vendredi 16 août 2019

Greguería n° 118

" Las manos de los verdaderos amantes son reflejo la una de la otra como narcisos que se encuentran."
" Les mains des vrais amants sont le reflet l'une de l'autre, telles des narcisses qui se sont rencontré(e)s."
C'est en 1962, un an avant sa mort, que Ramón a inclus cette greguería dans la réédition de son ultime somme, Total de greguerías (Aguilar, Madrid), parue pour la première fois en 1955.
À mes yeux, il a eu raison d'effacer celle qu'elle remplace (" - ¿Pero, hombre, por qué se traga los huesos de las aceitunas? - Para fortificar el esqueleto. " " - Mais, bon sang, pourquoi avalez-vous les noyaux des olives ? - Pour me fortifier le squelette.")

Commentaires

1. Le vendredi 16 août 2019, 10:52 par gerardgrig
Avec la mémoire du charbon et les noyaux d'olive qui renforcent l'ossature, un peu comme il y a du fer dans les épinards, Ramón manie encore la science "populaire", naïve. C'est son côté bachelardien. Avec les mains des amants, on est plutôt dans l'eau de rose de la littérature sentimentale. Neanmoins, dans "La Psychanalyse du feu", Bachelard disait : " Allez au fond de l'inconscient ; retrouvez avec le poète, le rêve primitif et vous verrez clairement la vérité : elle est rouge la petite fleur bleue ! ".
2. Le vendredi 16 août 2019, 18:07 par gerardgrig
En réalité, Ramón était béni des dieux. Il était d'une époque où tout était possible et permis. C'était l'homme de la Belle Époque. En matière sentimentale, c'est dorénavant la fin de l'innocence. Comme le rappelait Umberto Eco, on ne peut plus faire de l'affectif que sur le mode de la postmodernité citationnelle. On serait obligé aujourd'hui d'écrire : "Comme dirait Barbara Cartland, les mains des vrais amants sont le reflet l'une de l'autre, etc.".
3. Le samedi 17 août 2019, 14:20 par Philalèthe
Le granum salis, c'est "telles des narcisses etc." 
N'y a-t-il pas aussi une naïveté post-moderne ?
Quant à la désillusion amoureuse, ne s'est-elle pas exprimée bien avant la post-modernité sous une forme subtile, euphémisée ou même avec une grande franchise ?
Quoi de plus crûment désillusionné par exemple que le livre IV du Natura rerum de Lucrèce ?
En tout cas, ce n'est pas parce que j'interprète des textes qu'il faut en conclure que selon moi, le textuel avec l'intertextuel constitue la réalité. Je me méfie d'un tel idéalisme linguistique....
4. Le samedi 17 août 2019, 21:36 par gerardgrig
Il est vrai que l'analyse d'Eco vise seulement le "je vous adore" dit à une femme, auquel il faut ajouter l'excuse de faire du Barbara Cartland, pour ne pas être dans le registre du foutage de gueule. Mais ce faisant, Eco oublie qu'on ne va peut-être pas arranger son affaire. L'analogie alambiquée avec les narcisses, à partir du poncif des vieux amants qui finissent par se ressembler, évoque plutôt la préciosité gongoriste. À la fin d'une vie, les masques tombent. Le monde est ce qu'il est, et je suis ce que je suis. Ramón fait de l'espagnolisme tautologique avant de nous quitter.
5. Le mardi 27 août 2019, 21:31 par Philalèthe
Oh, les femmes dont vous parlez me paraissent appartenir à un tout petit milieu, sociologiquement parlant. Quant aux narcisses, l'espagnol utilise le masculin autant pour la narcisse que pour le narcisse, et j'ai pensé en fait au narcissisme mais c'est vrai que j'ai traduit par un féminin. Je vais modifier la traduction du coup, pour laisser ouvertes les deux possibilités.

