mardi 27 août 2019

D'où tu parles, camarade?

Dans une recension, pour la revue Europe, d'un livre de Maxime Leroy sur Descartes, le philosophe au masque, Georges Canguilhem écrit le 15 septembre 1929 :
" M. Leroy ne veut à aucun prix qu'il y ait en Descartes du gentilhomme. Il me paraît humblement que ce n'est point si sûr. Et j'ajoute aussitôt : " Qu'est-ce que cela peut nous faire ? ". Il y a des pensées de gentilhomme qui nous sont plus précieuses que bien des discours de politiques républicains. Ce qui est une pensée vraie, où que ce soit, est toujours révolutionnaire." (Écrits philosophiques et politiques 1926-1939, p. 254)
Ne pas juger de la valeur d'une croyance seulement par l'identité de celui qui l'a, c'est une bonne règle. Mais toute pensée vraie est-elle révolutionnaire ? Il y a une multitude de pensées vraies banales. Ou alors il ne faut pas comprendre pensée vraie comme voulant dire croyance vraie. Est-ce alors une croyance vraie qui a demandé un effort de réflexion ? Dans ces conditions, la révolution est épistémique et consiste à vaincre l'erreur dominante, les préjugés, etc. La question est alors de savoir si les seules vraies révolutions sont épistémiques. N'était-ce pas la pensée d' Alain ? Le citoyen est contre les pouvoirs injustes non pas quand il cesse d'y obéir mais quand il a des idées vraies sur eux. Il y a quelque chose de cette idée dans l'opuscule kantien sur les Lumières : les tuteurs peuvent bien être remplacés par d'autres aussi mineurs qu'eux du point de vue de la pensée. Mais une source plus lointaine est stoïcienne, chez Épictète par exemple : le tyran me coupera la tête mais ne pourra pas me séparer de l'idée vraie que je me fais de lui, idée qui a plus de prix que la tête qui la contient.

Commentaires

1. Le jeudi 29 août 2019, 13:27 par gerardgrig
Si le socialisme de Descartes semble improbable, le marxisme pascalien a toujours de l'audience dans le monde universitaire. À en croire Lucien Goldmann ou Bourdieu, Pascal était un marxiste sans le savoir. Bourgeois savant et progressiste, proche de la noblesse de robe, mais pourtant conservateur et traditionaliste, il vivait ses contradictions sur un mode tragique et pré-marxiste, qui aurait influencé sa pensée.
2. Le lundi 16 septembre 2019, 19:50 par Philalèthe
Pascal a en effet bien compris comment socialement les rapports de force sont à la fois originaires et masqués par les justifications de droit.

lundi 26 août 2019

Greguería n° 128

" -¡Gusano!
- Llámeme usted oruga, por lo menos."
" - Vers !
- Appelez-moi chenille, au moins."

dimanche 25 août 2019

Greguería n° 127

" Lo peor al acabar el espectáculo de la vida es ver la mano radiográfica que marca la salida."
" Le pire, quand le spectacle de la vie se termine, c'est de voir la main radiographiée indiquant la sortie."

samedi 24 août 2019

Greguería n° 126

" Murió tan desapercibidamente como se cae un abanico en el fondo de una vitrina."
" Sa mort est passée aussi inaperçue que la chute d'un éventail au fond d'une vitrine."

" La coutume n'est rien parce qu"on prend d'autres coutumes."

