Les divers cas présentés par Montaigne dans le deuxième essai du Livre I ont comme fin d’illustrer « l’imbécilité humaine » (entendez par là la faiblesse humaine).
C’est le dernier cas qui retiendra davantage mon attention.
Mais d’abord je voudrais relever les différentes manifestations de faiblesse que ces cas (au nombre de 9) présentent.
On se rappellera que tous les cas ont une cause identique : l’excès d’émotion, que celle-ci soit produite par un deuil, un attachement amoureux, une excellente surprise ou, dans le dernier cas qui m’intéressera particulièrement, une situation honteuse.
Trois cas représentent l’extrême douleur : il s’agit de Psammenite, antique roi d’Égypte, du duc Charles de Guise, un de ses contemporains, et d’un certain « Raïsciac, capitaine Allemand » dont Montaigne a lu l’histoire dans les Historiae sui temporis ab anno 1494 ad annum 1547 de Paolo Giovo.
Commençons par le premier et le dernier qui se ressemblent par leur mutisme montré dans une situation qui normalement devrait les bouleverser :
Psammenite, vaincu par Cambyse, « se tint coy sans mot dire, les yeux fichez en terre » en voyant d'abord sa fille transformée en servante puis son fils conduit à la mort.
Raïsciac, reconnaissant tardivement son fils dans le cadavre d’un chevalier dont tous avaient loué le courage, « se tint sans espandre ni voys ny pleurs, debout sur ses pieds, ses yeux immobiles, le regardant fixement ».
Cependant la fin des deux histoires diffère radicalement car si Raïsciac en tombe raide mort, Psammenite manifeste son chagrin bientôt après en voyant mené aussi à la mort un de ses familiers.
Attention ! On ne doit pas interpréter l’immobilité de Raïsciac comme une preuve de la maîtrise qu’il avait de lui, vu que tout l’essai est destiné à souligner la faiblesse humaine. Les lignes qui précèdent la présentation du cas Raïsciac soulignent que si la douleur ne se manifeste pas, ce n’est pas parce qu’elle est réprimée mais parce qu’elle est inexprimable par une conduite :
C’est le dernier cas qui retiendra davantage mon attention.
Mais d’abord je voudrais relever les différentes manifestations de faiblesse que ces cas (au nombre de 9) présentent.
On se rappellera que tous les cas ont une cause identique : l’excès d’émotion, que celle-ci soit produite par un deuil, un attachement amoureux, une excellente surprise ou, dans le dernier cas qui m’intéressera particulièrement, une situation honteuse.
Trois cas représentent l’extrême douleur : il s’agit de Psammenite, antique roi d’Égypte, du duc Charles de Guise, un de ses contemporains, et d’un certain « Raïsciac, capitaine Allemand » dont Montaigne a lu l’histoire dans les Historiae sui temporis ab anno 1494 ad annum 1547 de Paolo Giovo.
Commençons par le premier et le dernier qui se ressemblent par leur mutisme montré dans une situation qui normalement devrait les bouleverser :
Psammenite, vaincu par Cambyse, « se tint coy sans mot dire, les yeux fichez en terre » en voyant d'abord sa fille transformée en servante puis son fils conduit à la mort.
Raïsciac, reconnaissant tardivement son fils dans le cadavre d’un chevalier dont tous avaient loué le courage, « se tint sans espandre ni voys ny pleurs, debout sur ses pieds, ses yeux immobiles, le regardant fixement ».
Cependant la fin des deux histoires diffère radicalement car si Raïsciac en tombe raide mort, Psammenite manifeste son chagrin bientôt après en voyant mené aussi à la mort un de ses familiers.