jeudi 15 août 2019

Greguería n° 117

"Indigna tener en el ojo la esclerótica, pero eso va compensado porque también tenemos el iris."
" C'est indigne d'avoir dans l'oeil la sclérotique mais c'est compensé par le fait que nous avons aussi l'iris."
Rappel : " Dans l'orient obscur, dépliant un arc immense, l'iris brille au soleil couchant." (Chateaubriand, Mélanges littéraires, 1826, p. 86)

mercredi 14 août 2019

Greguería n° 116

"Las estrellas están tan deslumbradas por su luz que no pueden verse unas a otras."
" Les étoiles sont tellement éblouies par leur propre lumière qu'elles ne peuvent pas se voir les unes les autres."

mardi 13 août 2019

Greguería n° 115

" El artista saca de si cosas de las que se guardan sólo para decirselas a Dios."
" L'artiste tire de lui des choses parmi celles qu'on garde seulement pour les dire à Dieu."

lundi 12 août 2019

Greguería n° 114

" Convertido en brasa el carbón se acuerda de todo, hasta de cuando era árbol verde en un mundo lleno de esperanzas."
" Transformé en braise, le charbon se rappelle de tout, même du moment où il était arbre vert dans un monde plein d'espérances."

dimanche 11 août 2019

Greguería n° 113

" Los días nos van cubriendo el corazón de su enredadera."
" Les jours recouvrent peu à peu le coeur du feuillage de leur plante grimpante."

samedi 10 août 2019

Greguería n° 112

"El champaña es el agua mineral de los millonarios."
" Le champagne est l'eau minérale des millionnaires."
Héraclite écrivait :

Commentaires

1. Le dimanche 11 août 2019, 12:01 par gerardgrig
Est-ce le goût du paradoxe gratuit ? En principe, on dirait plutôt que l'eau minérale est le champagne du pauvre. Un paradoxe a-t-il toujours un intérêt épistémique ? Un loufoque manierait plutôt l'oxymore, en associant le camembert au Dom Pérignon. Mais n'est-ce pas une façon de rechercher la paix sociale ? On peut s'interroger sur l'analogie du cochon et du millionnaire. Est-il moral de haïr le riche ? Et la saleté du cochon est une invention de l'homme, qui la lui impose, parce qu'il a le préjugé que le cochon est sale. Il y a peut-être un complexe pygmalioniste du cochon, qui est sale parce que l'homme croit qu'il l'est. En tout cas, Malaparte disait que si le chat nous méprise et si le chien nous flagorne, le cochon nous traite comme son égal.
2. Le lundi 12 août 2019, 08:40 par Philalèthe
Dire que l'eau minérale est le champagne du pauvre signifierait autre chose : ça pourrait se dire de l'épicurien qui sait donner du prix aux choses ordinaires.
Quant au rapprochement avec la phrase d'Héraclite, il n' a pas comme fin d'injurier le riche en le traitant de cochon. mais de nourrir une pensée ici sceptique qui met en évidence la relativité du plaisir. Si on veut, on pourrait en tirer une analogie : le rapport du riche au champagne est le même que celui du cochon avec la boue. Ce rapport de familiarité est étrange pour le pauvre (car pour lui le champagne est extraordinaire) et pour qui associe la boue au sale, au répugnant (car alors c'est le rapport avec l'eau pure qui devrait être ordinaire).

vendredi 9 août 2019

Stoïcisme et néo-cortex.

