Dans Bréviaire de la bêtise (2008), Alain Roger identifie la bêtise à "un usage excessif" du principe d'identité; plus généralement il pense que "l'extension et la dilatation totalitaire dans le champ linguistique " des deux principes de logique, le principe de contradiction et le principe du tiers-exclu, produisent non plus bêtise, mais stupidité (principe de contradiction) et naïveté (principe du tiers-exclu).
Il s'attache d'abord à justifier que le principe du tiers-exclu ( il n'y a pas de milieu entre une proposition et sa contradictoire, autrement dit p ou non-p, sans troisième possibilité) ne vaut pas toujours et que la naïveté consisterait précisément à l'appliquer systématiquement. À cette fin, il mobilise un livre de Russell, Signification et vérité (1940), duquel il tire trois types de proposition à propos desquels ne s'appliquerait pas le principe du tiers-exclu: le premier type est celui des énoncés dépourvus de sens, comme "quadruplicité boit temporisation". Roger cite et reprend à son compte la position de Russell: le principe du tiers-exclu ne s'applique qu'aux énoncés dotés de sens; le deuxième type est censé (sic) permettre de défendre la thèse qu'il y a des énoncés dotés de sens auxquels pourtant le principe en question ne s'applique pas: Roger cite les deux énoncés suivants: " un lapin est plus petit qu'un rat" et "un lapin est plus gros qu'un rat"; il explique alors que chacun de ces deux énoncés n'est ni vrai ni faux, car dans le premier cas, il est possible qu'existe un lapin plus petit qu'un rat (par exemple un très jeune lapin) et dans le deuxième cas il est possible qu'existe un rat plus gros qu'un lapin (suit un développement sceptique concernant la vérité des lois naturelles). Le troisième type d'énoncé est illustré par "le son du trombone est bleu" (exemple de Russell) mis en rapport par Roger avec deux vers d'Eluard "La terre est bleue comme une orange" et "Les guêpes fleurissent vert": Roger tient à distinguer ce type d'énoncés de celui représenté par "Quadruplicité boit temporisation" en leur attribuant une vérité poétique, accessible, dit-il, seulement si on congédie le principe du tiers-exclu (son idée est que si on applique le principe du tiers-exclu à une vérité poétique - mais non identifiée comme poétique par celui qui applique le principe en question -, on est scandaleusement conduit à la rejeter comme fausse, vu que manière non métaphorique elle n'est pas vraie.
Il s'attache d'abord à justifier que le principe du tiers-exclu ( il n'y a pas de milieu entre une proposition et sa contradictoire, autrement dit p ou non-p, sans troisième possibilité) ne vaut pas toujours et que la naïveté consisterait précisément à l'appliquer systématiquement. À cette fin, il mobilise un livre de Russell, Signification et vérité (1940), duquel il tire trois types de proposition à propos desquels ne s'appliquerait pas le principe du tiers-exclu: le premier type est celui des énoncés dépourvus de sens, comme "quadruplicité boit temporisation". Roger cite et reprend à son compte la position de Russell: le principe du tiers-exclu ne s'applique qu'aux énoncés dotés de sens; le deuxième type est censé (sic) permettre de défendre la thèse qu'il y a des énoncés dotés de sens auxquels pourtant le principe en question ne s'applique pas: Roger cite les deux énoncés suivants: " un lapin est plus petit qu'un rat" et "un lapin est plus gros qu'un rat"; il explique alors que chacun de ces deux énoncés n'est ni vrai ni faux, car dans le premier cas, il est possible qu'existe un lapin plus petit qu'un rat (par exemple un très jeune lapin) et dans le deuxième cas il est possible qu'existe un rat plus gros qu'un lapin (suit un développement sceptique concernant la vérité des lois naturelles). Le troisième type d'énoncé est illustré par "le son du trombone est bleu" (exemple de Russell) mis en rapport par Roger avec deux vers d'Eluard "La terre est bleue comme une orange" et "Les guêpes fleurissent vert": Roger tient à distinguer ce type d'énoncés de celui représenté par "Quadruplicité boit temporisation" en leur attribuant une vérité poétique, accessible, dit-il, seulement si on congédie le principe du tiers-exclu (son idée est que si on applique le principe du tiers-exclu à une vérité poétique - mais non identifiée comme poétique par celui qui applique le principe en question -, on est scandaleusement conduit à la rejeter comme fausse, vu que manière non métaphorique elle n'est pas vraie.