Attention ! On ne doit pas interpréter l’immobilité de Raïsciac comme une preuve de la maîtrise qu’il avait de lui, vu que tout l’essai est destiné à souligner la faiblesse humaine. Les lignes qui précèdent la présentation du cas Raïsciac soulignent que si la douleur ne se manifeste pas, ce n’est pas parce qu’elle est réprimée mais parce qu’elle est inexprimable par une conduite :
« De vray, l’effort d’un desplaisir, pour estre extreme, doit estonner toute l’ame, et lui empescher la liberté de ses actions : comme il nous advient à la chaude alarme d’une bien mauvaise nouvelle, de nous sentir saisis, transis, et comme perclus de tous mouvements, de façon que l’ame se relaschant apres aux larmes et aux plaintes, semble se desprendre, se demesler et se mettre plus au large, et à son aise. »
Tout autant Psammenite est une victime. Certes il ne va pas en mourir et va d’ailleurs exprimer toute sa douleur, peu après, à l’occasion de la mort d’un de ses familiers. Mais c’est clairement impropre de voir en lui un homme qui se contrôle. En effet il est dominé par une passion inexprimable :
« Cambises s’enquerant à Psammenitus, pourquoy ne s’estant esmeu au malheur de son fils et de sa fille, il portoit si impatiemment celuy d’un de ses amis : C’est, respondit-il, que ce seul dernier desplaisir se peut signifier par larmes, les deux premiers surpassans de bien loin tout moyen de se pouvoir exprimer. »
Le troisième cas permet de comprendre que toute douleur inexprimée n’est pas inexprimable. C’est aussi l’occasion de découvrir une autre forme de la faiblesse humaine. Il s’agit donc du duc Charles de Guise qui, apprenant la mort de son frère aîné, puis peu après celle d’un frère plus jeune, soutient « ces deux charges d’une constance exemplaire » mais s’effondre quelques jours après quand c’est au tour d’ « un de ses gens » de décéder. On peut désormais qualifier cette dernière manifestation de mutisme par répression. Certes les mauvaises langues avaient dit que les précédents décès de ses deux frères ne l’avaient pas touché (on aurait eu alors, si c'était vrai, quelque chose d'ordinaire, le mutisme par indifférence) mais Montaigne donne une autre explication, qui met alors en évidence, sous une forme certes limitée, la maîtrise de soi :
« Mais à la vérité ce fut, qu’estant d’ailleurs plein et comblé de tristesse, la moindre sur-charge brisa les barrieres de la patience. »
« Constance exemplaire », « patience », pas de doute : on n’est plus dans le registre de l’affectivité pathologique mais dans celui de la rationalité, une raison bien sûr assez faible pour succomber à une addition de douleur mais aussi assez puissante pour maintenir la retenue en-deça d’un certain seuil.
Concernant l’amour, Montaigne ne personnalise pas sa leçon (sauf à garder en mémoire l'addition supprimée) ; en revanche il ne manque pas d’exemples pour illustrer la faiblesse de l’homme face à la bonne surprise. C’est alors le plaisir, « l’aise », dit Montaigne, qui tue, et les cas défilent :
« la femme Romaine, qui mourut surprise d’aise de voir son fils revenu de la route de Cannes, Sophocles et Denis le Tyran, qui trespasserent d’aise, et Talva qui mourut en Corsegue, lisant les nouvelles des honneurs que le Senat de Rome luy avait decernez. »
Pour clore la liste des morts de plaisir, Montaigne met en relief la fin, entre nous bien peu chrétienne, d’un pontife :
« Nous tenons en nostre siècle que le Pape Leon dixiesme, ayant esté adverty de la prinse de Milan, qu’il avoit extremement souhaitée, entra en tel excez de joye, que la fievre l’en print et en mourut. »
Pas de doute, comme la Mort dans une danse macabre, la Défaillance unit tous les êtres humains, sexes, fonctions, pays et temps confondus. Reste que terminer l'énumération par un pape n’a pas été jugé suffisant par Montaigne :
« Et pour un plus notable tesmoignage de l’imbécillité humaine, il a été remarqué par les anciens que Diodorus le Dialecticien mourut sur le champ, espris d’une extreme passion de honte, pour en son eschole et en public ne se pouvoir desvelopper d’un argument qu’on luy avoit faict. »
J’ai déjà commenté ici cette mort de Diodore, rapporté par Diogène Laërce. Pierre Villey nous apprend que Montaigne reprend ici la version qu’en donne Pline l’Ancien dans ses Histoires naturelles. Cet auteur rapporte en effet plusieurs cas de mort subite (mors repentina) qu’il qualifie d’ailleurs de « summa vitae felicitas », « le plus grand bonheur de la vie » :
« Pudore Diodorus sapientiae dialecticae professor, lusoria quaestione non protinus ab interrogatione Stilponis dissoluta »
Je traduis : « Diodore, professeur de science dialectique, est mort de honte à cause d’un problème posé par Stilpon et qu’il ne pouvait pas résoudre immédiatement »
On notera que la version qu’en donne Laërce ne convenait pas à Montaigne puisque le compilateur fait mourir Diodore de suicide après avoir écrit un texte apportant une solution au dit problème.