Relisant Proverbes, maximes et émotions de Jon Elster, j'en viens à repenser au stoïcisme. Pourquoi ne peut-on être stoïcien qu'en rêve ? Dit autrement, pourquoi des philosophes stoïciens majeurs comme Sénèque ou Marc-Aurèle ont-ils reconnu qu'il leur restait beaucoup à faire pour devenir des sages ?
Deux explications sont concevables : (1) les conditions pour devenir sage sont difficiles à réunir et (2) devenir sage est humainement impossible.
C'est la deuxième position que les lignes d' Elster favorisent, même ni elles ne mentionnent ni explicitement ni implicitement la philosophie du Portique.
Elster, analysant les causes de l'émotion, reconnaît, comme les Stoïciens l'ont fait aussi, que les émotions dépendent des croyances. C'est ce fait psychologique qui explique l'importance accordée par le stoïcisme au contrôle rationnel des croyances, condition nécessaire du contrôle des émotions. Spinoza a ainsi expliqué que, si on identifie autrui à un être déterminé par ses passions, on ne développe pas vis-à-vis de lui les émotions ressenties quand on le juge libre. Cette leçon demeure bonne à prendre assurément.
Néanmoins le hic est, comme l'explique Elster en s'appuyant sur les recherches de Joseph LeDoux (The emotional brain, 1996), que le chemin qui va de la perception à l'émotion ne passe pas toujours par le néo-cortex, siège de la raison, pour faire vite. En effet il est quelquefois direct, du thalamus à l'amygdale. Alors on prend par exemple le simple bâton pour un dangereux serpent. Au sens strict, on n'a pas jugé que c'était un serpent... LeDoux assurait que cette réaction est avantageuse sélectivement : " il est préférable de répondre aux événements potentiellement dangereux comme si ils étaient en fait la réalité, plutôt que de ne pas leur répondre." (Proverbes, maximes et émotions, p. 15).
En tout cas, il semblerait que le stoïcisme n'ait pris en compte que le chemin thalamus-néo-cortex-amygdale. L'autre chemin a des effets que le stoïcisme aurait donc interprétés à tort comme accidentels et évitables, indice seulement d'un manque de maîtrise de soi, non d'une structure essentielle de l'être humain.
Jonathan Haidt dans son excellent livre, The happiness hypothesis. Finding modern truth in ancien wisdom (2006), écrivait :
" Le système contrôlé peut difficilement vaincre le système automatique par le simple pouvoir de la volonté. Le premier est comme un muscle : il se fatigue, s'épuise, et cède. Le second continue automatiquement sans effort et sans fin. Lorsqu'on a compris le pouvoir du contrôle par les stimuli, on peut l'utiliser à notre avantage. On peut changer les stimuli dans notre envirionnement et éviter ceux qui sont indésirables, ou, si ce n'est pas possible, penser à leurs côtés les plus désagréables." (traduction française, p.33)
Dit autrement, c'est sage d'aller se promener dans les endroits où on sait qu'il n'y a pas de serpents. Certes Haidt évoque aussi ce que Sandrine Alexandre a appelé la redescription dégradante mais cette redecription du stimulus dérangeant est beaucoup moins sûre que le simple évitement... La raison en est peut-être qu'on n'y croit pas vraiment : on se la dit, on aimerait y croire...

jeudi 8 août 2019

mercredi 7 août 2019

Greguería n° 109

"La mosca en el cristal sueña que vuela en cielos más altos."
" La mouche sur la vitre rêve qu'elle vole haut dans le ciel."
Nietzsche écrivait :
" Si nous pouvions comprendre la mouche, nous nous apercevrions (...) qu'elle sent avec elle voler le centre du monde" (Écrits posthumes, 1870-1873, Gallimard, p.277)

Commentaires

1. Le mercredi 7 août 2019, 20:04 par gerardgrig
En réalité, si l'on continuait l'humanisation de la mouche, on pourrait dire qu'elle est une rêveuse non réalisatrice. Quand on lui ouvre la fenêtre, elle ira partout, animée d'un mouvement brownien, mais elle ne sortira jamais par la fenêtre ouverte. Quant à Nietzsche, il avait une méthode zen contre la transcendance. Il suffit de penser très fort que l'on est une mouche dans le monde.
2. Le mercredi 7 août 2019, 23:35 par Philalèthe
Si la mouche ramonienne n'a pas conscience de rêver, si  en somme elle est dans l'illusion autant que la mouche nietzschéenne, c'est normal qu'elle ne sorte pas ! Par cela même, elle tient du prisonnier de la caverne platonicienne qui ne veut pas monter...