jeudi 13 mars 2014

La poésie est-elle essentiellement privée de tout pouvoir cognitif ?

Vauvenargues ( maxime posthume 652 ) :
" L'objet de la prose est de dire des choses ; mais les sots s'imaginent que la rime est l'unique objet de la poésie, et, dès que leurs vers ont le nombre ordinaire de syllabes, ils pensent que ce qu'ils ont fait avec tant de peine mérite qu'on se donne celle de le lire."
Sartre ( Qu'est-ce que la littérature ? ) :
" Les poètes sont des hommes qui refusent d'utiliser le langage. Or, comme c'est dans et par le langage conçu comme une certaine espèce d'instrument que s'opère la recherche de la vérité, il ne faut pas s'imaginer qu'ils visent à discerner le vrai ni à l'exposer. Ils ne songent pas non plus à nommer le monde et, par le fait, ils ne nomment rien du tout, car la nomination implique un perpétuel sacrifice du nom à l'objet nommé : le nom s'y révèle l'inessentiel, en face de la chose qui est essentielle. Ils ne parlent pas ; ils ne se taisent pas non plus : c'est autre chose. En fait, le poète s'est retiré d'un seul coup du langage-instrument ; il a choisi une fois pour toutes l'attitude poétique qui considère les mots comme des choses et non comme des signes. Car l'ambiguïté du signe implique qu'on puisse à son gré le traverser comme une vitre et poursuivre à travers lui la chose signifiée ou tourner son regard vers sa réalité et le considérer comme objet. L'homme qui parle est au-delà des mots, près de l'objet ; le poète est en deçà. Pour le premier, ils sont domestiques ; pour le second, ils restent à l'état sauvage. Pour celui-là, ce sont des conventions utiles, des outils qui s'usent peu à peu et qu'on jette quand ils ne peuvent plus servir ; pour le second, ce sont des choses naturelles qui croissent naturellement sur la terre comme l'herbe et les arbres."
Vauvenargues ( maxime 853 ) :
" Le même croit parler la langue des dieux, lorsqu'il ne parle pas celle des hommes."
Orwell ( New English Weekly, 31 décembre 1936 ) :
" Il y a six ou sept ans paraissait dans Punch un excellent dessin humoristique : un jeune freluquet faisait part à sa tante de son intention d'"écrire". " Et sur quoi as-tu l'intention d'écrire ? " demande la tante. " Ma chère tante, répond le jeune homme d'un ton id'infini mépris, on n'écrit pas sur quelque chose, on écrit, c'est tout. "
Et si le poète, du moins le grand, était celui qui congédie domestiques et vitres ordinaires pour leur substituer des outils plus à même de faire mieux connaître la réalité ?

mercredi 12 mars 2014

Avis à ceux qui veulent imiter les philosophes antiques !

Pensée 724 :
" Nous n'attendons pas d'un malade qu'il ait l'enjouement de la santé et la force du corps ; s'il conserve même sa raison jusqu'à la fin, nous nous en étonnons ; et s'il fait paraître quelque fermeté, nous disons qu'il y a de l'affectation dans cette mort : tant cela est rare et difficile. Cependant, s'il arrive qu'un autre homme démente, en mourant, ou la fermeté, ou les principes qu'il a professés pendant sa vie ; si dans l'état du monde le plus faible, il donne quelque marque de faiblesse... Ô aveugle malice de l'esprit humain ! Il n'y a point de contradictions si manifestes que l'envie n'assemble pour nuire."

mardi 11 mars 2014

Tous artistes, tous écrivains, tous philosophes, tous créateurs !

Encore Vauvenargues (maxime posthume 351) !
" Comme il y a beaucoup de soldats et peu de braves, on voit aussi beaucoup de versificateurs et point de poètes. Les hommes se jettent en foule dans des métiers honorables sans autre vocation que leur vanité, ou, tout au plus, l'amour de la gloire. "

lundi 10 mars 2014

L'historien de la philosophie ?