Or cette argumentation me paraît discutable dans le sens où elle ne me semble pas justifier l'idée que le principe du tiers-exclu ne s'applique pas à toutes les propositions.
Mais tout d'abord revenons sur la distinction faite entre le type 1 et le type 3 car elle n'est pas solide. En effet on peut imaginer un contexte rendant poétique l'énoncé présenté comme essentiellement dépourvu de sens (par exemple quadruplicité est un pseudo et temporisation est mis pour les paroles temporisatrices) ; inversement, "les guêpes fleurissent vert" - l'exemple est intéressant car il présente une incorrection grammaticale que présente aussi l'énoncé précédent - n'est qualifiable de poétique que si on dispose de l'information qu'il est tiré du recueil de vers L'amour la poésie. Il n'y aurait donc plus que deux types: les énoncés prima facie inintelligibles analytiquement (toujours convertibles en énoncés métaphoriques pourvu que l'incorrection grammaticale ne fasse pas mettre en doute qu'il s'agisse bel et bien d'un jugement) et les énoncés empiriques présentant soit des exceptions soit des généralités.
En premier lieu, peut-on soutenir qu'un énoncé du type " quadruplicité boit temporisation " n'entre pas dans le champ d'application du principe du tiers exclu ? Oui, si on entend le principe comme voulant dire: tout énoncé est conforme ou non à la réalité sans une troisième possibilité car alors, comme on ne comprend pas l'énoncé, on ne peut pas savoir s'il est vrai ou faux. Mais si on entend le principe comme signifiant: si on pose un énoncé comme vrai, il n'y a pas d'autre possibilité intelligible que de poser comme fausse sa contradictoire (précisément, si je soutiens que p est vrai, la seule autre possibilité concernant p est non-p), le principe s'applique aussi bien aux énoncés en question: il est exclu qu'existe une troisième possibilité entre "quadruplicité boit temporisation" et "quadruplicité ne boit pas temporisation" (si le principe du tiers exclu ne s'appliquait qu'aux énoncés dotés de sens - au sens de possiblement conformes à la réalité et non au sens de bien faits, valides, cohérents -, il ne pourrait être d'aucun usage dans la logique formelle).
Identiquement, le principe du tiers-exclu s'applique à tout énoncé poétique (ainsi qu'à toute vérité empirique exceptionnelle ou générale). Entre "la terre est bleue comme une orange" et "la terre n'est pas bleue comme une orange", il n'y a pas de troisième possibilité logique. On peut en plus se demander si l'idée qu'on n'a accès à la poésie que si on relativise la logique ne vient pas d'un préjugé (partagé généralement par les littéraires ?). En fait ce qui fait obstacle à l'accès aux métaphores, c'est l'ignorance de la connaissance de la possibilité des métaphores: ce qui m'empêche de comprendre la vérité poétique, c'est qu'on ne m'a pas expliqué qu'on peut identifier les propriétés de quelque chose en identifiant cette chose à une autre chose qui partage avec la première quelques-une de ses propriétés.
Mais tout d'abord revenons sur la distinction faite entre le type 1 et le type 3 car elle n'est pas solide. En effet on peut imaginer un contexte rendant poétique l'énoncé présenté comme essentiellement dépourvu de sens (par exemple quadruplicité est un pseudo et temporisation est mis pour les paroles temporisatrices) ; inversement, "les guêpes fleurissent vert" - l'exemple est intéressant car il présente une incorrection grammaticale que présente aussi l'énoncé précédent - n'est qualifiable de poétique que si on dispose de l'information qu'il est tiré du recueil de vers L'amour la poésie. Il n'y aurait donc plus que deux types: les énoncés prima facie inintelligibles analytiquement (toujours convertibles en énoncés métaphoriques pourvu que l'incorrection grammaticale ne fasse pas mettre en doute qu'il s'agisse bel et bien d'un jugement) et les énoncés empiriques présentant soit des exceptions soit des généralités.
