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dimanche 7 novembre 2010

Éloge de Socrate par Austin (Royaumont 1958)

" On avait coutume de dire au temps de Socrate : " Pourquoi perd-il son temps avec les mots, alors qu' il devrait s'occuper de la nature des choses ?" Et Socrate, déjà répondait dans un sens qui paraissait juste ; je m'associe encore à ce qu'il dit.
Ce n'était pas le seul reproche qu'on lui adressât. Vous vous souvenez qu' Aristophane trouvait frivole que Socrate perdît son temps à mesurer des sauts de puces. Si d'autres après lui avaient passé leur temps à mesurer des sauts de puces comme Socrate, ils auraient inventé la physique avec quelques siècles d'avance sur ce qui s'est passé. Et je dirai que, de la même manière, si les gens depuis Socrate et à son exemple, avaient emprunté la voie du langage et s'y étaient tenus, au lieu d'aller battre en tout sens la campagne à la recherche des voies cachées des choses, la philosophie telle que nous la concevons, qui dans son genre ne me paraît pas si mauvaise, aurait été inventée, comme elle le fut partiellement à Athènes, il y a bien des siècles. En fait, nous la redécouvrons." (La philosophie analytique Éditions de Minuit 1962)
On contrastera avec Wittgenstein :
1931: " Quand on lit les dialogues socratiques, on a le sentiment d'un effroyable gaspillage de temps ! À quoi bon ces arguments qui ne prouvent rien et n'éclaircissent rien ?"
1937 : " Russell, au cours de nos entretiens, s'exclamait souvent : " Damnée logique !" - et cela exprime parfaitement ce que nous ressentions en réfléchissant sur les problèmes logiques ; je veux dire, leur énorme difficulté, ce qu'ils ont de dur et de glissant.
La raison principale d'un tel sentiment était, je crois, dans le fait que chaque nouveau phénomène de langue auquel il nous arrivait de penser après coup pouvait faire apparaître l'explication antérieure comme inutilisable. (Notre impression était que la langue pouvait faire surgir des exigences toujours nouvelles et impossibles, et qu'ainsi toute explication était rendue vaine.)
Mais c'est là la difficulté dans laquelle Socrate s'embarrasse quand il tente de donner la définition d'un concept. Un nouvel emploi du mot émerge sans cesse, qui semble ne pouvoir être unifié avec le concept auquel les autres emplois nous ont conduits. On dit alors : il n'en est pourtant pas ainsi " - mais il en est pourtant bien ainsi ! - et l'on ne peut rien faire d'autre que de se répéter constamment ces oppositions."
1947 : " Socrate qui réduit toujours le sophiste au silence, le réduit-il à bon droit au silence ? - Certes, le sophiste ne sait pas ce qu'il croyait savoir ; mais il n'y a là aucun triomphe pour Socrate. Il ne peut ni s'écrier : " Tu vois ! Tu ne le sais pas !, ni, d'un ton triomphal : " Aucun de nous ne sait donc rien !
Il semble que Wittgenstein reproche précisément à Socrate ce que Austin le loue de ne pas avoir fait : « battre en tout sens la campagne à la recherche de la voie cachée des choses », les deux s’accordant cependant sur l’idée que tout est là, sous nos yeux.
Je crois aussi que Wittgenstein est plus près du Socrate platonicien que le philosophe anglais qui semble dans ce texte se rêver en Socrate.
À noter pour finir que certains de ses élèves ont perçu Wittgenstein comme un deuxième Socrate :
" Desmond Lee, another member of Wittgenstein´s undergraduate circle of friends, has likened Wittgenstein, in his preference for discussions with younger men, and in the often numbling effect he had on them, to Socrates. Both, he points out, had an almost hypnotic influence on those who fell under their spell." (Ludwig Wittgenstein, Ray Monk, p.263)

Commentaires

1. Le dimanche 7 novembre 2010, 13:25 par Ritoyenne
Imaginez l'incompréhension totale et l'extrême surprise si, débarquant au beau milieu du Banquet ou du Protagoras, un homme du futur s'exclamait : "quel effroyable gaspillage de temps !", les Grecs en seraient pantois.
Comme St Paul voyageur, ils auraient renvoyé les étranges visiteurs au temple du Dieu inconnu (ou, pas encore connu, en l'occurence) ..
2. Le dimanche 7 novembre 2010, 16:06 par Philalèthe
Mais ne faut-il pas se méfier aussi de Saint-Paul ?
Wittgenstein (1937) : " La source qui, dans les Évangiles, coule transparente et calme, semble écumer dans les Épîtres de Paul. Du moins cela me semble à moi. Peut-être est-ce seulement ma propre impureté qui voit en elles quelque chose de trouble ; car pourquoi cette impureté ne pourrait-elle point souiller la clarté ? Mais pour moi, c'est comme si je voyais ici la passion humaine, quelque chose comme l'orgueil ou la colère, qui rime avec l'humilité des Évangiles. Comme s'il y avait bel et bien ici une insistance sur sa propre personne, et ce en tant qu'acte religieux, chose tout à fait étrangère à l'Évangile. J'aimerais poser la question - et j'aimerais que ce ne soit pas un blasphème : " Qu'aurait donc dit le Christ à Paul ?" À quoi, il est vrai, on peut à bon droit répondre : Est-ce là ton affaire ? Occupe-toi plutôt de te rendre plus digne ! Tel que tu es, tu n'es pas capable de comprendre ce qu'il peut y avoir ici de vérité.
Dans les Évangiles - c'est ce qu'il me semble - tout est plus simple, plus humble. On se trouve là comme dans une chaumière ; chez Paul, on trouve une Église. Là tous les hommes sont égaux ; chez Paul, il y a déjà quelque chose comme une hiérarchie, des dignités et des charges. - C'est, pour ainsi dire, ce que me suggère mon FLAIR."
1937 : " (...) La doctrine paulinienne de la prédestination est pour moi - au niveau qui est le mien - irreligiosité  pure et simple, un non-sens haïssable. Elle ne me convient donc pas, puisque je ne puis faire qu'un mauvais usage de l'image qui m'est proposée là. Si c'est une image pieuse et bonne, alors elle est telle à un tout autre niveau, où l'on en fait un usage pour la vie tout autre que celui dont je serais capable."
3. Le dimanche 7 novembre 2010, 16:50 par Elias
Vos citations de Wittgenstein sont tirées de quel ouvrage?
4. Le dimanche 7 novembre 2010, 16:59 par Philalèthe
Des "Remarques mêlées". Ce sont des textes qui s'échelonnent entre 1914 et 1951. C'est publié en GF Flammarion (2002) avec une introduction de Jean-Pierre Cometti et deux index bien pratiques. L'édition originale est T.E.R. (1984).
5. Le dimanche 7 novembre 2010, 17:37 par Cédric Eyssette
Dans la série des remarques de "philosophes analytiques" sur Socrate, j'aime bien ce texte de Schlick, qui distingue la recherche de la vérité (à laquelle se consacrerait la science) et la recherche de sens (qui serait le but de la philosophie, dont Socrate serait l'exemple type) : http://eyssette.net/docs/2005_2006/...
6. Le dimanche 7 novembre 2010, 17:59 par Philalèthe
Merci, Cédric, pour ce lien effectivement très intéressant.
Il me semble que Moritz Schlick y identifie la recherche socratique à une recherche essentialiste et rend donc pertinente la critique qu'en fait Wittgenstein, dans une perspective, elle, précisément anti-essentialiste.
7. Le mercredi 10 novembre 2010, 00:18 par Augustin
Peut - être, en définitive, faudrait - il s'en remettre à la docte ignorance de Nicolas de Cuse. L'ironie socratique consisterait alors en une ironie de l'ironie du langage, selon laquelle il est impossible de rien définir. De ce double fond de l'ironie surgirait alors la nécessité d'une forme d'aporie radicale menant à la méditation sur le rien. De la sorte, on pourrait dire que Socrate savait qu'il ne savait rien, parce qu'il avait médité sur le rien sur lequel est fondé le rien du langage.
8. Le mercredi 10 novembre 2010, 16:11 par Philalèthe
Rien, je crois, dans les textes de Platon ne permet d'attribuer à Socrate la thèse doublement nihiliste que vous lui attribuez. Certes Socrate dit dans l'Apologie qu'il ne sait rien mais cela ne revient pas à dire qu'il sait qu'il n' y a rien et que le langage n'est rien. C'est un jugement sur ses croyances qu'il n'identifie pas à un savoir mais cela n'implique pas qu'il n'y a rien à savoir. Des textes vont même clairement contre votre idée, comme ce texte du Ménon où Socrate conduit un jeune esclave à découvrir comme construire à partir d' un carré une figure qui a le double de sa surface. Le savoir mathématique n'est pas mis en doute. Plus généralement les enquêtes socratiques tendent vers la définition des Essences (ce qu'est la Beauté dans le Banquet). Ce n'est pas une enquête sur le sens des mots non plus - c'est une recherche ontologique, pas sémantique.