Vauvenargues écrit dans une de ses maximes posthumes ( 341 ) :
" Faites remarquer une pensée dans un ouvrage, on vous répondra qu'elle n'est pas neuve ; demandez alors si elle est vraie, vous verrez qu'on n'en saura rien. "

Commentaires

1. Le mardi 11 mars 2014, 05:10 par Capel Langes
Excellent !
2. Le vendredi 28 mars 2014, 23:24 par Maël Goarzin
C'est pourquoi, je pense, l'historien de la philosophie doit aussi être philosophe, et les deux ne sont pas incompatibles, bien au contraire!
3. Le samedi 29 mars 2014, 11:47 par Philalethe
Certes mais une telle conjonction est-elle réalisable en dehors de la philosophie de la philosophie ? C'est parce que connaître ce que sont les philosophies passées nécessite des concepts de philosophie de la philosophie et contribue à les clarifier que les oeuvres de Grangier et de Vuillemin (et d'autres !) sont autant des oeuvres philosophiques que des oeuvres d'histoire de la philosophie. Mais si le problème philosophique n'est pas d'avoir une connaissance vraie de la philosophie, si c'est par exemple d'avoir une connaissance vraie de l'art, de l'esprit ou de l'État, l'effort de reconstituer au plus près les philosophies passées et celui d'en faire une nouvelle, meilleure, ne convergent pas (même s'il va de soi qu'aucune philosophie n'est possible sans quelque instruction philosophique - mais précisément l'historien de la philosophie vise autre chose que la possession d'une certaine instruction philosophique -). Prenez Foucault et son usage des philosophies antiques : certes les analyses stimulantes (ce qui ne veut pas dire vraies, d'ailleurs) sur le cynisme par exemple abondent mais va-t-on aller jusqu'à le consacrer à cause de ses leçons données au Collège de France sur Le courage de la vérité grand historien du cynisme ? J'en doute.

samedi 8 mars 2014

L'anti-modèle.

JOHN FLORY
Né en 1890
Mort de boisson en 1927
Ci-gisent les ossements du pauvre John Flory
Son histoire est l'éternelle histoire,
L'argent, les femmes, les cartes et le gin,
Voilà ce qui eut raison de lui.
Il a versé assez de sueur pour s'y baigner entier
À faire l'amour à des femmes imbéciles ;
Il a connu les tourments indicibles
De cet art lugubre qu'est l'ivrognerie.
Ô étranger, toi qui passes en ces lieux
Et lis cette épigraphe, ne verse pas de larmes ;
Mais reçois cet unique présent :
Apprends de moi comment ne pas vivre.

Commentaires

1. Le vendredi 28 mars 2014, 23:17 par Maël Goarzin
Merci de partager cette belle épitaphe, qui contraste avec les topos du genre. Il rappelle que l'on n'apprend pas seulement par les modèles, mais aussi et peut-être surtout par les contre-modèles! C'est en tout cas une invitation pour moi à ne pas me contenter d'étudier les modèles des philosophes antiques, mais également les contre-modèles que ces mêmes philosophes présentent dans leurs écrits.

lundi 3 mars 2014

Impuissance de la sagesse.

" Que n'a-t-on pas écrit contre l'orgueil des grands, contre la jalousie des petits, contre les vices de tous les hommes ? Quelles peintures n'a-t-on pas faites du ridicule, de la vanité, de l'intempérance, de la fourberie, de l'inconséquence, etc. ? Mais qui s'est corrigé par ces images ou par ces préceptes ? Quel homme a mieux jugé, ou mieux vécu, après tant d'instructions reçues ? il faut l'avouer : le nombre de ceux qui peuvent profiter des leçons des sages est bien petit et, dans ce petit nombre, la plupart oublient ce qu'ils doivent à l'instruction et à leurs maîtres, de sorte qu'il n'est pas d'occupation si ingrate que celle d'instruire les hommes. Ils sont faits de manière qu'ils devront toujours tout à ceux qui pensent, et que toujours ils abuseront contre eux des lumières qu'ils en reçoivent ; il est même ordinaire que ceux qui agissent recueillent le fruit du labeur de ceux qui se bornent à imaginer ou à instruire. Dès qu'on ne fait valoir que la raison et la justice, on est toujours la victime de ceux qui n'emploient que l'action et la violence : de là vient que le plus médiocre et le plus borné de tous les métiers est celui d'écrivain et de philosophe." écrit Vauvenargues dans un de ses fragments posthumes.
Non seulement Vauvenargues pourrait avoir raison mais en plus qu'est-ce qui nous assure que les préceptes corrigent les correcteurs ?
Ceci dit, même dans cette hypothèse où presque personne alors ne suivrait les règles raisonnables, l'analyse du moraliste, à défaut d' être efficace, pourrait néanmoins être éclairante. Sans pouvoir les supprimer, elle apporterait la vérité sur la genèse et la manifestation des vices. À le lire, on gagnerait alors sinon en vertu, du moins en lucidité sur soi et sur autrui.