En premier lieu, peut-on soutenir qu'un énoncé du type " quadruplicité boit temporisation " n'entre pas dans le champ d'application du principe du tiers exclu ? Oui, si on entend le principe comme voulant dire: tout énoncé est conforme ou non à la réalité sans une troisième possibilité car alors, comme on ne comprend pas l'énoncé, on ne peut pas savoir s'il est vrai ou faux. Mais si on entend le principe comme signifiant: si on pose un énoncé comme vrai, il n'y a pas d'autre possibilité intelligible que de poser comme fausse sa contradictoire (précisément, si je soutiens que p est vrai, la seule autre possibilité concernant p est non-p), le principe s'applique aussi bien aux énoncés en question: il est exclu qu'existe une troisième possibilité entre "quadruplicité boit temporisation" et "quadruplicité ne boit pas temporisation" (si le principe du tiers exclu ne s'appliquait qu'aux énoncés dotés de sens - au sens de possiblement conformes à la réalité et non au sens de bien faits, valides, cohérents -, il ne pourrait être d'aucun usage dans la logique formelle).
Identiquement, le principe du tiers-exclu s'applique à tout énoncé poétique (ainsi qu'à toute vérité empirique exceptionnelle ou générale). Entre "la terre est bleue comme une orange" et "la terre n'est pas bleue comme une orange", il n'y a pas de troisième possibilité logique. On peut en plus se demander si l'idée qu'on n'a accès à la poésie que si on relativise la logique ne vient pas d'un préjugé (partagé généralement par les littéraires ?). En fait ce qui fait obstacle à l'accès aux métaphores, c'est l'ignorance de la connaissance de la possibilité des métaphores: ce qui m'empêche de comprendre la vérité poétique, c'est qu'on ne m'a pas expliqué qu'on peut identifier les propriétés de quelque chose en identifiant cette chose à une autre chose qui partage avec la première quelques-une de ses propriétés.
On peut se demander alors si accuser le principe de tiers-exclu de conduire à la naïveté ne témoigne pas d'une compréhension elle-même naïve de la logique. Mais si on est toujours le naïf de quelqu'un, je m'attends à ce qu'un logicien mette en relief la naïveté de ce que je viens d´écrire...
Le dernier post aurait pu alors s'intituler: critique bête d'une critique de la bêtise et celui-ci: critique naïve d'une critique de la naíveté...Mais à trop jouer à ce jeu, on court le risque du relativisme !
Le dernier post aurait pu alors s'intituler: critique bête d'une critique de la bêtise et celui-ci: critique naïve d'une critique de la naíveté...Mais à trop jouer à ce jeu, on court le risque du relativisme !
Commentaires
Soit A : "un lapin est plus petit qu'un rat" et B : "un lapin est plus gros qu'un rat"
D'après moi il faut comprendre A ainsi:
"quelque soit x et quelque soit y si X est un lapin et y est un rat alors X est plus petit que Y"
et B ainsi : "quelque soit x et quelque soit y si X est un lapin et y est un rat alors X est plus grand que Y"
Certes le tiers exclus ne s'applique pas à A et B mais parce que A et B ne sont pas contradictoires.
la négation de A ne donne pas B mais:
non-A : "il existe x et il existe y tel que x est un lapin, y est un rat et X n'est pas plus petit que Y (ou X est plus grand que Y)
Entre A et non-A il me semble que le tiers exclus s'applique tout à fait.
À la limite on peut appliquer le principe du tiers exclu à un énoncé dans la mesure où il exprime une proposition.