Cette mention de Diodore est dans les Essais la première référence irrévérencieuse à la philosophie.
Mais est-elle vraiment irrévérencieuse ? En tout cas, ce n’est pas Stilpon et son insensiblité légendaire que Montaigne choisit de mettre en avant, mais bien plutôt une victime philosophe de la philosophie. C’est vrai que Montaigne mettra quand même en vedette Stilpon à quatre reprises dans les Essais.
On notera que la version qu’en donne Laërce ne convenait pas à Montaigne puisque le compilateur fait mourir Diodore de suicide après avoir écrit un texte apportant une solution au dit problème.
Cette mention de Diodore est dans les Essais la première référence irrévérencieuse à la philosophie.
Mais est-elle vraiment irrévérencieuse ? En tout cas, ce n’est pas Stilpon et son insensiblité légendaire que Montaigne choisit de mettre en avant, mais bien plutôt une victime philosophe de la philosophie. C’est vrai que Montaigne mettra quand même en vedette Stilpon à quatre reprises dans les Essais.
Commentaires
Ceci dit, je ne comprends absolument pas la violence dont fait preuve à votre égard Pierre Assouline dans sa première réponse à votre remarque. Avez-vous un contentieux ?
Je suis en cela du côté de Maria Kodama parce que Borges n´a pas pu, je veux le croire, se tromper tant d´années avec elle, qu´elle a vu de première main lui dicter une partie de ses écrits d´aveugle voyant que nous lisons traduits ou en original maintenant. Si la traduction fût infidèle ou trop libre, des inexactitudes se glisseraient dans un texte qui deviendrait (encore plus) difficile à lire. Il faut donc, quoique nous pensions que la traduction est une interprétation pouvant même parfois améliorer un original, être le plus fidèle que l´on peut à ce que l´on traduit sans en rajouter/enjoliver quand cela est possible et sans en trop couper/améliorer.
A un gato
ni más furtiva el alba aventurera;
eres, bajo la luna, esa pantera
que nos es dado divisar de lejos.
divino, te buscamos vanamente;
más remoto que el Ganges y el poniente,
tuya es la soledad, tuyo el secreto.
caricia de mi mano. Has admitido,
desde esa eternidad que ya es olvido,
el amor de la mano recelosa.
de un ámbito cerrado como un sueño.
Non moins silencieux que le miroir,
Tu passes et je pense apercevoir
Sous la lune équivoque une panthère.
Nous te cherchons. Nous voulons, fauve étrange
Plus lointain qu'un couchant ou que le Gange,
Forcer ta solitude et ton secret.
Il est écrit dans ton éternité
Que s'accordent à ta frileuse paresse
Ma main et son amour inquiété,
Clos comme un rêve est ton domaine.
ni plus furtive l´aube aventurière;
tu es, sous la lune, cette panthère
que nous pouvons parfois apercevoir.
divin, nous te cherchons vainement;
plus lointain que le Ganges et le couchant,
oeuvre de solitude et de secret.
à la caresse de ma main. Tu admets,
de cette éternité qui est rejet
l´amour de la main blafarde.
d´un cadre fermé comme un rêve.
Pour ma part j´ai pris également quelques licences poètiques mais qui sont , je le crois, plus admissibles et plus fidèles:
"divisar de lejos"---> "parfois apercevoir"
"Por obra"--->"Objet"
"tuya es la soledad"--->"oeuvre de solitude"
"que ya es olvido"-->"qui est rejet" pour des raisons de rime, mais l´oubli c´est ausi du rejet.
"recelosa"--->"blafarde" pour des raisons de rime, mais la crainte rend blafard.