jeudi 27 février 2014

La critique d'art révisée à la baisse par la sociologie critique ou comment prendre au sérieux ce qui n'est pas sérieux.


Bourdieu, qui a dans ces moments quelque chose de sinon désespéré, du moins de désabusé et d'un tantinet méprisant, ne mâche pas ses mots le 26 Janvier 2000 dans son cours au Collège de France sur Manet .
Après avoir posé le problème de savoir si l'impression ( des peintres impressionistes ) révèle l'objet vu ou le sujet voyant et après avoir mentionné les "étiquettes" dont on dispose pour qualifier les différents courants artistiques ( naturalisme, impressionisme, symbolisme, romantisme ), il ajoute :
" Il n'y a rien de plus vaseux que la critique picturale, il n'y a pas de raison pour que cela ait été mieux à d'autres époques. C'est extrêmement confus, et une des erreurs consisterait à mettre plus de logique dans l'objet qu'il n'y en a dans la réalité. Il faut respecter ces objets, il faut les prendre comme ils sont, mais en sachant que ce n'est pas le concept taillé à la serpe logique, ce sont des intuitions conceptuelles destinées à exprimer des impressions confuses à propos d'objets polysémiques." ( p. 326 )
En plus d'être vaseuse, la critique picturale vise autre chose que ce qu'elle prétend faire :
" On voit bien que ces enjeux conceptuels sont toujours des enjeux politiques, pas au sens de " la politique " au sens ordinaire, mais politiques dans le champ artistique : est-ce que j'annexe Manet comme un ancêtre du symbolisme ou est-ce qu'au contraire je le repousse comme le dernier des barbares, aussi abruti que Courbet ? (...) Je dis ça de manière volontairement simpliste parce que je pense qu'une part énorme du discours artistique, du discours sur l'art, a pour but de cacher ces enjeux et de les masquer sous de la foutaise théorique, de la foutaise conceptuelle. Je pense qu'il vaut mieux le savoir, ce qui ne veut pas dire ne pas le prendre au sérieux - c'est une autre forme de sérieux, différente de celui que les gens s'accordent. Parce qu'il n'y a rien de plus sérieux que les critiques d'art." ( p. 327-328 )
Mais qu'est-ce que le vrai sérieux du point de vue de Bourdieu ?
C'est suivre un précepte valable pour tous ceux qui font des sciences sociales ( historien, sociologue, ethnologue, etc. ) : il faut historiciser et l'objet de l'enquête et l'enquêteur - ses problèmes, ses concepts, etc. -.
Historiciser l'objet, ça ne fait pas douter de la capacité d'atteindre la vérité sur cet objet, précisément la vérité sur ses conditions historiques de possibilité.
En revanche c'est plus délicat d'historiciser l'enquêteur car si on ne veut pas s'enfermer dans un historicisme auto-réfutant, il faut se livrer à un effort qui a quelque chose d'héroïque : purifier la connaissance de l'enquêteur sur l'objet en la débarrassant de tout ce qu'elle doit à l'histoire ( à la mauvaise histoire, si on peut dire ) et qui la limite en termes de vérité.
Il y a quelque chose du geste du Baron de Münchhausen dans le fait de se plonger intégralement dans l'histoire et de vouloir en même temps en sortir pour faire de la sociologie une science vraie et pas juste une construction de l'esprit socialement conditionnée.
On sent chez Bourdieu d'ailleurs souvent de la souffrance et du doute : suis-je arrivé sur le sol ferme du vrai ou le crois-je à tort, pris que je suis dans des croyances historiquement causées mais seulement illusoirement vraies ?
Si le sociologue se pense dès le début complètement et essentiellement dedans (la société, l'histoire, le champ etc.), comment peut-il espérer être un jour dehors pour voir clairement ?
Ne faut-il pas croire qu'on est toujours au moins un peu dehors pour garder une confiance raisonnable dans la possibilité de connaître la vérité ?
Ne pas historiciser : naïveté ; tout historiciser : incapacité de connaître le vrai.