Spinoza avait clairement opposé dans le Traité de l'autorité politique la paix apparente à la paix réelle :
" Lorsque les sujets d'une nation donnée sont trop terrorisés pour se soulever en armes, on ne devrait pas dire que la paix règne dans ce pays, mais seulement qu'il n'est point en guerre. La paix, en vérité, n'est pas une simple absence d'hostilités, mais une situation positive dont certaine force de caractère est la condition." (Oeuvres complètes, La Pléiade, p. 950)
Georges Canguilhem s'inscrivait dans cette tradition quand, dans les Libres Propos du 20 mars 1929, il écrivait dans le cadre d'une " esquisse de politique de paix " :
" La paix que nous cherchons n'est pas la paix par la peur de la guerre, mais la paix pour l'amour de la paix. C'est donc la paix en tant que telle (laquelle existe déjà depuis qu'il y a des métiers, un commerce, une culture) que nous voulons asseoir définitivement, et non la paix qui n'est qu' horreur du sang, des canons et des armées)." (Écrits philosophiques et politiques 1926-1939, Vrin, 2011, p. 215)
Ce qui m'intéresse précisément ici, c'est l'article 9 d'un " projet de budget de la paix " que Canguilhem élabore dans cet esprit :
" Art. 9. - Chaque année, dans chacune des provinces d'ancien régime, 1 volontaire (homme de lettres, ingénieur, professeur, instituteur, prêtre, etc.) sera pris pour aller parler dans les provinces autres que la sienne les jours de manifestations régionalistes, félibréennes, autonomistes, etc., etc. Le conférencier devra célébrer l'excellence des moeurs et traditions dans la province d'où il est originaire. Salaire assuré égal soit au traitement, soit au revenu de la profession que le conférencier devra interrompre. Déplacements payés. Assurance en cas d'accidents et assurance sur la vie." (ibid. pp. 214-215)
Dans le texte suivant immédiatement les premières lignes citées, Canguilhem écrit :
" Ce qui fait la paix c'est la reconnaissance et l'acceptation des différences, et, par la conciliation de ces différences, leur négation. Nous voulons que les hommes se connaissent comme le pays et la coutume les font. Mais nous voulons leur apprendre aussi que la coutume n'est rien parce qu'on prend très bien d'autres coutumes. Nous voulons qu'un fondeur de Grenoble sache comment des hommes différents fondent à Vierzon ; qu'un mineur de Carmaux sache comment on descend dans les mines de Lens ; et qu'un instituteur de Lorient sache comment on apprend à lire dans les Cévennes. Afin qu'ils sachent tous que si les actions ou le vocabulaire changent, la façon d'ordonner des moyens en vu d'une fin et de donner sens à un mot par le contexte est universelle.
Nous voulons apprendre aux gens le désaccord et la discorde, afin qu'ils s'en réjouissent. Si le conférencier venu parler des moeurs flamandes et des combats de coqs aux Martigues, pays des cigales et des taureaux, s'en retournait avec l'oeil droit poché et le chapeau emporté comme une cocarde, nous le regretterions ; mais ayant payé le pharmacien et le chapelier, nous enverrions l'année suivante, aux Martigues, un Breton authentique ou M. Henri Pourrat. Ce que nous voulons atteindre, par le dépaysement obligatoire, mais qu'on le remarque, dans les limites de la profession, c'est un genre d'universalité qui tue l'égoîsme sans faire renier aux hommes rien de leur position sur terre. Nous voulons apprendre aux gens le point de vue des autres en leur demandant de garder le leur, puisqu'il n'y a jamais pour chacun qu'un point de vue qui est le bon." (ibid. pp. 215-216)
Il me semble que ce projet, exprimé dans un ton qui a quelque chose de hégélien et qui consiste à relativiser les cultures et à mettre en valeur ce qu'il y a d'universellement humain dans toutes, gagnerait aujourd'hui à être repris à l'échelle non d'un État donné (même si les catalanistes, entre autres, devraient méditer ces lignes !) mais à celle de l'Europe. En effet ce qui semble bien se porter aujourd'hui est plutôt une forme de régionalisme, voire de nationalisme, qui n'est en fin de compte qu'un ethnocentrisme déguisé sous les voiles du politiquement correct. Bien sûr, la volonté de Canguilhem de partir des différences culturelles dans les métiers devrait, sauf à rester dans les dimensions étroites de l'artisanat, s'ajuster aujourd'hui à la mondialisation des précédures professionnelles. Mais l'idée de donner un prix relatif aux contingences culturelles (et non un prix absolu en vue de fonder sur elles une politique) n'a rien perdu de sa valeur.
Pour finir, on pourrait faire un rapprochement avec la distinction que Jacques Bouveresse a faite entre " le croyant éclairé " et " le croyant naïf ". Ce dernier identifie sa religion à LA religion et à La morale. Le premier, bien qu'attaché à la religion qu'il pratique, sait que dans ce que Bouveresse appelle l'espace de la spiritualité, il y a non seulement les fidèles de son Église mais aussi des athées et des fidèles d'autres Églises. Bien sûr dans les deux cas, le risque est que culture et religion auparavant chéries soient réduites à rien de plus qu'à des héritages historiques contingents et faussement importants donc.
Mais ce risque est à prendre et même avec enthousiasme car il ne faudrait pas en effet que les cultures, qui devraient au fond mettre en évidence ce que notre identité personnelle doit aux hasards, soient la justification erronnée de l'attribution aux hommes de propriétés vues à tort par eux comme essentielles et donc légitimant potentiellement les frontières et les séparations.
En un mot, que les guerres de cultures ne viennent pas soit aggraver, soit remplacer les guerres de religions !