Finalement j´ai changé la rime "dueño/sueño" par "sève/rêve" et c´est là où j´ai le plus hésité, mais je pense que ce n´est point une trahison.
C´était donc une traduction de Jean-Pierre Bernès et de Nestor Ibarra ? Travaillent-ils en duo ?
Ou bien une traduction de Nestor Ibarra approuvée par Bernès?
Malheureusement je n´ai aucune édition de la Pléiade en mon pouvoir, et ce n´est que sur l´Internet que je trouve les poèmes en français de Borges. En fait la traduction dont nous parlons est la seule en français de Borges que j´ai lu.
Et c´est le seul poème de Borges que j´ai traduit (j´espère que pas trop mal, j´ai des doutes).
Je lis Borges en espagnol. Mais il faudrait réviser d´autres poèmes s´ils étaient comme celui-ci ,j ´éspère que non, parce que cela est littérairement (et poétiquement) plutôt irrespectueux; envers un Borges qui n´aimait certainement pas l´artifice gratuit, en littérature; commme ce Brassens, d´ailleurs, qui essayait, selon ses propres mots, de ne pas en faire, pas d´en faire, de la littérature ,de l´artifice, des feux follets inutiles et souvent prétentieux. J´aime Borges précisément parce qu´il fuit l´artificiel à travèrs du court, de l´accourcissement des maux.
"Jean-Pierre Bernès, éditeur de cette Pléiade Borges en est le responsable, c’est entendu. Mais il n’a traduit que les textes inédits de Borges. Pour le reste, selon une vieille habitude de la collection, le maître d’oeuvre a été tenu de reprendre des traductions historiques de Gallimard. Mais il les a toutes révisées, non seulement avec l’accord mais surtout avec la complicité de Borges. Il lui a relu à voix haute l’intégralité de son oeuvre."
Mais je me souviens d´un enregistrement d´une entrevue de la television espagnole (qui existe sur Internet) où Borges disait qu´il ne se souvenait pas de la plupart de ce qu´il avait écrit. Ce qui est par ailleurs tout à fait normal. Mais on doit considérer que puisqu´il était aveugle, et ne pouvait pas comparer ligne par ligne ce qu´on lui lisait en françois avec son original, il ne pouvait en aucune façon savoir si la traduction était bonne ou mauvaise. Tout au plus pouvait-il juger que la musicalité et le rythme étaient suffisants, ce qui, justement, n´est pas suffisant. Si l´on ajoute, de plus, qu´il est connu que la position de Borges sur la traduction, était d´une grande flexibilité, puisqu´il pensait que le traducteur réecrivait presque indépendamment le texte qu´il traduisait, on peut comprendre qu´il n´a pu vraiment savoir si la traduction en français était bonne ou bien clochait.
C´est aussi ce que je pense qu´il faut faire et c´est pourquoi j´ai traduit contre Ibarra l´enjoliveur. Mais sa traduction est bien plus musicale et rythmée que la mienne qui se veut d´être plus fidèle aux origines, à la lettre.
(minute 2:00)
ni plus furtive l’aube aventurière ;
tu es, sous la lune, cette panthère
qui de loin seulement s’offre à nos regards
nous te cherchons en vain ;
plus éloigné que le Gange et le couchant,
tienne est la solitude, et à toi le secret
de ma main, tu as accepté,
depuis cette éternité en oubli déjà muée,
l’amour de cette main frileuse
d’un territoire aussi impénétrable que le rêve
Concernant le vers 8 (tuya es la soledad, tuyo el secreto) est-ce si lourd de garder la répétition et d'écrire : "tienne est la solitude, tien est le secret" ? Je serai aussi plus sobre au niveau du vers 11 ("desde la eternidad que ya es olvido") : depuis l'éternité qui déjà est oubli. Pourquoi ne pas traduire aussi le vers suivant : "el amor de la mano recelosa" par : l'amour de la main frileuse. Pour les deux derniers vers ("en otro tiempo estas. Eres el dueño / de un ámbito cerrado como un sueño") : tu es dans un autre temps. Tu es le maître d'un territoire fermé comme un rêve"
Il faut le répéter : la traduction de ce poème dans l'édition de la Pléiade (T II p.295 - je me réfère à la première édition) est la création d'un autre poème et non un effort pour rendre le poème de Borges en français.
http://lit-et-raire.blogspot.com
quand je regarde le visage de la glace;
je ne sais quel ancien guette en son palace
de silencieuse et fatiguée colère.
mes invisible traits. Une déchirure
m´atteint. J´ai entrevu ta chevelure
qui est de cendre ou est encore d´or.
la surface vaine des choses.