vendredi 22 octobre 2010

Une application assez décoiffante du concept wittgensteinien d' "air de famille".

Dans Le corps et l'argent (2010), Ruwen Ogien écrit :
Existe-t-il une différence de nature entre le travail d'un coiffeur et d'une prostituée ?
On a du mal à croire qu'un professionnel du service corporel, coiffeur, pédicure, kinésithérapeute ou autre, pourrait dire, sans plaisanter, qu'il n'y a aucune différence de nature entre son travail et celui d'une personne qui se prostitue. Pourtant, lorsqu'on essaie de réfléchir sans préjugés à ce genre d'activité, on peut se dire qu'il existe une continuité non seulement entre la prostitution et l'assistance sexuelle aux handicapés, mais aussi entre la prostitution et tous les autres métiers de service dont la finalité est d'entretenir ou de soigner le corps humain, de le protéger vivant ou mort et de l'aider à satisfaire ses besoins. Certains sont plus proches (masseur, nourrice, kinésithérapeute) ; d'autres sont un peu plus éloignés (aide-soignant, coiffeur, manucure, pédicure, dentiste, proctologue, gynécologue, employé des pompes funèbres, etc). Mais, entre les uns et les autres, il y a suffisamment de traits factuels communs pour qu' il ne soit pas absurde d'affirmer qu'ils appartiennent à une même famille."