Commentaires

1. Le lundi 26 août 2019, 11:27 par gerardgrig
Le projet de Canguilhem rappelle le "Tour de la France par deux enfants" d'Augustine Fouillée, dite G. Bruno. Il s'agit de l'appliquer aux adultes. En pleine Guerre de 14, Augustine Fouillée osa même écrire un
"Tour de l'Europe pendant la guerre". Le "Tour de la France" a inspiré la Pédagogie Freinet. Au cinéma, le livre inspirera même Jean-Luc Godard. Le projet de Canguilhem donne la nostalgie de la IIIème République, qui croyait ferme en l'école et la pédagogie pour faire vivre ensemble les Français, en bons républicains.
2. Le mardi 27 août 2019, 20:23 par Philalèthe
En effet quoi d'autre que l'éducation pour unir les hommes au-delà des différences culturelles ? Le pire est quand l'éducation se met au service d'une culture, comme souvent en Catalogne par exemple. Mais cela n'implique pas une nostalgie pour la Troisième République. Car l'éducation en question doit être vraiment rationnelle pour universaliser sans mystifier. Une telle éducation est plutôt un idéal régulateur.

vendredi 23 août 2019

Greguería n° 125

" Si en los tiempos de Goya hubiese habido micrófonos, el gran maestro del humor habría dibujado ese aguafuerte."
" Si au temps de Goya il y avait eu des micros, le grand maître de l'humour aurait dessiné cette eau-forte."

La valeur du baiser, intrinsèque ou extrinsèque ?