Le réconfort est de Milton et il est vaillant,
Je pense que si je pouvais voir ma figure
je saurais qui je suis en ce soir d´enluminure.
----------------------------------
cuando miro la cara del espejo;
no sé qué anciano acecha en su reflejo
con silenciosa y ya cansada ira.
mis invisibles rasgos. Un destello
me alcanza. He vislumbrado tu cabello
que es de ceniza o es aún de oro.
la vana superficie de las cosas.
El consuelo es de Milton y es valiente,
Pienso que si pudiera ver mi cara
sabría quién soy en esta tarde rara.
-----------------------------------
Mais mon souci majeur a cependant certainement été la fidelité à l´essence du poème que je crois avoir su respecter.
Quand je regarde la figure du miroir ;
Certain vieillard m'y guette, et je crois entrevoir
Son ire sourde et lasse et vaguement hagarde.
Lent dans ma lente nuit, j'explore de mes doigts
Mes invisibles traits. Soudain vient me surprendre
Un éclair, tes cheveux. Seraient-ils déjà cendre
Ou gardent-ils leur or, leur gloire d'autrefois ?
Je me redis que je n'ai rien perdu des choses
Que leur vaine surface. Ainsi se consolait
Milton ; c'est un courage où je cherche un bienfait.
Je pense aux lettres cependant, je pense aux roses.
Et mon visage, là... Si je pouvais le voir,
Je saurais qui je suis en cet étrange soir.
l´instant dans la guerre kodama Bergès qui me paraît être une guerre d´un tout autre niveau que littéraire, sans en savoir plus ni les avoir rencontré.
En effet, puisque c´est Borges lui même,
d´après Assouline, qui en se faisant relire à haute voix les textes en français, a donné le oui (le "visto bueno") aux traductions de la Pléiade, il n´y a rien à reprocher à Bernès ni même à Caillois ni à Ibarra. Personnellement je me fâcherais si dans la traduction d´un de mes poèmes on enjolive et rajoute à la manière que nous avons vue. Mais si Borges lui même
s´en amusait, parce qu´il pensait qu´un e traduction était une réinterpretation nouvelle du poème-alors que moi je crois qu´une traduction doit être une fidélité optimisée qui conserve l´esprit de l´original en ne changeant que l´indispensable; comment peut-on en accuser Bergès qui a tout simplement obéit aux souhaits (et à l´amusement peut être) de Borges ?
http://clubdetraductoresliterariosd... :
"Las traducciones al francés que han hecho Ibarra y Roger Caillois son muy buenas"
alors que je pense le contraire, qu´elles enjolivent et dénaturalisent le style austère, presque monacal et monotone de la poésie de Borges, ou les mots ont du poids, pèsent, que l´on ne peut donc substituer pas des dances lègères et fleuries (d´autres) mots, sans en altérer la musicalité et le rythme (musical) interne. C´est par ailleurs chez Borges, pareil en prose, dans ses "cuentos" où l´on se doit, à mon avis, de respecter l´arrythmie, si notable (cette arrythmie littéraire) de Borges.
de « La Société du Spectacle » (Guy Debord)
Commentaire d’Olympia ALBERTI : Les deux premiers vers à eux seuls méritent une stèle. Ils sont l’exacte inversion que représente une image rendue par un miroir. Ainsi « quelle figure me regarde » fait chiasme avec « je regarde la figure du miroir ». Cette réussite introduit d’emblée le questionnement métaphysique qui lui est cher, avec l’idée d’un troisième regard majeur, glissé entre l’œil aveugle de l’homme et l’œil impassible du miroir.
