dimanche 3 juin 2012

Les amants comme modèles des philosophes.

C'est un lieu commun de la philosophie, en tout cas de la philosophie antique, de disqualifier l'amour. Or, Locke réhabilite ici le discours de ceux qui s'aiment dans un chapitre où il donne des remèdes aux imperfections du langage. Un des remèdes est d'avoir "des idées distinctes et conformes aux choses à l'égard des mots qui expriment des substances". C'est le cas des amants, plus généralement de tous ceux qui s'entendent, en un sens large de l'expression, pour faire leur cuisine :
" Les marchands, les amants, les cuisiniers, les tailleurs, etc. ne manquent pas de mots pour expédier leurs affaires courantes. Les philosophes et les controversistes pourraient aussi terminer les leurs, s'ils avaient envie d'entendre nettement, et d'être entendus de même." (Essai sur l'entendement humain, III, 11, 10, trad. Coste, p.761)
Platon, lui, ne prenait pas le cuisinier comme modèle. Le cuisinier est un type de flatteur. La flatterie " n'a aucun souci du meilleur état de son objet, et c'est en agitant constamment l'appât du plaisir qu'elle prend au piège la bêtise, qu'elle l'égare, au point de faire croire qu'elle est plus précieuse que tout. Ainsi la cuisine s'est glissée sous la médecine, elle en a pris le masque. Elle fait donc comme si elle savait quels aliments sont meilleurs pour le corps." (Gorgias, 464 c-d)
Dans l'esprit de ce texte, c'est défendable de voir aussi les marchands, les amants et les tailleurs comme des flatteurs. Les marchands tromperaient sur la marchandise et sur les besoins des acheteurs, les amants sur eux-mêmes et qui ils aiment et enfin pour les tailleurs cela va de soi, ils masquent le corps et le donnent à voir avantageusement.
Ceci dit, le point de vue platonicien et celui de Locke ne sont pas incompatibles : quand plusieurs flatteurs s'y mettent pour flatter, ils doivent s'entendre sur ce qu'ils veulent dire. C'est par la transparence des mots échangés qu'ils parviennent à troubler l'esprit de qui les croit.

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