Dans le paragraphe 4 du chapitre 12 du livre IV de l' Essai sur l'entendement humain(1689), John Locke soutient qu' il est dangereux, prenant les mathématiques comme modèle, de bâtir sur des principes. Plus particulièrement il est dangereux moralement de fonder sa conduite sur des principes théoriques faux. C'est pour illustrer ce péril qu'il fait comme un tour d'horizon, certes incomplet mais peu importe cela, de la philosophie antique :
" Qu'on reçoive comme certain et indubitable ce principe de quelques anciens philosophes, que tout est matière, et qu'il n'y a aucune autre chose, il sera aisé de voir par les écrits de quelques personnes qui de nos jours ont renouvelé ce dogme, dans quelles conséquences il nous engagera. Qu'on suppose avec Polémon que le monde est Dieu, ou avec les stoïciens que c'est l'éther ou le Soleil, ou avec Anaximène que c'est l' air ; quelle théologie, quelle religion, quel culte aurons-nous ! Tant il est vrai que rien ne peut être si dangereux que des principes qu'on reçoit sans les mettre en question, ou sans les examiner, surtout s'ils intéressent la morale, qui a une si grande influence sur la vie des hommes, et qui donne un cours particulier à toutes leurs actions. Qui n'attendra avec raison une autre sorte de vie d'Aristippe, qui faisait consister la félicité dans les plaisirs du corps, que d' 'Antisthène qui soutenait que la vertu suffisait pour être heureux ? De même, celui qui avec Platon placera la béatitude dans la connaissance de Dieu élèvera son esprit à d'autres contemplations que ceux qui ne portent point leur vue au-delà de ce coin de Terre et des choses périssables qu'on y peut posséder. Celui qui posera pour principe avec Archélaüs que le juste et l'injuste, l'honnête et le déshonnête sont uniquement déterminés par les lois et non pas par la nature, aura sans doute d'autres mesures du bien et du mal moral, que ceux qui reconnaissent que nous sommes sujets à des obligations antérieures à toutes les constitutions humaines." (trad. Coste, Livre de Poche, p 931-932)
Spontanément je suis étonné par la mauvaise connaissance que Locke paraît avoir ici du stoïcisme en lui attribuant la croyance qu'une partie du monde est Dieu et par la vue en revanche sur ce qu'est le cynisme, ne cédant pas à la caricature (mais, à la fin du 17ème en Angleterre, diffusait-on une image caricaturale et mutilée du cynisme ?)
Commentaires
Mais elle est un fait et je m'en réjouis.
Et je vois votre malice à m'envoyer un texte d'un enterré précisément tout à fait vif.
Je n'ai pas le souvenir d'avoir lu des lignes vôtres sur Montaigne mais je dois l'avouer, votre mépris de son scepticisme trop accommodant ne me surprend pas. Les valeurs ont, je crois, pour vous une réalité objective et l'action comme la pensée doivent s'y subordonner. Je ne sais pas si vous avez écrit sur Descartes et Leibniz mais j'imagine que vous avez pris parti pour le Dieu de Leibniz, parce qu'il ne crée pas les valeurs mais s'y conforme.
Enfin, je ne veux pas vous lasser. Sachez quand même que votre présence vivante me trouble et me ferait presque croire, horribile dictu, au miracle.
Cher maître, recevez l'expression de mon profond respect.