Commentaires

1. Le jeudi 4 novembre 2010, 13:34 par John Doe
Et puis la Thanatopraxie n'est-elle pas le plus vieux métier du monde ?
Désolé pour ce commentaire scabreux mais il faut avouer que Ruwen Ogier l'a bien cherché :-)
2. Le jeudi 4 novembre 2010, 20:22 par Philalèthe
Je comprends que cette position ne soit pas acceptable quand on défend quelque chose comme le perfectionnisme (excusez-moi si je me trompe dans l'identification de votre point de vue). Mais vous ne donnez aucun argument contre la position de Ogien ; vous exprimez juste une indignation. Bien sûr, ce n'est pas interdit !
3. Le vendredi 5 novembre 2010, 16:58 par John Doe
Vous avez raison mon commentaire est un peu bête. Vous pouvez l'effacer et conserver celui-ci : « Air de famille n’est pas vertu » qui serait tout à fait de Wittgenstein (enfin je crois)
4. Le vendredi 5 novembre 2010, 18:08 par Philalèthe
Indignation non argumentée n'est pas du tout un synonyme d' indignation bête. C'est sensé de dire par exemple : "son indignation est sans arguments mais quelle est justifiée !"
Quant à air de famille s'il n'est pas vertu en effet, il n'est pas vice non plus ; c'est complètement neutre moralement. Reste que si vous reconnaissez l'existence d'un air de famille entre tous ces métiers, pourquoi traiter l'un d'entre eux si différemment des autres ?
5. Le lundi 10 janvier 2011, 14:45 par Nico fez
Une lecture sociologique apporte un autre point de vue : les prostitués jouent avec les frontières sociales et remettent en cause une dichotomie (contrairement aux autres CSP cités) : sphère publique/ sphère privée. Comme le fait remarquer Foucault dans "Des espaces autres", l'espace (géographique et social) semble commandé par une série d'oppositions auxquelles on ne peut pas toucher (il emploie le terme de sacralisation !). Ainsi le sexe serait réservé à la sphère privée (le dedans) et non pas à la sphère publique (le dehors). Les espaces de prostitution sont donc des hétérotopies au sens de Foucault.
Il serait probablement plus fructueux de remettre en cause ces oppositions qui structurent l'espace plutôt que de voir des airs de famille entre des activités qui sont finalement somme toute très différentes.
6. Le mardi 11 janvier 2011, 00:28 par ¿´
Le fait que Wittgenstein utilise l'image de "l'air de famille" pour décrire la signification de certains mots ne signifie certainement pas que tout ce qui se ressemble est identique ! Quelle curieuse assertion ce serait, d'ailleurs - et notamment au sein d'une famille : vous vous ressemblez, vous êtes donc la même personne !
Ogien avait sans doute un coup dans le nez pour oser suggérer que, puisque différents métiers ayant trait au corps peuvent, d'une certaine façon, se ressembler, il n'y a entre elles "aucune différence de nature".
L'un des intérêts de la notion d'air de famille est qu'on peut grâce à elle instruire des oppositions conceptuelles : prostitué et masseur sont de la famille des métiers où l'on apporte un soin au corps, par opposition à professeur, avocat, commerçant ou métallurgiste.
Mais prostitué, banquier ou publicitaire sont également de la même famille, celle des métiers à la frontière du légal et en tout cas dont on préfère ne pas se vanter ; par opposition à artiste peintre, agriculteur bio, ou professeur d'université.
Du reste, les "définitions" multiples du Sophiste dans <i>le Sophiste</i> de Platon sont les meilleures illustrations de la notion d'air de famille prise en ce sens.
Par ailleurs, le fait que différentes activités présentent un air de famille n'implique certainement pas qu'on doive les traiter de la même manière. Par exemple, il y a un air de famille, si on veut, entre un accident mortel et un meurtre. Pourtant, on peut condamner l'un sans condamner (!) l'autre.
Et donc je ne vois pas en quoi le fait d'affirmer une ressemblance entre la prostitution et la chirurgie dentaire nous imposerait quoi que ce soit en matière morale...
7. Le mardi 11 janvier 2011, 15:57 par Nico fez
"L'un des intérêts de la notion d'air de famille est qu'on peut grâce à elle instruire des oppositions conceptuelles". Certes. Mais voilà une grande est belle découverte ! On pourrait faire des analogies de ce type à tous égards. Mais finalement ce qui compte tient dans le sujet mobilisé. Je ne pense pas qu'une analogie puisse être dénuée de toute intentionnalité : par rapprochement sémantique on revoit à la hausse ou à la baisse l'acception de l'objet même du propos :
"il existe une continuité non seulement entre la prostitution et l'assistance sexuelle aux handicapés, mais aussi entre la prostitution et tous les autres métiers de service dont la finalité est d'entretenir ou de soigner le corps humain, de le protéger vivant ou mort et de l'aider à satisfaire ses besoins".
L'analogie implique un questionnement moral clair à mes yeux. Mais ce n'était pas tant le but de mon propos.
8. Le mardi 11 janvier 2011, 16:20 par Philalèthe
@ Nico Fez 5
1) Ce que vous dites de la prostitution ne peut-il pas être identiquement dit entre autres de l'allaitement par la nourrice ou des soins apportés aux corps des morts ?
2) Que voulez-vous dire par "remettre en cause ces oppositions" ? Faire en public ce qu'on fait en privé ? Je pense alors aux cyniques faisant l'amour ou se masturbant en public. Faire en privé ce qu'on fait en public ? Je pense à l'accouchement à la maison.
3) le concept d'air de famille a comme intérêt d'assembler ce qui est ordinairement divisé (d'un côté la prostitution, de l'autre les soins apportés au corps d'autrui) et justifie la mise en question de l'opposition que vous dénoncez : s'il y a un air de famille entre x, y et z, pourquoi réserver l'intimité à x ? Il me semble que les cyniques faisaient cela : pourquoi manger en public et faire l'amour en privé si les deux ont comme point commun de satisfaire des besoins naturels ? Je ne vois donc pas pourquoi vous jouez Foucault contre Ogien.
9. Le mardi 11 janvier 2011, 23:26 par ¿´
@Nico fez 7
Il semble y avoir deux malentendus : d'une part, ma remarque sur "l'intérêt de la notion d'air de famille" se voulait ironique. Je pensais que les exemples qui suivaient l'indiquaient assez, mais à la relecture, je m'aperçois que non :)
D'autre part, mon commentaire n'était en rien une réponse au vôtre. Il avait surtout pour but de montrer que le texte d'Ogien, sous des dehors provocants, se révèle en fait d'une naïveté déconcertante.
Quant à votre remarque sur Foucault et l'hétérotopie, à vrai dire, je suis plutôt d'accord avec vous : la prostitution, comme exposition publique d'un aspect généralement intime de la vie, a en effet un statut social assez particulier. Encore faut-il voir ce que vous comptez faire de cette remarque ; et je ne vois vraiment pas pourquoi on en conclurait qu'il faut remettre en cause l'opposition public/privé, comme vous semblez faire. Personnellement, je n'ai rien contre les hétérotopies :D
@ Philalèthe 8.3
C'est précisément ce genre de mauvais usages du concept d'air de famille que je contestais dans mon premier commentaire : le suicide, l'accident et le meurtre peuvent bien présenter un air de famille, et donc être les x, y et z de votre raisonnement. Pour autant, en ce qui me concerne, je condamne plutôt les meurtres, je trouve les accidents mortels souvent regrettables, et le suicide m'inspire, selon le cas, aussi bien de la compassion qu'un certain respect. Le fait de percevoir un air de famille entre ces événements ne me les fera pas considérer comme identiques.
De même, excusez-moi si je ne tiens pas pour identiques la prostitution, l'allaitement par la nourrice et les soins apportés au mort, sous prétexte qu'on peut leur trouver une vague ressemblance.
Qu'on puisse s'exercer à voir ces métiers sous un autre angle, et ainsi à remettre un peu en cause nos jugements moraux habituels, très bien. Mais il faut être déjà dans un délire avancé pour prétendre qu'un argument logique nous forcerait à traiter de la même façon le commerce du sexe et l'allaitement des nourrissons. Non ?
10. Le mercredi 12 janvier 2011, 10:36 par herve
¿´a dit :
Le fait de percevoir un air de famille entre ces événements ne me les fera pas considérer comme identiques
hervé
Et vous aurez bien raison ! En effet, le concept de ressemblance de famille chez Wittgenstein a pour but de montrer qu'il existe une continuité intransitive dans certains usages des mêmes mots à propos d'objets différents. Nous pouvons par exemple utiliser le mot "jeu" pour trois catégories d'activités différentes. Le jeu A ressemble au jeu B qui ressemble au jeu C, alors que A ne ressemble pas à C.
Wittgenstein veut nous faire remarquer que l'utilisation d'un même mot pour qualifier des objets différents n'implique pas nécessairement la répétition d'une ou plusieurs caractéristiques à l'identique chez chacun de ces objets.
A partir de cette _ressemblance intransitive_, qui est une remarque sémantique, Ruwen Ogien conclut à une _identité de valeur morale_. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il avait un coup dans le nez mais, à tout le moins, il effectue un saut logique particulièrement risqué...
11. Le mercredi 12 janvier 2011, 12:25 par Nico fez
à Philalèthe 8
"-"remettre en cause ces oppositions" ? Faire en public ce qu'on fait en privé ?".
En effet, j'aurais probablement dû utiliser un autre verbe. "Considérer" ou "s'attacher à comprendre" eurent été plus appropriés. Je voulais par là mobiliser un concept qui me parait plus pertinent pour comprendre ces analogies, ces perceptions communes, si je puis dire.
Par ailleurs, vous avez peut-être pu voir à travers ma rhétorique mon penchant pour le décloisonnement des espaces privés/publics. Je ne souhaite en rien ce que les cyniques ont pu prêcher, la masturbation dans les abris bus, c'est foncièrement condamnable par le bon sens. En revanche arrêter, ficher, expulser (pour les étrangères) et condamner sans examen la prostitution ou comment les pouvoirs publics gèrent les marges, celles qui désacralisent de grandes oppositions nous invite à nous questionner.
Merci par ailleurs de vos réponses, toutes bénéfiques à la réflexion.
12. Le mercredi 12 janvier 2011, 23:09 par Philalèthe
@ i '
Je ne sais pas si c'est justifiable de trouver un air de famille au suicide, au meurtre et à l'accident. Il me semble que vous vous fondez sur le fait que le corps d'un suicidé, celui d'un accidenté et celui d'un assassiné se ressemblent mais c'est bien fragile car l'accident n'implique aucune action à la différence des deux autres et l'action d'assassiner si elle peut avoir un air de famille avec l'action de tuer par le rapport à la mort n'en a aucun dans la mesure où l'une n'implique pas autrui alors que l'autre si. Mais je suis ceci dit en accord avec l'argument selon lequel reconnaître un air de famille entre des choses n'implique pas leur accorder une valeur identique. J'ajoute que identifiant un air de famille entre l'allaitement tarifé et la prostitution - au sens où les deux actions consistent à mettre une partie de son corps au service du bien-être d'autrui et cela en échange d'une rémunération - je ne les jugeais pas par cela même identiques (le concept d'air de famille est précisément destiné à rendre possible le regroupement de choses qui n'ont pas d'essences communes et bien déterminées).
Quant à la référence au délire avancé, vous devez savoir comme moi que l'usage en est bien délicat en philosophie !
@ Nico Fez
D'abord merci bien pour votre ultime remarque.
Ceci dit vous vous trompez à penser que les cyniques préconisaient la masturbation dans les abris-bus. La leur, pédagogique et démonstrative, avait lieu dans les lieux ouverts aux regards de tous, sur les agoras et dans les temples. Quant aux choses foncièrement condamnables par le bon sens, elles sont dures à trouver, si on entend par bon sens autre chose que le sien propre.
@ Hervé :
Merci de venir partager ici votre savoir wittgensteinien !

vendredi 17 septembre 2010

Savoir l'essentiel sans effort ou les vulgarisateurs, nos "sophistes" ?