mercredi 26 février 2014

Antidote en cas d' empoisonnement au post-modernisme.

" Par beaucoup de points, l'homme est un animal qui tâche de se défendre contre la nature ou contre les autres hommes. Il faut qu'il pourvoie à sa nourriture, à son habillement, à son logement, qu'il se défende contre la mauvaise saison, la disette et les maladies. Pour cela il laboure, il navigue, il exerce les différentes sortes d'industries et de commerce. De plus, il faut qu'il perpétue son espèce et se préserve des violences des autres hommes. Pour cela, il forme des familles et des États ; il établit des magistrats, des fonctionnaires, des constitutions, des lois et des armées. Après tant d'inventions et de labeurs, il n'est pas sorti de son premier cercle ; il n'est encore qu'un animal, mieux approvisionné et mieux protégé que les autres ; il n'a encore songé qu'à lui-même et à ses pareils. À ce moment, une vie supérieure s'ouvre, celle de la contemplation, par laquelle il s'intéresse aux causes permanentes et génératrices desquelles son être et celui de ses pareils dépendent, aux caractères dominateurs et essentiels qui régissent chaque ensemble et impriment leur marque dans les moindres détails. Pour y atteindre, il a deux voies : la première, qui est la science, par laquelle, dégageant ces causes et ces lois fondamentales, il les exprime en formules exactes et en termes abstraits ; la seconde, qui est l'art, par laquelle il manifeste ces causes et ces lois fondamentales, non plus en définitions arides, inaccessibles à la foule et intelligibles seulement pour quelques hommes spéciaux, mais d'une façon sensible et en s'adressant, non seulement à la raison, mais encore aux sens et au coeur de l'homme le plus ordinaire. L'art a ceci de particulier, qu'il est à la fois supérieur et populaire : il manifeste ce qu'il y a de plus élevé et il le manifeste à tous."
Ce sont les dernières lignes du premier chapitre de la Philosophie de l'art de H. Taine.
Elles sont roboratives, quand on est cerné par l'idée que la science, comme l'art, ( et pourquoi pas la philosophie aussi ) ne sont que des expressions du " premier cercle ".

Commentaires

1. Le vendredi 28 février 2014, 10:18 par Glance Please
Super de rappeler ces lignes.
Mais je ne vois pas trop la relation négative au post modernisme, qui pense aussi que l'art est supérieur et populaire, bien qu'en effet il n'est pas supposé s'adresser à la raison.
2. Le mardi 11 mars 2014, 08:26 par Philalethe
C'est en rapport avec la contemplation et donc avec la conception réaliste de l'art et de la science qu'elle entraîne, c'est en effet aussi en rapport avec la raison comme étant ce que développent la science et l'art, que j'ai pensé, par opposition, au post-modernisme (peut-être aurais-je dû écrire plus largement "relativisme")

samedi 15 février 2014

Ortega réécrit le mythe aristophanesque de l'amour.