J'ai en fait l'impression qu'on a ici plutôt un cas d'ambiguïté. L'énoncé peut en effet communiquer deux propositions différentes : soit la proposition "quel que soit x, quel que soit y, si x est un lapin et y un rat, alors x est plus gros que y", soit la proposition "généralement : si x est un lapin et y un rat, alors x est plus gros que y". Si cette interprétation est la bonne, on peut comprendre le fait que l'énoncé soit ni vrai (un lapin très jeune est plus petit qu'un rat), ni faux (si le terme "lapin" est restreint à la classe des lapins qui correspondent à une sorte de stéréotype, de prototype de ce que nous appelons lapin, alors le cas du lapin très jeune est exclu et la phrase reste vraie).
Mais si son argumentation en reste à ce niveau-là, elle est triviale : c'est une évidence que le principe du tiers-exclu ne s'applique pas à tous les énoncés. Si on ne précise pas le sens d'un énoncé (c'est-à-dire la proposition qu'il communique), on ne peut pas parler de sa vérité ou de sa fausseté, et par conséquent, on ne peut pas parler d'application ou de non application du principe du tiers exclu.
Mais peut-être s'agit-il ici d'une simple querelle de mots. Alain Roger fait peut-être implicitement la distinction entre énoncés et propositions, de sorte que la naïveté serait un excès d'application du tiers-exclu en un sens précis : l'excès consisterait à appliquer le tiers-exclu hors de son domaine. L'idée directrice serait alors qu'il ne faut pas appliquer le principe du tiers-exclu à tous les énoncés (mais seulement aux énoncés qui expriment une proposition déterminée).
- par ignorance de ce qu'est le principe en question, on l'applique n'importe comment (c'est possible bien sûr !)
- par ignorance de ce qu'est le principe en question, on croit à tort qu'il s'applique à toutes les propositions. Et cette thèse me semble fausse: dès qu'on a affaire à une proposition (masquée sous un énoncé à première vue non-propositionnel ou manifeste), qu'on sache si l'énoncé est vrai ou faux ou qu'on ne le sache pas, il est vrai que la proposition ne peut être que vraie ou fausse.
C'est clair que toutes ces analyses présupposent une logique classique avec seulement deux valeurs (V et F); si on prenait en compte le probable et tous ses degrés, on changerait de terrain - mais ce n'est pas à ce niveau que Roger a argumenté, sauf à l'avoir mal compris, ce qui est toujours une possibilité à retenir !
Paul Watzlawick, dans "La réalité de la réalité" se réfère à la légende du roi du Danemark, Christian X, pour montrer les limites du principe du tiers-exclu.
On peut appeler ce stratagème, "la stratégie de Morgiane", du nom de la servante d'Ali Baba qui, après que les voleurs eurent marqué d'une croix la porte de son maître, traça une croix sur toutes les portes du quartier.
Le principe du tiers-exclu commande de penser: ou on obéit ou on n'obéit pas. Or, que fait le roi légendaire ? Il ne fait pas autre chose que ne pas obéir, puisqu'obéir consiste à mettre l'étoile si on est juif. Si on choisissait de dire qu'il obéit faussement, on serait toujours dans le cas d'une des deux options: obéir.
Avec le subtil humour qui le caractérise, Vincent Descombes nous dit que le passage du premier au second Wittgenstein se produit lorsque s'établit une distinction entre "deux usages du signe "etc" : l'un comme une façon abrégée de mentionner une liste de cas ou d'objets _que l'on pourrait énumérer_, l'autre comme un signe de généralité indiquant qu'on peut continuer à appliquer une certaine règle ou une certaine description à d'autres cas possibles, _sans que nous prétendions pouvoir dire lesquels_." (op. cit.)
Pour Descombes, qui rejoint les thèses de Peirce, la différence entre les deux usages est celle de la collection et de la généralité, différence que le nominaliste veut supprimer en _réduisant_ la généralité à une collection de faits individuels.
On pourrait tenir un raisonnement semblable si l'on voulait défendre que le roi (légendaire) obéit, qu'il est du côté de A : on arguerait que l'ensemble A a été abusivement réduit, mais, selon la célèbre formule de Malcolm Lowry, "Anyhow, somehow", de quelque côté qu'il se trouve, il est d'un côté _ou_ de l'autre, pas des deux à la fois...