Qui aujourd'hui n'aime pas les vulgarisations ? Qui n'attend pas une bonne âme savante en mesure de lui donner accès sans douleur à la physique quantique, aux théories des cordes, des fractales ou du chaos ? La curiosité serait apaisée et en plus, comme Sokal et Bricmont nous l'ont fait savoir, dans un texte de philosophie, ces petites choses en jetteraient. Du moins pour deux types de lecteurs : les innocents et les initiés via les vulgarisations préalables.
Par rapport à ce mirage, quoi de mieux que ces lignes décapantes de Ludwig Wittgenstein dans les premières lignes de la Conférence sur l'éthique (1929) ?
" Une autre solution possible aurait été de vous faire ce que l'on appelle une conférence de vulgarisation - c'est à dire une conférence destinée à vous faire croire que vous comprenez quelque chose que vous ne comprenez pas - et de satisfaire ce que je crois être un des désirs les plus bas de nos contemporains, cette curiosité superficielle qui porte sur les toutes dernières découvertes de la science." (trad. Fauve Folioplus philosophie p.8)
On pense alors à " Ad augusta per angusta" ou plus savamment aux dernières lignes de l'Éthique de Spinoza :
" Si maintenant l'on trouve très difficile le chemin que j'ai montré y mener, du moins peut-on le découvrir. Et il faut bien que ce soit difficile, ce qu'on trouve si rarement. Car comment pourrait-il se faire, si le salut se trouvait sous la main, et que l'on pût le découvrir sans grand labeur, difficile autant que rare." (trad. Pautrat, p.541, Ed. du Seuil, L'ordre philosophique)
Ne pas en conclure que Spinoza et Wittgenstein ont la même conception du salut. Le philosophe autrichien a fait son deuil de ce dont rêvaient encore les grands philosophes classiques, fonder l'éthique sur une métaphysique impeccable.

samedi 3 juillet 2010

D.Z. Phillips : une conception contemplative de la philosophie dans la tradition de Wittgenstein ou peut-il y avoir un progrès en philosophie (de la religion ) ? ou de l’essentialisme qui unit la psychanalyse à une certaine philosophie.

Comme Christiane Chauviré et Sandra LaugierD.Z. Phillips trouve que Wittgenstein n’a pas dans la philosophie analytique la place qu’il mérite. Il en fait le constat au début de The problem of evil and the problem of God (Fortress 2005). D’abord il fait parler l’adversaire, ici Marilyn McCord Adams dans Horrendous evils and the goodness of God (1999) :
“ Recall that according to this methodology, philosophers who want to find our truths about mind and body, morals, and so on, should not go about inventing philosophical theories, but should set out to analyze the concepts of mind, body, and moral goodness, and so on, implicit in our ordinary use of language… Many, perhaps most, analytic philosophers have abandoned the ideals of ordinary language philosophy (and rightly so, in my judgment) and resumed the traditional activity of theory construction.” (p.XVIII)
Or, c’est précisément contre la philosophie comme construction de théories que D.Z. Phillips va prendre position :
“ It is odd to hear analytic philosophers say that they have abandoned philosophical movements which made the analysis of concepts central in philosophy. Nevertheless, if one wants to understand the relation of analytic philosophy of religion to Wittgenstein ‘s work, or to ordinary language philosophy, “abandonment” is the right word. It marks a contrast with “philosophical engagement”. There has been precious little philosophical engagement on the part of analytic philosophers of religion.
The twentieth-century revolution in philosophy left mainstream Anglo-American philosophy of religion untouched. By their own admission, the problems of most contemporary philosophers are still rooted in the empiricism and naturalism to be found in Locke, Hume and Reid. They write, for the most part, as though Wittgenstein had never existed. As a result, there has been little engagement with his work from the direction of analytic philosophy of religion. There is little sign of the situation changing. To speak of the “abandonment” of the ideals of ordinary language philosophy is even too strong, since there was hardly an appreciation of anything to be abandoned. “Ignored” would be a more accurate designation. In many ways this is a pity, since, as I have tried to show in my own work, engagement between these movements would raise issues of central importance in philosophy.
It is worth asking whether the reluctance to abandon theory-construction in philosophy is often an obstacle to the will, rather than an obstacle to the intellect. The latter obstacle resides in the intellectual difficulty of the point being made to one, whereas, an obstacle of the will is a refusal to give up a certain way of thinking. Does the distinction apply to the theory-construction ?” (ibid.)
D.Z. Phillips cite alors de nouveau Adams :
« Once theorizing begins, however, the hope of universal agreement in value theory is shattered, the wide-ranging extensional overlaps notwithstanding. Witness, for example, the divide in secular ethics between “consequentialists” who assert that lying can sometimes be justified if it optimizes the consequences, and “deontologists”, who contend that lying is always wrong, no matter what !” (p. XIX)
Ensuite il reprend :
“ We seem to have arrived at an odd situation. Having said that theories are essential to exploring how we should react to evil, we are now told that resorting to them shatters any hope of such agreement ! It never occurs to Adams to ask whether the trouble lies in the conception of an all-embracing theory, which is said to determine the essence of the “moral”. We see rival general theories in ethics stretch themselves out of all recognition in attempting to accommodate obvious counter-examples to the theory. Gradually, Aristotle begins to look like Kant and Kant begins to look like Aristotle. There is nothing intellectually difficult in the observation that all moral convictions, actions and situations cannot be reduced to a common form. It hardly constitutes an obstacle of the intellect. What the observation confronts is an obstacle of the will, the groundless conviction that there must be a common form to morality behind the variety.
Think of Freud ‘s theory of dreams. Freud asserted that all dreams are not simply products of wish-fulfilments, but are products of sexual wish-fulfilments. The suggestion that all dreams do not have a sexual origin, hardly constitutes an obstacle of the intellect, yet, Freud will not contemplate that possibility. If he could have been convinced of it, his reaction would have been , “Well, in that case, what are all dreams ? “ Freud would not have given up the “all”, the conviction that dreams must have an essence. That is an obstacle of the will.
What is the effect on Adams of the theoretical failure in ethics to agree on a definition of a moral act ? Instead of being rescued from essentialism, the failure to attain theoretical agreement becomes, for her, a licence for each theorist to retreat, without justification, behind the unexamined assumptions of his or her theory.” (p.XX)
L’idée d’appeler cette conception de la philosophie contemplative – que l’on doit à D.Z. Phillips lui-même – se comprend désormais : contempler s’oppose à découvrir. Le philosophe contemplerait à la différence du scientifique. Bien sûr il faut dénouer le lien platonicien entre contemplation et transcendance. C’est plutôt quelque chose comme une contemplation au sein de l’immanence. Ici le texte suivant de Wittgenstein, canonique, est bien sûr central :
« La philosophie se contente de placer toute chose devant nous, sans rien expliquer ni déduire . – Comme tout est là, offert à la vue, il n’y a rien à expliquer. Car ce qui est en quelque façon caché ne nous intéresse pas.
On pourrait aussi appeler « philosophie » ce qui est possible avant toute nouvelle découverte et invention » (Recherches philosophiques 126 trad. Dastur)