Le 14 novembre 1882, dans Gil Blas, Guy de Maupassant publie Le Baiser. Ce texte retient ici mon attention pour fournir un exemple de redescription dégradante, donnée non par sagesse stoïcienne mais par prudence féminine.
Le récit se présente sous la forme d'une lettre écrite par une " vieille tante " à une jeune femme désespérée que son mari abandonne. La parente expérimentée y assure que pour garder les hommes, il faut maîtriser l'art du baiser. Mais le baiser n'a, dit-elle, qu'une valeur conventionnelle, relative au contexte, il faut donc savoir l'utiliser en tenant compte de toutes les circonstances (dans Les mots d'amour, publié aussi dans Gil Blas mais plus tôt dans l'annnée 1882, l'écrivain avait déjà présenté le cas d'une maîtresse qui, ne sachant pas quand se taire et quand parler dans l'amour, faisait un usage tout à fait inopportun et malheureux des mots tendres.). Pour justifier l'idée que le baiser n'a pas de valeur intrinsèque, la vieille parente écrit :
" (...) Je vais m'appuyer sur un exemple.
Un autre poète, François Coppée, a fait un vers que nous avons toutes dans la mémoire, un vers que nous trouvons adorable, qui nous fait tressaillir jusqu'au coeur. Après avoir décrit l'attente de l'amoureux dans une chambre fermée, par un soir d'hiver, ses inquiétudes, ses impatiences nerveuses, sa crainte horrible de ne pas LA voir venir, il raconte l'arrivée de la femme aimée qui entre enfin, toute pressée, essouflée, apportant du froid dans ses jupes, et il s'écrie :
Oh ! les premiers baisers à travers la voilette !
N'est-ce point là un vers d'un sentiment exquis, d'une observation délicate et charmante, d'une parfaite vérité ? Toutes celles qui ont couru au rendez-vous clandestin, que la passion a jetées dans les bras d'un homme, les connaissent bien ces délicieux premiers baisers à travers la voilette, et frémissent encore à leur souvenir. Et pourtant ils ne tirent leur charme que des circonstances, du retard, de l'attente anxieuse ; en vérité, au point de vue purement, ou , si tu préfères, impurement sensuel, ils sont détestables.
Réfléchis. Il fait froid dehors. La jeune femme a marché vite, la voilette est toute mouillée par son souffle refroidi. Des goutelettes d'eau brillent dans les mailles de dentelle noire. L'amant se précipite et colle ses lèvres ardentes à cette vapeur de poumons liquéfiée. Le voile humide, qui déteint et porte la saveur ignoble des colorations chimiques, pénètre dans la bouche du jeune homme, mouille sa moustache. Il ne goûte nullement aux lèvres de la bien-aimée, il ne goûte qu'à la teinture de cette dentelle trempée d'haleine froide.
Et pourtant nous nous écrions toutes, comme le poète :
Oh ! les premiers baisers à travers la voilette ! (Contes et nouvelles, tome 1, 1967, Albin Michel, pp. 608-609)
Bien sûr on pense à la réduction de l'acte sexuel opérée par Marc-Aurèle en vue de dépassionner l'apprenti stoïcien :
" un frottement de ventre et l'éjaculation d'un liquide gluant accompagnée d'un spasme." (Pensées, VI, 13, traduction par Bréhier, Les Stoïciens, La Pléiade, p. 1180)
Dans Le système stoïcien et l'idée de temps, Victor Goldschmidt identifie le procédé à l'oeuvre dans cette redescription comme une " méthode qui détruit l'apparence amplifiante des choses et nous rend l'autonomie." (note 5, p. 195). On voit vite que la fin visée par la vieille tante est certes un gain d'autonomie de la jeune femme mais en vue d'un renforcement de l'hétéronomie du mari. La jeune femme ne doit pas plus devenir sage qu'elle ne doit contribuer à la sagesse de son mari. Elle doit juste gagner en efficacité au niveau de la technique d'ensorcellement, pour reprendre un des termes choisis par Bréhier dans sa traduction de la pensée en question. On notera aussi que le récit de Maupassant n'enlève pas de la réalité à la valeur conventionnelle du baiser : il est réellement délicieux dans un contexte déterminé, d'où la " parfaite vérité " du vers de Sully-Prudhomme. Il ne s'agit donc pas de " dénuder " les choses, ni de " bien voir leur vulgarité ", ni de " leur enlever tous les détails dont elles se parent ", pour reprendre encore des expressions de Marc-Aurèle mais juste d'aider la jeune femme à faire un usage prudent des parures et pour cela il faut lui apprendre que la parure est une réalité relative et non absolue, comme elle le croit naïvement.
À la différence de Marc-Aurèle qui démystifie en vue de libérer absolument, la parente avisée de Maupassant démystifie pour renverser une domination par l'usage rationnel - par le dominé - de ce qui apparaît - au dominant - (ce qui permet de comprendre pourquoi l'analyse, quasi chimique, du baiser réel est faite du point de vue du dominant et non de la dominée).

jeudi 22 août 2019

Greguería n° 124

" Observo que hay muchos y muchas que se toman el helado como si estuviesen cometiendo una infidelidad."
" Je remarque qu'il y en a beaucoup, hommes et femmes, qui mangent leur glace comme s'ils étaient en train de commettre une infidélité."

mercredi 21 août 2019

Greguería n° 123

" Hay una taza entre las tazas que será en la que pediremos la última tisana."
" Il y a une tasse parmi les tasses qui sera celle dans laquelle nous demanderons la dernière tisane."

mardi 20 août 2019

Greguería n° 122

"Las compañías de ferrocarriles subvencionan la conservación del hotelito que les parece a los viajeros al pasar la casa de la felicidad"
" Les compagnies ferroviaires subventionnent l’entretien du petit hôtel qui apparaît aux voyageurs qui passent comme la maison du bonheur."