« Certain vieillard m’y guette » n’est pas une image innocente puisqu’il s’agit là de souligner et Dieu et le miroir qui reflètent un réel, et que l’aveugle âgé est impuissant lui à percer : cette opacité du monde, épaisseur traduite par les deux épithètes du vers suivant « Sourde et lasse » qui disent, et la fatigue et la fermeture à un sens par un glissement à celui de l’ouïe.
En effet, cette « ire », n’est pas tant colère divine que vaine irritation égarée, que rend admirablement « haguarde » (à l’origine faucon dont la vue baisse derrière une haie).
Le sens de la vue, de la vision même, est délégué aux doigts, à la main de l’écrivain qui cherche sur le visage sans regard, des invisibles traits. L’écriture du temps doit être là, on cherche à s’en assurer pour mieux voir dedans l’image que l’on est à l’extérieur. Pour traduire la sensation de sa démarche entravée, Borges choisit cette belle image répétitive « Lent dans ma lente nuit ». Et dans ce déplacement Saturnien du monde, c’est l’éclair d’une vision intérieure (les cheveux de celle qu’il aima). En un contraste violent, il oppose la gloire de leur lumière, cet or insaisissable qui a fait trace dans son être, et la cendre. Notre vie est un feu, il faut en admettre les étapes. La gloire même n’est plus qu’un souvenir, elle est limitée d’autrefois. Vocabulaire volontiers pâle, comme décoloré par l’impossibilité de s’appuyer aux couleurs vives d’un monde présent. La vie n’est plus que lente déambulation dans une nuit de mémoire déchirée, par failles.
« Je me redis ». Alors le regard est laissé à son errance, le poète se détache du monde « Je n’ai rien perdu des choses », qu’il a pourtant élises en rîme avec roses, image de la vie éphémère mais pleine. Ne plus pouvoir habiter le monde extérieur est une richesse obligée. Il est, tel Milton, renvoyé au plus profond de son être et n’a plus rien à faire de la « vaine surface » mise en relief à la césure. Le poète n’est pas dupe (l’enjambement le montre). Il cherche à poser sa main sur un frère en poésie, sur son courage. Seule demeure, la pesée des choses du monde dedans. Et comme nous avions la répétition de « lente », nous avons celle de « je pense », « Je pense aux lettres, je pense aux roses ». Et on ne pense que dans l’absence, la séparation. Et ce verbe au présent libère une nostalgie douloureuse. « Et mon visage, là », en hyperbate, là, est l’indication d’une distance, d’un être fragmenté dans l’absence du monde, qui tend la main pour se saisir d’une preuve.
A la fin du jour, l’aveugle est privé de cette humanité à voir un visage. Il lui reste qu’un cri : « Je saurai qui je suis ». Voir, là, ce serait savoir. Humilité d’une sagesse qui cherche à cerner un espace charnel, un contour, tant l’être est cette croix absolue entre l’espace et le temps.
Non, le soir n’est pas étrange. Il rend l’homme étranger à lui-même, cherchant à tâtons dans sa mémoire blessée, le souvenir de la lumière. Celle des cheveux de l’aimée où le soleil a fait sa gloire. La seule richesse du poète est bien le souvenir de la lumière étreinte.
En effet; lorsque Olympia exclame, non sans justesse :
"En effet, cette « ire », n’est pas tant colère divine que vaine irritation égarée, que rend admirablement « haguarde » (à l’origine faucon dont la vue baisse derrière une haie)" Mais Borges n´utilise pas le mot "hagarde" = "azorada"; "despavorida"; ..C´est un mot ajouté de toutes pièces par le traducteur Bernès ou par Ibarra; au quatrième vers, : "con silenciosa y ya cansada ira"; que j´ai traduit par "de silencieuse et fatiguée colère".
Olympia continue brillament:
"Pour traduire la sensation de sa démarche entravée, Borges choisit cette belle image répétitive « Lent dans ma lente nuit » Or justement Borges au cinquième vert ,dit :
"Lento en mi sombra, con la mano exploro" que j´ai traduit par: "Lent dans mon ombre, de la main j´explore". Borges ne répète en aucune façon le mot "lent"; et quand Borges répète un mot, c´est parce qu´il le veut. Dans ce cas, la lenteur n´est point l´attribut principal de la cécité; mais comme on peut l´entrevoir ; la solitude face aux traductions peu fidéles que l´on ne peut point lire personnellement ; la lecture impossible. (Je sais de quoi je parle, moi même j´ai perdu une grande partie de la vision; je connais l´ombre en partie; je lis mal; mais moi je n´aime point trop lire, dépendre de l´opinion des autres. Par contre Borges, nous le savons bien, pense être ce qu´il a lu, qu´il ne regrette orgueilleusement pas).