Commentaires

1. Le jeudi 8 juillet 2010, 17:35 par Philalèthe
Je ne suis pas sûr que l'horizon ne soit pas le même : Cavell et D.Z. Phillips (par l'intermédiaire de Rush Rees à Swansea ) sont des lecteurs de Wittgenstein.
2. Le mardi 13 juillet 2010, 10:26 par Pascal
Oui vous m'encouragez à tisser plus de rapports. Ma réflexion sur le pragmatisme et le perfectionnisme partait de ce rejet chez Cavell du pragmatisme (nommément à l'oeuvre chez Dewey) comme résolution des problèmes de la vie du style "Vous avez un problème dans votre vie, nous allons le résoudre". Les Américains son habitués à ce genre de psychothérapie permanente. C'est même une composante de l'american way of life qu'à l'occasion ils tournent en dérision. Voyez par exemple "The Soprano", une série américaine dans lequel le patron de la mafia passe son temps en psychothérapie où encore mieux "United States of Tara" où, là, l'explosion des personnalités multiples de l'héroïne principale semble signaler autant de problèmes qu'il y a d'étoiles sur le drapeau américain...
C'est beaucoup plus sérieux qu'il n'y paraît. En tout cas Cavell le prend au sérieux. Cette vision navrante le renvoie à sa lecture de Wittgenstein et notamment de ce qu'il appelle justement "le problème de la vie".
Voici ce que Wittgenstein écrit à ce propos et que je trouve magnifique.
" The way to solve the problem you see in life isto live in a way that will make what is problematic disappear ... The fact that life is problematic shows that the shape of your life does not fit into life's mould. So you must change the way you live and, once your life does fit into the mould, what is problematic will disappear.. But don't we have the feeling that someone who sees no problem in life is bind to something important, even the most important thing of all? Don't I feel like saying that a man like that is just living aimlessly - blindly, like a mole, and that if only he could see, he would see the problem? ... Or shouldn't I say rather: a man who lives rightly won't experience the problem as sorrow, so for him it will not be a problem, but a joy... a bright halo round his life, not a dubious background "
J'extraie cette citation d'un chapitre du livre de Bob Plant (Wittgenstein and Levinas - Ethical and religious thought) au cours duquel il fait une comparaison que vous trouverez peut-être intéressante sur la philosophie comme thérapie dans le Pyrrhonisme et chez Wittgenstein. Sur ce dernier sujet, comme vous le savez, j'ai toujours eu jusqu'à présent un peu de mal à me réjouir des lectures de Wittgenstein qui l'alignent sur les philosophes antiques en rappelant doctement la notion d'"exercice spirituel" par exemple. Mais après tout cette notion n'est pas plus ou moins mal nommée que celle de "perfectionnisme" (autre exemple) et cela donne au moins matière à réflexion aux universitaires... Et puis il y a tout de même cette phrase de Wittgenstein qui dit à peu près ceci : "Ne règle pas ta vie sur celle des autres mais sur la Nature" qui est vraiment une maxime antique admirable, n'est-ce pas?
3. Le jeudi 29 juillet 2010, 21:51 par yann
juste un petit mot sur ce post très intéressant. Je suis très sceptique sur la productivité de Phillips et plus encore sur le fait qu'il décrive. J'ai la nette impression qu'il légifère beaucoup plus qu'il ne décrit. Deux exemples :
1) sur le concept de prière (1965), Phillips considère que le croyant ne s'adresse pas à Dieu comme à un quelqu'un qui écoute et peut interagir, c'est pour lui une forme inauthentique de prière. Mais comment peut-il prétendre décrire, alors que l'on a la nette impression que les croyants croient en général s'adresser à quelqu'un qui peut interagir ? Il doit bien avoir une théorisation de ce qu'est Dieu, et de l'idéal de relation à Lui, derrière sa critique de la prière inauthentique.
2) Sur la grâce de Dieu, Phillips dit qu'il ne s'agit pas d'attribuer une attitude ou une action à Dieu mais qu'en réalité la grâce c'est Dieu même, Dieu existe reviendrait au même que la grâce de Dieu. Ce serait une paraphrase de Dieu est Amour. Ici aussi, cette réforme du langage (la grâce de Dieu => la grâce qu'est Dieu) est sûrement dépendante d'une théorie et ne relève pas de la description d'un jeu de langage chrétien, juif ou musulman (si cela existe).
Il me semble que le problème avec la philo à la Wittgenstein est qu'il faut décrire sans faire de sciences humaines et qu'il faut faire de la philo sans idéal théorétique (Voir Husserl, Krisis).
4. Le vendredi 30 juillet 2010, 22:34 par Philalèthe
Merci, Yann, de votre visite !
Je comprends vos réserves. Il m'arrive de penser que Phillips décrit un usage de la religion qui ne correspond pas à la religion réellement pratiquée mais à la religion dont il rêve (en ce sens il fixe une norme et légifère, comme vous dites). Étant essentiellement non réaliste, il mécontente alors autant le croyant que l'athée qui, généralement, sont en effet, eux, réalistes. Il est certes dans le droit fil de Wittgenstein qui, dans les Remarques mêlées, désigne du nom de superstition une croyance religieuse réaliste. Il me semble qu'on peut voir leur angle d'attaque de la religion comme une tentative de la sauver en la mettant à l'abri des connaissances scientifiques et sur la base d'une révision à la baisse des éthiques fondées rationnellement, mais le prix à payer est alors cher car les êtres auxquels la religion se rapporte courent le risque de n'avoir, dans ce contexte, pas plus de réalité que des êtres fictifs qui incarneraient des règles de bonne vie. On peut alors se demander ce qui distingue le texte religieux du texte littéraire. N'est-ce pas seulement qu'une communauté a une forme de vie réglée par le texte religieux, communauté en mesure de servir, par sa vie commune rituelle, de salut à la personne désorientée ? À la différence d'un roman, l'Évangile justifie et est justifié par des institutions.
Quant à la philo à la Wittgenstein, comme vous dites, c'est vrai qu'elle se distingue clairement de la science et donc des sciences humaines aussi. Reste qu'elle est bien guidée par un idéal mais qui se construit sur la base d'une dénonciation des illusions liées aux idéaux philosophiques traditionnels (entre autres, l'accès aux essences universelles).
5. Le mardi 24 août 2010, 11:50 par lalige
quel malheur, j'ai fait allemand, latin, grec et je ne parle pas l'anglais ... et Kant ne me console pas de ce drame ...
je vais probablement mourir idiote ...
6. Le lundi 30 août 2010, 23:04 par Philalèthe
Ne pas comprendre l'anglais aujourd'hui c'est comme ne pas comprendre le latin du temps de Descartes :-)

mercredi 10 mars 2010

L'héritage de Wittgenstein : quelle forme doit prendre la modestie en philosophie ?

