Cette gregueria évoque l'hyper-espagnolisme de la corrida, que Ramón déconstruit, comme dans "El torero Caracho", qui n'est pas une apologie naïve de la tauromachie. Mas on ne l'imaginerait pas plaisanter avec l'espagnolisme patriotique. Dans "El Rastro", il y a aussi un espagnolisme "populiste" qui abrite déjà une forme de surréalisme, le marché aux puces de Madrid semblant être comme la métaphore d'un recueil de greguerias. Néanmoins, Ramón devait peut-être partager le jugement de Dali sur le "Romancero gitano" de Lorca, qui se rattachait sans le vouloir à l'espagnolisme pour grand public. Ramón était lucide sur l'espagnolisme d'origine étrangère de Valle-Inclán, que celui-ci avait emprunté à Barbey d'Aurevilly. Dans la bohème littéraire de Madrid, Valle-Inclán avait joué le jeu de la décadence, tandis que Ramón était commentateur et spectateur, ce qui lui permettait de prendre le train de la modernité, même s'il se rattachait au courant picaresque. L'espagnolisme de Ramón était celui du guérillero et du picaro.
Dans ce cas aussi, la greguería me paraît tout à fait juste. Le picador par son hiératisme, du moins quand il a terminé d'appeler le taureau, évoque une gravure représentant Don Quichotte, au poids près ! Le rédacteur de La France Byzantine vise juste : Ramón est supérieurement réaliste !
3. Le vendredi 14 juin 2019, 10:32 par l'ange scalpé
mais Ramon ne veut il pas dire aussi que le picador est Sancho Pança, double vulgaire de Don Quijote?
C'est en effet une interprétation intéressante. En prenant du poids, Don Quichotte gagnerait en sens de la réalité et au lieu d'aller vers une cible imaginaire, attendrait plus platement que le danger réel fonce sur lui.
Il est assez facile de faire un commencement de monde, en déménageant un zoo, par exemple. Cela pourrait inciter à douter des textes religieux, et poser le problème du conflit de la raison et de la foi. Il y a des explications rationnelles des textes religieux. Celle du Buisson ardent est parfaitement scientifique. Dans le cas de la Genèse, l'explication rationnelle reste toujours théologique. Le moyen s'y échapper est l'ironie voltairienne.
Cette gregueria est assez flaubertienne. À la poésie bucolique, elle mêle une angoisse sur sa fin, de rentier instruit des choses de la médecine. On pense à Bouvard et à Pécuchet. Mais Ramón évoque un accident généralement associé à des parties nobles du corps. Il n'évoque pas les infections purulentes de parties plus prosaïques.
Ramón était un peu kabbaliste et numérologue. Il s'intéressait à la magie et à la superstition de la culture méditerranéenne. Il y a un côté para-normal, métapsychique, dans les greguerias, parce qu'elles nous font entrer dans d'autres dimensions. Ici Ramón livre une bribe d'abécédaire Le B représente les deux seins de la nourrice. Il me semble que le Beith de la Kabbale va dans ce sens, avec la nourrice en moins.
Ramón aurait pu être soupçonné de marranisme par l'Inquisition, comme Cervantes et Thérèse d'Avila. L'Inquisition était encore active à l'époque de Goya. Il y a un tableau de lui, "Autodafé de l'Inquisition".
Il y a peut-être une influence du cinéma dans cette gregueria. On dirait un montage qui joue sur le décalage entre l'image et le son. Il y a aussi comme un souvenir de la pataphysique du piéton écraseur. C'est le piéton qui tombe, mais c'est le véhicule qui souffre et qui crie.
C'est par son œuvre de peintre que l'histologiste et neuroscientifique Santiago Ramón y Cajal découvrit les neurones, avec axones et dendrites, et les synapses. À l'origine, il peignait des coupes de cervelles de mouton, auxquelles il trouvait un grand intérêt artistique. D'un point de vue épistémique, on peut parler de sérendipité. Néanmoins, dans sa gregueria, Ramón évoque plutôt une forme de dessin automatique, comme il y a une écriture automatique. Pourtant, le fait que la main dessine spontanément ce qui ressemble à un cerveau pourrait intéresser les neurosciences.
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Ramón était lucide sur l'espagnolisme d'origine étrangère de Valle-Inclán, que celui-ci avait emprunté à Barbey d'Aurevilly. Dans la bohème littéraire de Madrid, Valle-Inclán avait joué le jeu de la décadence, tandis que Ramón était commentateur et spectateur, ce qui lui permettait de prendre le train de la modernité, même s'il se rattachait au courant picaresque. L'espagnolisme de Ramón était celui du guérillero et du picaro.
le picador est Sancho Pança, double vulgaire de Don Quijote?