On se souvient que dans Le Banquet de Platon, Aristophane développe une conception de l'amour qui en fait le désir de la fusion avec un autre nous complétant exactement et apportant l'unité et la plénitude qui naturellement font défaut à chacun. Aussi les échecs amoureux durent-ils tant que n'a pas lieu la rencontre optimale ; en revanche " chaque fois (...) que le hasard met sur le chemin de chacun la partie qui est la moitié de lui-même, tout être humain, et pas seulement celui qui cherche un jeune garçon pour amant, est alors frappé par un extraordinaire sentiment d'affection, d'apparentement et d'amour ; l'un et l'autre refusent, pour ainsi dire, d'être séparés, ne fût-ce que pour un peu de temps. " ( 192 b-c, p.124, éd. Brisson )
Or, je le découvre avec étonnement, en 1929, dans la dernière de ses dix conférences, Ortega y Gasset reprend plus ou moins la théorie aristophanesque. Voici le texte original :
" En el fondo durmiente del alma femenina, la mujer, cuando lo es en plenitud, es siempre bella durmiente del bosque vital que necesita ser despertada. En el fondo de su alma, sin que ella lo advierta, lleva preformada una figura de varón ; no es un imagen individual de un hombre, sino un tipo genérico de perfección masculina. Y siempre dormida, sonambúlicamente camina entre los hombres que encuentra, contrastando la figura física y moral de éstos con aquel modelo preexistente y preferido.
Esto explica dos hechos que se producen en todo auténtico amor. Uno es la subitaneidad del enamoramiento ; la mujer, y lo mismo podría decirse del hombre, queda en un solo instante, sin transición ni proceso, fulminada por el amor. Esto sería inexplicable si no preexistiese al encuentro casual con aquel hombre una secreta y tácita entrega de su ser a aquel ejemplar que en su interior llevaba. El otro hecho consiste en que la mujer, al amar profundamente, no sólo siente que su fervor será eterno en dirección al porvenir, sino que le parece haber querido a aquel hombre desde siempre, desde las misteriosas profundidades del pasado, desde no se sabe qué dimensiones de tiempo en anteriores existencias.
Esta adhesión eterna y como innata no se refiere, claro está, a aquel individuo que ahora pasa, sino va dirigida a aquel modelo íntimo que palpitaba como una promesa en el fondo de su alma quieta, y que ahora, en aquel ser real, ha encontrado realización y cumplimiento. "
" Au fond dormant de l'âme féminine, la femme, quand elle l'est pleinement, est toujours une belle dormant dans le bois de la vie et qui a besoin d'être réveillée. Au fond de son âme, sans qu'elle ne s'en rende compte, elle a, préformée, une figure de l'homme ( varón ) ; ce n'est pas une image individuelle d'un homme, mais un type générique de perfection masculine. Et toujours endormie, elle chemine comme une somnambule, parmi les hommes qu'elle rencontre, comparant leur figure physique et morale à ce modèle préexistant et préféré.
Ceci explique deux faits qui se produisent dans tout amour authentique. L'un est la soudaineté de l'amour ( enamoramiento ) ; la femme, et on pourrait dire la même chose de l'homme, est en un instant, sans transition ni déroulement, foudroyée par l'amour. Ça serait inexplicable si ne préexistait à la rencontre accidentelle avec cet homme une soumission secrète et tacite de son être à ce prototype qu'elle avait toujours en soi. L'autre fait consiste en ce que la femme, quand elle aime profondément, non seulement sent que sa ferveur sera à l'avenir éternelle mais aussi en ce qu' il lui semble avoir aimé cet homme depuis toujours, depuis les mystérieuses profondeurs du passé, depuis on ne sait quelles dimensions temporelles dans des existences antérieures.
Cette adhésion éternelle et comme innée ne se rapporte pas, pour sûr, à cet individu qui maintenant passe, mais elle s'adresse au modèle intime qui palpitait comme une promesse au fond de son âme immobile et qui maintenant dans cet être réel a trouvé réalisation et accomplissement. "

mercredi 12 février 2014

Ortega, anti-sceptique.