Dans l'introduction de son dernier ouvrage, Wittgenstein en héritage (Kimé 2010), Christiane Chauviré tient visiblement mais plus discrètement que Sandra Laugier à prendre ses distances par rapport à la philosophie analytique mainstream et non-wittgensteinienne. Alors que Christiane Chauviré cherche à interpréter le sens d'une déclaration de Wittgenstein en 1930 à ses étudiants de Cambridge à l'occasion d'un premier cours (" La philosophie a perdu son aura"), elle formule d'abord une attaque modérée et allusive :
" Ne pouvons-nous l'entendre comme une prophétie (presque) auto-réalisatrice ? Car s'il y a une époque de déclin et de récessions (Wittgenstein écrit lui aussi, comme nous actuellement, sous le coup d'une crise économique, celle de 1929) où il existe bien une méthode en philosophie, une philosophie professionnelle (je n'ose pas écrire sans aura), une philosophie "moderne", proche des sciences, c'est la nôtre, avec l'actuelle philosophie analytique, héritière lointaine de Wittgenstein, ce qui n'est pas le moindre paradoxe de toute cette affaire." (p.11)
Dans le dernier paragraphe en revanche, l'adversaire est mieux ciblé et la critique est renforcée :
" Tout comme Emerson à la fois désavoue et revendique, selon Cavell, une culture pour l'Amérique, Wittgenstein désavoue et revendique une forme de philosophie modeste, déflationniste et qui fait table rase du passé. Une philosophie désenchantée des Temps Modernes. Or une version de celle-ci, dérivée en fait de l'empirisme logique de Carnap et allii, par la suite, sous une forme banalisée, standardisée, colonise précisément les universités américaines de la fin des années trente (avec le départ de plusieurs membres du Cercle de Vienne aux États-Unis) aux années soixante, et perdure actuellement grâce à la vogue des sciences cognitives qui ont fixé et légitimé cette manière de procéder en philosophie. Ce n'est sans doute pas l'héritage que souhaitait laisser Wittgenstein, lui qui ne voulait même pas fonder une École : " Est-ce moi qui ne puis fonder une École, ou bien aucun philosophe ne le peut ?", craignant de voir ses pensées vulgarisées, affadies (discutées dans Mind !), et très prompts à crier au plagiat. En effet, " toute idée qui coûte cher entraîne dans son sillage quantité d'idées bon marché ; au nombre de celles-ci, quelques-unes sont utiles". Plus que jamais, donc, il nous faut nous poser la question, non de l'héritage laissé par Wittgenstein (il est immense), mais de la (bonne) façon - pour nous - d'en hériter." (p.12)
On notera que la mise en question, doublement relativisée dans la dernière phrase, demeure très prudente. Sur la relation faite entre la philosophie analytique et le Cercle de Vienne, on pourra lire ici un article de Florian Cova qui dénonce largement la réduction de la philosophie analytique contemporaine aux positions du Cercle de Vienne.

Commentaires

1. Le samedi 3 avril 2010, 21:58 par Romain
C'est une question sur un détail, mais la revue "Mind" est elle peu recommandable ?
2. Le lundi 5 avril 2010, 21:14 par philalèthe
La revue Mind ici symbolise la philosophie universitaire, la professionnalisation de la philosophie, quelque chose de très différent de l'usage éthique que Wittgenstein semble avoir voulu donner à la réflexion philosophique. Si la finalité de la philosophie est de mener à une dissolution des problèmes philosophiques, la discussion savante des problèmes et l'effort pour leur apporter une solution montrent qu'on est encore pris à leur piège.
Je crois que c'est comme ça qu'il faut comprendre la référence à Mind et non comme une anathémisation de cette revue-là précisément.

mardi 9 mars 2010

Wittgenstein et Descartes (2)

Il est difficile de ne pas mettre en rapport les deux dernières remarques de De la certitude de Wittgenstein avec un certain passage de la première Méditation métaphysique de Descartes.
Voici d’abord le texte cartésien :
« Mais encore que les sens nous trompent quelquefois touchant les choses peu sensibles et fort éloignées, il s’en rencontre peut-être beaucoup d’autres desquelles on ne peut pas raisonnablement douter, quoique nous les connaissions par leur moyen : par exemple, que je sois ici, assis auprès du feu, vêtu d’une robe de chambre, ayant ce papier entre les mains, et autres choses de cette nature (…)
Toutefois j’ai à considérer que je suis homme, et par conséquent que j’ai coutume de dormir, et de me représenter en mes songes les mêmes choses, ou quelquefois de moins vraisemblables, que ces insensés, lorsqu’ils veillent. Combien de fois m’est-il arrivé de songer, la nuit, que j’étais en ce lieu, que j’étais habillé, que j’étais auprès du feu, quoique je fusse tout nu dedans mon lit ? (…) Et m’arrêtant sur cette pensée, je vois si manifestement qu’il n’y a point d’indices concluants, ni de marques assez certaines par où l’on puisse distinguer nettement la veille d’avec le sommeil, que j’en suis tout étonné ; et mon étonnement est tel, qu’il est presque capable de me persuader que je dors. »
Maintenant les dernières remarques de Wittgenstein (datant de deux jours avant sa mort) :
« 675. Si quelqu’un croit qu’il est venu en avion de l’Amérique en Angleterre dans les derniers jours, il ne peut, selon moi, se tromper. Il en va de même quand quelqu’un dit qu’il est à présent assis à une table en train d’écrire.
676. « Mais même s’il est vrai que dans ces cas je ne peux pas me tromper – n’est-il pas possible que je sois sous l’effet d’une drogue ? » Si je le suis et si la drogue m’a ôté toute conscience, alors en ce moment je ne parle ni ne pense vraiment. Je ne peux pas sérieusement supposer que je suis actuellement en train de rêver. Celui qui, dans son rêve, dit : « Je rêve », même s’il le dit à haute voix, a aussi peu raison que si, dans son rêve, il disait : « Il pleut » alors qu’il pleut vraiment. Même si son rêve avait bel et bien un rapport avec le bruit de la pluie. » (trad. Danièle Moyal-Sharrock p.186-187)
Certes Descartes ne dit pas « je rêve » mais seulement « il est possible que je rêve ». Ceci dit, il attend cependant du lecteur que ce dernier lui accorde qu’il puisse avoir raison. Or, c’est sur ce point que porte l’argumentation de Wittgenstein. Avoir raison n’est pas identifiable à dire quelque chose de vrai. En effet, selon lui, bien que le rêveur paraisse dire la vérité, précisément qu’il rêve, et en plus bien qu'il le fasse par une proposition qui serait physiquement identique à celle que formulerait quelqu’un en train de prendre conscience qu’il rêvasse – « je rêve », dit à haute voix, est audible par quiconque se trouve à côté -, il n’a pas raison, ce qui ne revient pas à dire qu’il a tort. Pourquoi ? Parce qu' « avoir raison » et « avoir tort » ne peuvent se dire que de personnes en mesure de juger, en possession donc de leurs moyens intellectuels, dans le cadre d'un contexte précisément déterminé. Or, par hypothèse, la drogue ou le sommeil enlève la capacité de raisonner d'une personne qui est en plus dans un contexte où on n'attend pas d'elle des jugements, vrais, faux ou douteux. Répondant à la voix sceptique qui met en question qu’il ait raison d’affirmer qu’il en train d’écrire, Wittgenstein n’exclut pas absolument la possibilité d’être victime d’une hallucination produite par une drogue. Il veut juste faire reconnaître que si l’hypothèse est vraie, disparaît la possibilité de considérer ce qui nous vient l’esprit comme jugeable à bon droit en termes de vrai ou de faux. Si le discours du philosophe veut être pris au sérieux, il doit admettre et faire admettre qu’il est en mesure de juger (mentalement certes, mais aussi contextuellement) et donc d’avoir raison ou d’avoir tort.
Ne peut-on pas considérer alors que Wittgenstein n’établit pas la distinction radicale que Descartes fixait entre l’hypothèse de la folie et celle du sommeil ? Rappelons d’abord le texte cartésien sur les fous qui prend place après les premières lignes que j’ai citées et la référence aux insensés :
« Et comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps-ci soient à moi ? si ce n’est peut-être que je me compare à ces insensés, de qui le cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile, qu’ils assurent constamment qu’ils sont des rois, lorsqu’ils sont très pauvres ; qu’ils sont vêtus d’or et de pourpre, lorsqu’ils sont tout nus ; ou s’imaginent être des cruches, ou avoir un corps de verre. Mais quoi ? ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant, si je me réglais sur leurs exemples. »
On sait que ce passage a opposé Derrida à Foucault au niveau de son interprétation. Mais on peut cependant, sans entrer dans les raisons de l’un et de l’autre, reconnaître que Descartes ne met pas la folie sur le même plan que le sommeil, précisément en ce que la folie élimine la possibilité du raisonnement rationnel, alors que le rêve (et la conscience du rêve) n’empêche pas pour lui la pensée rationnelle de poursuivre sa recherche du vrai. Or, sur ce point, Wittgenstein identifie, sinon explicitement du moins implicitement, par le biais de la drogue hallucinatoire, le rêve à la folie.
Avoir raison ne consiste donc pas seulement à dire une proposition vraie, mais à dire une proposition vraie alors qu’on dispose mentalement de la possibilité d’avoir tort et qu'on est socialement, contextuellement parlant, en situation de juger.
La vérité et la fausseté ne sont pas des propriétés intrinsèques des propositions mais elles sont attribuables ou non aux propositions dans le cadre d’un jeu de langage déterminé et d’une forme de vie. Des multiples jeux de langage que présente le paragraphe 23 des Recherches philosophiques, on peut par exemple, pour le cas qui nous intéresse, sélectionner « décrire un objet en fonction de ce qu’on voit (…) faire des conjectures au sujet d’un événement (…) établir une hypothèse et l’examiner ». Or, prenons seulement le premier : décrire un objet en fonction de ce qu’on voit présuppose qu’on voit (pas qu’on croie voir), qu’on décrit bien ou mal un objet (pas qu’on prend conscience d’une hallucination) etc.
De manière plus générale, on peut mettre en évidence que ces dernières remarques wittgensteiniennes rappellent à leur manière que l’investigation poussée en philosophie n’est pertinente que si on ne met pas en doute ce qui conditionne toute investigation poussée, qu’on est réveillé, que nos sens fonctionnent, que nous sommes en mesure de juger etc.

