samedi 10 octobre 2009

Socrate vu par Sénèque (4): deux manières de juger ce qu'on boit.

Dans le De providentia (III 4 éd. Veyne p.298), Sénèque associe à six grands hommes du passé les six maux dont ils ont souffert. Après Mucius (le feu), Fabricius (la pauvreté), Rutilius (l'exil), Regulus (la torture) et avant Caton (le suicide) vient Socrate et le poison. La thèse que Sénèque défend est que le malheur est l'occasion de la manifestation de la vertu (dans la lettre 13 à Lucilius, reproduira la même argumentation: "la cigüe a grandi Socrate"; elle réapparaît dans la lettre 67: "la vie de l'homme de bien se compose d'actes variés. On y rencontre le coffre de Régulus, la blessure que Caton déchire de sa propre main, l'exil de Rutilius, la coupe empoisonnée qui transporte Socrate de sa prison au ciel. Ainsi, en me souhaitant la vie de l'homme de bien, j'ai souhaité du même coup les accidents sans lesquels une telle vie est quelquefois impossible" (p.774))
Le poison de Socrate est à la fois un obstacle et un auxiliaire, précisément un auxiliaire permettant l'accès à la vie vertueuse dans la mesure où il est surmonté en tant qu' obstacle ( cf aussi la lettre 98: "De tous ces maux qui paraissent redoutables, aucun n'est invincible; tous, l'un après l'autre, ont trouvé leur vainqueur. Mucius surmonte le feu, Régulus la torture, Socrate le poison, Rutilius l'exil, Caton la mort par l'épée. A notre tour ayons nos victoires." (p.975) )
Il vaut la peine de relever l'idée que dans ces textes la vie sage ne dépend pas que de soi mais aussi de la Fortune, en tant qu'elle accable de maux (même si dans la lettre 98, Sénèque ajoute qu'une autre voie possible d'accès à la vie vertueuse est le refus des faux biens, tels la richesse, reste que c'est encore la Fortune qui en grande partie les distribue ). Le seul pouvoir dont dispose le candidat à la vertu est, comme le dit explicitement Sénèque plus haut de souhaiter les épreuves à venir. Mais n'est pas sage qui veut (il faudrait cependant contraster ces textes avec d'autres mettant en évidence la possibilité d'une "sagesse au quotidien").
Mais à dire vrai, ce qui est au centre de ce billet est moins ambitieux, c'est la comparaison que Socrate fait dans le premier texte cité entre deux types de boisson: la boisson socratique (certes on pense plus la cigüe sous le concept d'empoisonnement que sous celui de boisson) et la boisson du débauché:
" 12. Juges-tu que Socrate ait été mal partagé, lorsqu'il absorba comme un philtre d'immortalité ce breuvage que la république lui versait ( Sénèque juge scandaleux que ce soit un gouvernement non tyrannique qui ait condamné à mort Socrate cf par exemple De la tranquillité de l'âme V 2) et discourut sur le mort jusqu'à son dernier soupir (quod illam potionem publice mixtam non aliter quam medicamentum immortalitatis abduxit et de morte disputavit usque ad ipsam), 13. Ah ! Qu'un tel sort est plus enviable que celui de ces raffinés qui se font servir à boire dans des gemmes et pour qui un mignon rompu à toutes les passivités, privé de sexe ou d'une virilité équivoque, distille dans l'or la neige et l'y délaye ! Tout ce qu'ils avaient, ils le rejetteront dans des nausées, mornes et ruminant leur bile; Socrate, lui, boira son poison avec joie et sérénité (at ille venenum laetus et libens hauriet)" (p.299)
Devenir sage, c'est s'exercer à voir le poison réel là où il n'est pas et ne pas le voir là où il l'est.

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