersicht ( qu'on traduit quelquefois par vue synoptique). Or, adopter une telle vue synoptique suppose un détachement par rapport aux urgences et à l'action qui est précisément un des traits de la disposition scolastique identifiée par Bourdieu. Austin reproche aux philosophes de ne pas adopter la disposition scolastique (au sens de Bourdieu) qui leur permettrait d'éviter d'être limité par leur vision scolastique (au sens donné par lui à cette expression).
Bourdieu a donc vraiment tort d'écrire dans la page suivante :
" Faute de dégager toutes les implications de son intuition de la "vision scolastique", Austin n'a pas su voir dans la skholè et le "jeu de langage" scolastique le principe de nombre des erreurs typiques de la pensée philosophique qu'il s'efforçait, après Wittgenstein, et avec d'autres "philosophes du langage ordinaire" d'analyser et d'exorciser." (p. 25)
On a vu en effet qu' Austin écrit noir sur blanc que la cause des erreurs philosophiques sur la question de la perception est une vue scolastique. De cette vue, une disposition scolastique, apte à embrasser panoramiquement tous les usages contextualisés, débarrasserait la philosophie.
Certes Austin n'a pas fait explicitement une genèse sociale de la vue scolastique, il l'identifie cependant à quelque chose comme une des routines du métier de philosophe. Pierre Bourdieu a-t-il donc raison d'écrire :
" Austin omet de poser la question des conditions sociales de possibilité de ce point de vue très particulier sur le monde."
En fait Austin a clairement conscience que les philosophes dont il parle ne réalisent pas qu'ils sont limités par leurs usages philosophiques dans le traitement des problèmes philosophiques.
À coup sûr , Austin comme Bourdieu ont la même fin : augmenter la rationalité de la recherche philosophique.
09/07/10 : Je note que dans leur Dictionnaire Bourdieu (2010), Stéphane Chevallier et Christiane Chauviré (éminente wittgensteinienne) reprennent dans l'article Skholè l'erreur relevée ici. Il ne faut pas faire tant confiance aux maîtres !

Commentaires

1. Le mardi 20 juillet 2010, 18:26 par Pascal
Ca veut bien dire (et le mot "contexte" n'y échappe pas) que comme le disait Wittgenstein, insistant sur 'by itself' : "every sign by itself seems dead" [investigations #432]