mercredi 17 février 2010

Wittgenstein et Descartes (1)

Dans De la certitude, le dernier texte de Wittgenstein, élaboré dans les dix-huit derniers mois de sa vie, on lit cette remarque qui porte le numéro 160 :
" L'enfant apprend en croyant l'adulte. Le doute vient après la croyance" ("das Kind lernt, indem es dem Erwachsenen glaubt. Der Zweifel kommt nach dem Glauben")
Descartes et Wittgenstein sont d'accord sur un point (comment ne pas l'être d'ailleurs ?) : les adultes transmettent aux enfants ce qu'ils savent par la confiance que ces derniers leur font.
Ils diffèrent sur la valeur de la confiance et de la transmission : Descartes l'a disqualifiée en l'analysant comme crédulité produisant la perpétuation irrationnelle des préjugés collectifs, d'où un enfant mal éclairé car confiant et instruit. Les textes ne manquent pas, par exemple :
" L'homme est entré ignorant dans le monde et la connaissance de son premier âge n'étant appuyée que sur la faiblesse des sens et sur l'autorité des précepteurs, il est presque impossible que son imagination ne se trouve remplie d'une infinité de fausses pensées, avant que cette raison en puisse entreprendre la conduite." (La recherche de la vérité par la lumière naturelle)
À propos des sens, Wittgenstein n'a jamais repris l'idée qu'il faut s'en méfier. Il suffit d'avoir appris que dans certains cas il faut être attentif à ne pas confondre ce qu'on perçoit avec ce qui est réel. En revanche on n'a pas besoin qu'on dise à l'enfant qu'il se fie à sens, ça va de soi, il n'en a même pas conscience (pareil à chacun de nous quand nous ne faisons pas de la philosophie):
" Lorsqu'on enseigne à quelqu'un à calculer, lui enseigne-t-on également qu'il peut se fier à un calcul de son maître ? Mais ces explications doivent bien avoir une fin quelque part. Lui enseigne-t-on aussi qu'il peut se fier à ses sens - puisque, d'un autre côté, on lui dit bien dans nombre de cas que dans tel et tel cas spécial on ne peut s'y fier ?
Règle et exception." (ibidem 34)
C'est précisément l'erreur de Descartes, d'avoir cru prudent de prendre l'exception pour la règle alors qu'il est raisonnable de juger l'exception pour ce qu'elle est, l'exception !
" Supposons que quelqu'un demande : " Sommes-nous vraiment en droit de nous fier au témoignage de notre mémoire (ou de nos sens) comme nous le faisons ?"" (ibid.201)
Si ce n'est pas un professeur de philosophie introduisant au scepticisme ou au doute cartésien, on jugera bizarre cette personne (la question est : poser des questions bizarres de ce type est-il, tout contexte mis à part, un gain de lucidité ?) ?" (ibid. 201)
Dans ces conditions, on comprend que le doute qui vient après les croyances n'est pas comme dans la philosophie de Descartes une mise en question de ces croyances ; il est rendu possible par ces mêmes croyances (par exemple on ne va pas douter en hiver de l'existence de l'étang et encore moins de celle du monde extérieur qui l'englobe mais de la solidité de la couche de glace qui le recouvre, précisément parce qu'on dispose sur la glace de la croyance vraie que si elle est trop mince, elle rompt etc.).
Logiquement on ne peut pas douter de tout car cela supposerait qu'on doute entre autres du sens qu'on donne au mot "doute" et au mot "tout". En fait, Wittgenstein l'a bien fait comprendre, le doute radical vient aussi après la croyance (ici la croyance dans la signification des mots). Descartes avait donc définitivement tort de penser qu'il avait détruit la maison de son savoir jusqu'aux fondations mêmes. C'est tout simplement impossible.