- Pourquoi avez-vous donc pris le pseudo de Philalèthe ?
- C'est simple : j'aime la vérité !
- N'appelez-vous pas plutôt vérité ce que vous aimez ?
- Mais non, vous n'étiez donc pas à la conférence d' Ortega le 10 Mai ?
- Non, je l'ai manquée ; en fait, pour être honnête, j'ai préféré ne pas y aller , car je trouve qu'il s'écoute trop parler, non ?
- Peut-être par moments il s'enflamme, oui, mais il dit tout de même des choses intéressantes ! Justement ce qu'il a dit sur la vérité et le désir me semble très juste. Ça m'a tellement plu que je l'ai gardé en mémoire , écoutez bien :
" Una verdad no es verdad porque se la desea ; pero una verdad no es descubierta si no se la desea y porque se la desea se la busca. Queda pues inmaculado el caracter desinteresado e independiente de nuestros apetitos propio a la verdad, pero no es menos cierto que tal hombre o tal época llega a ver tal verdad en virtud de un interes previo que le mueve hacia ella. Sin esto no habria historia. Las verdades más inconexas caerían sobre la mente del hombre en imprevista perdigonada y éste no sabría qué hacer con ellas. ¿ De qué le hubiera servido a Galileo la verdad de Einstein ? La verdad sólo desciende sobre quien la puede entender y sólo la entiende quien la pretende, quien la anhelaba y lleva ya en si preformado el hueco mental donde la verdad puede alojarse. Un cuarto de siglo antes de la Teoría de la relatividad se postulaba une física de cuatro dimensiones y sin espacio ni tiempo absolutos. En Poincaré está ya el hueco donde Einstein se ha instalado - como el propio Einstein hace constar a toda hora. Con sentido escéptico y para desprestigiar la verdad se dice que el deseo es padre de la verdad. Esto es, como todo el escepticismo, un perfecto absurdo o contrasentido. Si se desea una determinada verdad, se la desea si es, en efecto, verdad. El deseo de una verdad trasciende de sí mismo, se deja atrás a sí mismo y va a buscar la verdad. El hombre se da perfectamente cuenta de cúando desea una verdad y cuándo desea sólo hacerse ilusiones, es decir, cuándo desea la falsedad."
- Certes vous avez bonne mémoire mais votre accent français est si fort que je n'ai presque rien compris !
- Ok, je vous le traduis du mieux que je peux !
" Une vérité n'est pas une vérité parce qu'on la désire ; mais une vérité n'est pas découverte si on ne la désire pas et parce qu'on la désire, on la cherche. Donc reste intact le caractère désintéressé et indépendant de nos appétits qui est propre à la vérité, mais il n'en est pas moins vrai que tel homme ou telle époque parvient à voir telle vérité en vertu d'un intérêt déjà là qui les pousse vers elle. Sans cela, il n'y aurait pas d'histoire. Les vérités les plus hétérogènes viendraient à l'esprit de l'homme comme une soudaine volée de plombs et il ne saurait qu'en faire. À quoi aurait servi à Galilée la vérité d'Einstein ? La vérité descend seulement sur qui peut la comprendre et seul la comprend qui y prétend, qui la désirait et a déjà en lui comme préformé le trou mental où la vérité peut se loger. Un quart de siècle avant la Théorie de la relativité on postulait une physique à quatre dimensions et sans espace ni temps absolus. Dans Poincaré il y a déjà le trou où Einstein s'est installé - comme Einstein lui-même le fait savoir à tout moment. Dans un sens sceptique et pour rabaisser la vérité on dit que le désir est père de la vérité. C'est, comme tout le scepticisme, totalement une absurdité ou un contre-sens. Si on désire une vérité déterminée, on la désire si elle est, bel et bien, une vérité. Le désir d'une vérité se dépasse lui-même, il se laisse derrière lui-même et va chercher la vérité. L'homme distingue parfaitement le moment où il désire une vérité du moment où il désire seulement se faire des illusions, c'est-à-dire quand il désire le faux ."
- En fait, Philalèthe, vous désirez seulement les vérités que vous êtes mentalement disposé à comprendre...
- Oui, peut-être, mais c'est déjà pas mal, non ?

Commentaires

1. Le samedi 15 février 2014, 05:27 par Pease Glance
Très beau texte, à opposer à tous ceux qui disent que la vérité n'est pas autre chose que la volonté de vérité.
C'est toujours dans les conférences de 1929?
2. Le samedi 15 février 2014, 12:39 par Philalèthe
Oui, c'est la 8ème conference du vendredi 10 Mai 1929 in ¿ Qué es filosofía ?  p.210-211, ed. Austral 2012