"Pero pienso en las letras y en las rosas"-->"mais je pense aux lettres et aux roses" s´exclame Borges au vers 12; la pensée ne se répète pas, comme chez le traducteur que Olympia lut; ce qui se répète c´est les lettres dans les roses; qui elles ne s´écrivent point, cependant, une écriture différente:
"Et comme nous avions la répétition de « lente », nous avons celle de « je pense », « Je pense aux lettres, je pense aux roses »"
Note: Je tiens à dire que j´aime beucoup le commentaire d´Olympia; qui dépendait trop, cependant, de l´humeur de la traduction; et je m´excuse pour mon mauvais français après 39 ans sans presque jamais le parler; hors de l´inmutable et jolie (good looking; bonita) France.
quand je regarde le visage de la glace;
je ne sais quel ancien guette en son palace
de silencieuse et fatiguée colère.
mes invisible traits. Une déchirure
m´atteint. J´ai entrevu ta chevelure
qui est de cendre ou est encore d´or.
la surface vaine des choses.
Le réconfort est de Milton et il est vaillant,
Je pense que si je pouvais voir ma figure
je saurais qui je suis ce soir d´enluminure.
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cuando miro la cara del espejo;
no sé qué anciano acecha en su reflejo
con silenciosa y ya cansada ira.
mis invisibles rasgos. Un destello
me alcanza. He vislumbrado tu cabello
que es de ceniza o es aún de oro.
la vana superficie de las cosas.
El consuelo es de Milton y es valiente,
Pienso que si pudiera ver mi cara
sabría quién soy en esta tarde rara.
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Mon souci majeur a pourtant certainement été la fidelité à l´essence du poème que je crois avoir su voir (puisque nous parlons d´aveugles) et su respecter (puique dans une traduction
l´important c´est l´original). (1): La beauté des mots très courts castillans "cara" et "rara" se perd lors de la traduction, surtout que le français est en général una langue (un peu) plus "longue" que l´espagnol.
Mi mayor preocupación sin embargo ha sido la fidelidad a la esencia del poema que creo haber sabido ver (ya que hablamos de ciegos) y respetar (puesto que en una traducción lo importante es el original). (1): No entro aquí a valorar la belleza de las palabras castellanas cortas "cara" y "rara", perdida -esa belleza de la cortedad- al traducir a otra lengua además en general (algo) más "larga" que el español.
entre les cornes des bœufs.
Nous irons, si tu le veux,
si tu le veux, dans la campagne monotone.
Entends là-bas, là-bas, l’âne...
L’hirondelle noire plane,
les peupliers au loin s’en vont comme un ruban.
qui grince, qui grince encor,
car la fille aux cheveux d’or
tient le vieux seau tout noir d’où l’argent tombe en pluie.
sur sa tête d’or la cruche,
sa tête comme une ruche,
qui se mêle au soleil sous les fleurs du pêcher.
au ciel bleu des flocons bleus ;
et les arbres paresseux
à l’horizon qui vibre à peine se balancent.
entre los cuernos de los bueyes.
Iremos si lo quieres,
si lo quieres, por el campo que retumba.
Escucha allí, allí al burro...
La golondrina negra en vuelo duro,
los álamos a lo lejos se van como en desmayo.
que chirría, que chirría en coro,
pues la chica con cabellos de oro
sostiene el viejo balde negro donde la plata alea.
en su cabeza de oro al cántaro,
su cabeza como un relámpago,
que se enreda en el sol bajo la flor inquieta.
al cielo azul copos azules;
y los árboles gandules
del horizonte que vibra apenas si suspiran.
À ma connaissances, les oeuvres de Borges sont éditées en plusieurs volumes par Emece Editores.