Commentaires

1. Le mercredi 17 février 2010, 14:38 par laurence harang
Bonjour,
Je ne vois pas en quoi Descartes veut détruire la maison de ses certitudes: il veut rendre solide l'édifice !
LH
2. Le mercredi 17 février 2010, 15:15 par philalèthe
Bonjour,
Les textes sont pourtant clairs. En voici deux:
" Et enfin, comme ce n'est pas assez, avant de commencer à rebâtir le logis où on demeure que de l'abattre, ou s'exercer soi-même à l'architecture et outre cela d'en avoir soigneusement tracé le dessin ; mais qu'il faut aussi d'être pourvu de quelque autre, où on puisse être logé commodément pendant le temps qu'on y travaillera etc."
Ce sont les premières lignes de la troisième partie du Discours de la méthode.
On a aussi :
" Je tâchais partout d'imiter les architectes qui, pour élever de solides édifices aux lieux où le roc, l'argile et la terre ferme est couverte de sable, creusent premièrement de profondes fosses, et rejettent de là non seulement le sable, mais tout ce qui se trouve appuyé sur lui, ou qui y est mêlé, afin de poser par après leurs fondements sur la terre ferme ; car de la même façon j'ai premièrement rejeté comme du sable tout ce que j'ai reconnu être douteux ; et après cela, considérant qu'au moins on ne peut pas douter qu'au moins la substance qui doute, ou qui pense, n'existe, je me suis servi de cela comme d'un roc sur lequel j'ai posé les fondements de ma philosophie."
Le texte est tiré de la Réponse aux septièmes objections.
3. Le mercredi 17 février 2010, 16:26 par laurence harang
Je ne comprends toujours pas: il faut sans doute faire une différence entre celui qui doute pour détruire et celui qui doute pour construire; c'est une question d'architecture !
4. Le mercredi 17 février 2010, 17:36 par philalèthe
Descartes a douté en vue de détruire afin de reconstruire. Le début de la première Méditation est encore sur ce point limpide :
" Je m'appliquerai sérieusement et avec liberté à détruire généralement toutes mes anciennes opinions "
Ou, dès les premières lignes :
" Il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie de me défaire de toutes les opinions que j'avais reçues jusques alors en ma créance, et commencer tout de nouveau dès les fondements, si je voulais établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences."
Vous m'étonnez car vous êtes prof de philo et vous faites pourtant comme si vous ne connaissiez pas Descartes... Or, ces choses-là sont bien établies ! C'est sur Wittgenstein que je m'attendais à un échange, pour dire vrai.
5. Le mercredi 17 février 2010, 18:02 par laurence harang
La belle affaire: le prof de philo, ce n'est pas celui qui affirme: " voilà, c'est ça", mais celui qui amène l'élève à reconstruire la démarche de l'auteur.
Je ne comprends pas votre angle d'attaque: il ne s'agit pas de douter de "tout" mais de s'attaquer aux principes du savoir. Le scepticisme et le doute cartésien, ce n'est pas la même chose ! Or vous écrivez "ou".
6. Le mercredi 17 février 2010, 18:23 par philalèthe
1) Vous n'êtes pas une élève, Laurence, et je pense que des profs de philo doivent avoir un héritage commun...
2) Merci de m'apprendre que le scepticisme et le doute cartésien ne sont pas identiques (il y a le ou inclusif et le ou exclusif...) Mais la question imaginée par W. en 201 pourrait être dite aussi bien dans le cadre d'un enseignement sur l'un ou l'autre (car la défiance à l'égard des sens est commune aux doutes sceptique et hyberbolique).
Quant à douter de tout, c'est bien ce à quoi prétend être arrivé Descartes quand il écrit dans la deuxième Méditation:
" Je suppose donc que tout ce que je vois est faux, je crois que rien n'a jamais existé de ce que représente ma mémoire trompeuse, je n'ai pas de sens du tout ; corps, figure, étendue, mouvement et lieu sont des chimères. Qu'est-ce donc qui sera vrai ? Une seule chose peut-être : il n'y a rien de certain." (trad. Beyssade)
Mais tenez-vous vraiment à maintenir vos interventions au niveau de la polémique stérile et déplaisante ?
7. Le samedi 20 février 2010, 23:42 par JohnDoe
"le doute radical vient aussi après la croyance (ici la croyance dans la signification des mots). Descartes avait donc définitivement tort de penser qu'il avait détruit la maison de son savoir jusqu'aux fondations mêmes. C'est tout simplement impossible." Dites-vous.
Vous touchez du doigt quelque chose qui m'est familier notamment à partir de la lecture de Stanley Cavell qui dit quelque part à peu près ceci : "on ne peut enseigner avant la confiance". On peut comme il le fait dramatiser (en suivant Wittgenstein) cette scène d'instruction (Cavell oppose l'instruction à l'intuition) ou prendre le parti d'une contre-philosophie. Et forcément cette contre-philosophie (j'hésite à dire une anti-philosophie) vise à un moment le scepticisme dans sa forme cartésienne.
Je me souviens d'une souris qui doit encore fureter dans un de nos posts précédents. Je n'ai plus la citation exacte mais Wittgenstein demandait en substance que la philosophie se tourne vers ce qui résiste à l'examen des détails.
Si je pense qu'une souris ne peut naître par génération spontanée je n'ai, effectivement, aucune raison d'essayer de comprendre comment elle a pu émerger de vieux chiffons.
Pascal disait de Descartes qu'il était inutile et incertain, Wittgenstein dirait qu'il est emblématique d'une philosophie qui ne se met pas en quête de nos véritables nécessités.
8. Le dimanche 21 février 2010, 16:19 par philalèthe
Anti-philosophie, contre-philosophie, ces expressions sont finalement énigmatiques car si on demande quelle est cette chose qui est opposée à la philosophie, on ne peut pas répondre une philosophie sauf à faire de Wittgenstein un philosophe de plus avec des thèses et un système. Mais que doit-on dire alors ? Devrait-on rester vague et répondre : une pensée ? Une pensée sur la philosophie qui conduirait à la fin de la philosophie ?
9. Le mercredi 12 mai 2010, 19:24 par Frédéric
"Descartes avait donc définitivement tort de penser qu'il avait détruit la maison de son savoir jusqu'aux fondations mêmes."
Je ne crois pas que Descartes ait jamais pensé cela. Les exemples du logis et de l'architecture sont des images. Descartes est très lucide et très clair sur cette question; et vous le citez : "considérant qu'au moins on ne peut pas douter qu'au moins la substance qui doute"
Par ailleurs, d'un point de vue logique, je ne suis pas d'accord avec : "Logiquement on ne peut pas douter de tout car cela supposerait qu'on doute entre autres du sens qu'on donne au mot "doute" et au mot "tout".". On peut douter de tout et vous y participez (en doutant du doute qui porte sur tout), même s'il y a là matière à contradictions, et il faudrait préciser de quelle logique on parle...
Enfin, vous avez selon moi tout à fait raison lorsque vous dites que le doute "est rendu possible par ces mêmes croyances". A tel point qu'on peut parler de croyance en un doute de ces mêmes croyances!
10. Le mercredi 12 mai 2010, 20:03 par Philalèthe
Merci de votre visite !
1) Ce à quoi je me réfère quand j'écris que Descartes pense avoir détruit la maison de son savoir jusqu'aux fondations mêmes, c'est au doute hyperbolique qui précède le cogito, ce dernier limitant radicalement le doute et distinguant définitivement alors le doute cartésien du doute sceptique. Je pense par exemple à ce passage du début de la deuxième Méditation métaphysique :
" Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n'a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente ; je pense n'avoir aucun sens ; je crois que le corps, la figure, l'étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit. Qu'est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu'il n'y a rien au monde de certain."
2) Je ne peux douter du doute qui porte sur tout qu'en ne doutant pas du sens des mots qui constituent cette proposition. Je veux dire que la proposition "je doute de tout" est conditionnée par des certitudes linguistiques.
11. Le dimanche 30 mai 2010, 12:23 par Descartes
Bravo Mr. Ducray. Vous avez réussit à vaincre le mal avec vos mots. Merci de nous avoir apris tout ça tout le long de l'année.
12. Le samedi 5 juin 2010, 23:37 par Philalèthe
Merci cher Anonyme mais de quel mal parlez-vous donc ?