Chamfort écrit dans les Maximes et pensées (1795):
"Un philosophe regarde ce qu'on appelle un état dans le monde, comme les Tartares regardent les villes, c'est-à-dire comme une prison. C'est un cercle où les idées se resserrent, se concentrent, en ôtant à l'âme et à l'esprit leur étendue et leur développement. Un homme qui a un grand état dans le monde a une prison plus grande et plus ornée. Celui qui n'a qu'un petit état est dans un cachot. L'homme sans état est le seul homme libre, pourvu qu' il soit dans l'aisance, ou du moins qu'il n'ait aucun besoin des hommes." (268)
Chamfort parle de la fonction sociale un peu comme Platon parlait du corps dans le Phédon, plaçant chacun devant une alternative radicale: il faut choisir entre philosopher et avoir un corps, entre philosopher et avoir un état. La fonction sociale et le corps seraient ainsi des obstacles à la connaissance de la vérité.
Reste que si dans le Phédon l'ascétisme ne peut pas faire mieux que diminuer la négativité du corps, ici il y a comme un analogue de la mort du corps: c'est l'absence d'état. J'entends par là une vie en société sans métier, sans tâche, sans responsabilité, sans travail. On comprend alors que l'argent conditionne une telle existence: il permet de ne pas se mettre au service des autres ou d'une quelconque besogne particulière; il ne semble pas cependant qu'il faille aller jusqu'à comprendre "n'avoir aucun besoin des hommes" comme signifiant "se passer de domestiques ou de serviteurs".
Reste que si dans le Phédon l'ascétisme ne peut pas faire mieux que diminuer la négativité du corps, ici il y a comme un analogue de la mort du corps: c'est l'absence d'état. J'entends par là une vie en société sans métier, sans tâche, sans responsabilité, sans travail. On comprend alors que l'argent conditionne une telle existence: il permet de ne pas se mettre au service des autres ou d'une quelconque besogne particulière; il ne semble pas cependant qu'il faille aller jusqu'à comprendre "n'avoir aucun besoin des hommes" comme signifiant "se passer de domestiques ou de serviteurs".
Il y a pourtant deux manières de rendre compatibles la philosophie et la possession d'un état:
- la stoïcienne: agir philosophiquement revient à accomplir dans les limites du raisonnable les devoirs relatifs à notre état particulier. Il n'y a donc pas de contradiction entre le cosmopolitisme et la déontologie toujours spécifique à l'état auquel je suis destiné. Ce qui suppose qu'il y a toujours une manière raisonnable d'accomplir n'importe quelle fonction sociale, tant que celle-ci ne prescrit pas par nature des actions contraires à la raison (on ne peut tout de même pas être stoïcien et gardien de camp à Auschwitz).
- la kantienne (cf Réponse à la question: qu'est-ce que les Lumières): tant qu'on demeure dans le cercle des idées spécifiques à l'état, on fait un usage privé de la raison, c'est-à-dire qu'on raisonne dans le cadre des nécessités inhérentes à la fonction sociale qu'on occupe; mais par l'usage public de la raison, on juge des limites qu'implique, du point de vue de la raison cette fois libérée, l'exercice de la fonction qui nous caractérise. Différence avec la solution stoïcienne: l'usage public de la raison précède ou suit son usage privé; dit autrement, l'hétéronomie est une dimension essentielle de la vie sociale, ce qui la justifie c'est la possibilité qu'accorde le Droit de la juger à la lumière de la raison autonome.
- la stoïcienne: agir philosophiquement revient à accomplir dans les limites du raisonnable les devoirs relatifs à notre état particulier. Il n'y a donc pas de contradiction entre le cosmopolitisme et la déontologie toujours spécifique à l'état auquel je suis destiné. Ce qui suppose qu'il y a toujours une manière raisonnable d'accomplir n'importe quelle fonction sociale, tant que celle-ci ne prescrit pas par nature des actions contraires à la raison (on ne peut tout de même pas être stoïcien et gardien de camp à Auschwitz).
- la kantienne (cf Réponse à la question: qu'est-ce que les Lumières): tant qu'on demeure dans le cercle des idées spécifiques à l'état, on fait un usage privé de la raison, c'est-à-dire qu'on raisonne dans le cadre des nécessités inhérentes à la fonction sociale qu'on occupe; mais par l'usage public de la raison, on juge des limites qu'implique, du point de vue de la raison cette fois libérée, l'exercice de la fonction qui nous caractérise. Différence avec la solution stoïcienne: l'usage public de la raison précède ou suit son usage privé; dit autrement, l'hétéronomie est une dimension essentielle de la vie sociale, ce qui la justifie c'est la possibilité qu'accorde le Droit de la juger à la lumière de la raison autonome.
Commentaires
"Lorsque je penche la tête, l’on aperçoit de tout mon visage que mon nez. Lui seul dépasse de ma capuche. Assis parterre, les jambes contre la poitrine, je visite Paris. De l’intérieur de ma Capuche, je voyage… Je n’aime pas les explorateurs ou les touristes. Ils courent à l’avenir. Ils se dépensent à chercher une image qui leur ressemble. La curiosité et le souvenir les angoissent. De ma capuche, je lis. Je lis justement le voyage de Baudelaire. Voyager pour fuir l’ennui…. Mais est-ce que l’ennui ne se déplace pas avec nous ? Voyager pour sortir de soi… Mais si l’on ne s’amène pas, que trouve-t-on ? Voir « des soleils bas taché d’horreur mystique illuminant de long figement violet (…) des femmes dont les dents et les ongles sont teints, des archipels sidéraux… » n’arrive pas à faire oublier que le voyageur n’est « qu’un enfant accroupi plein de tristesse qui lâche (dans une flaque) un bateau frêle comme un papillon de mai. » Pour Baudelaire, il n’y a qu’un voyage : celui qui va de la vie à la mort. Le reste n’est que vaine agitation. De l’autre côté de ma capuche, tous ses vivants emmêlent leurs cris, leurs pas rapides… Sur cette place, la mairie de Paris a installé une patinoire. Les gens se pressent. Ils patinent et s’éclaboussent. Ils se bousculent joyeusement… Ils glissent sur le froid sans se soucier que ce froid silencieux les rattrapera tous… La vie n’a pas de sens. Ni à l’intérieur, ni à l’extérieur. Ils vivent leur vie debout sur la mort…"