vendredi 8 novembre 2019

Greguería n° 199

" Freud : teoría del ojal que se escapó en busca de un botón lejano."
" Freud : théorie de la boutonnière s'échappant pour chercher au loin un bouton."

Main courante.

Comme on parle en ce moment du film d'animation réalisé par Jérémy Capin et intitulé J'ai perdu mon corps, histoire d'une main seule sans son propriétaire, je pense à ce court récit de Ramón Gómez de la Serna, paru en 1935 dans Los muertos y las muertas y otras fantasmagorias (Editorial Cruz y Raya). En voici sans doute la première traduction en français :
" Le docteur Alejo est mort assassiné. Indubitablement, il est mort étranglé.
Personne n'était entré dans la maison, indubitablement personne, et bien que le docteur eût dormi avec le balcon ouvert, par hygiène, son appartement était tellement en hauteur qu'on ne pouvait pas supposer que l'assassin fût entré par là.
La Police ne trouvait pas la piste de ce crime et elle allait abandonner l'affaire, quand l'épouse et la bonne du mort arrivèrent épouvantées au commissariat. Sautant du haut d'une armoire était tombée sur la table, les avait " regardées ", les avait " vues " et après avait fui dans la chambre une main solitaire et vive comme une araignée. Là dans la pièce, elles l'avaient enfermée à clé.
Terrorisée, la Police était arrivée, avec le juge. C'était leur devoir. Ça leur coûta des efforts de partir à la chasse de la main mais ils le firent et tous l'attrapèrent seulement par un doigt, parce qu' elle était vigoureuse, comme si en elle résidait toute la force d'un homme fort.
Que faire d'elle ? Quelle lumière allait-elle verser sur l' événement ? Comment la juger ? De qui était-elle la main ?
Après un long moment, le juge eut l'idée de lui donner la plume pour qu'elle fît sa déclaration par écrit. Alors la main écrivit : " Je suis la main de Ramiro Ruiz, vilement assassiné par le docteur à l'hôpital et détruit avec acharnement dans la salle de dissection. Je lui ai rendu justice."
Pour les hispanisants, je joins le texte en espagnol :
" El doctor Alejo murió asesinado. Indudablemente murió estrangulado.
Nadie había entrado en la casa, indudablemente nadie, y aunque el doctor dormía con el balcón abierto, por higiene, era tan alto su piso que no era de suponer que por allí hubiese entrado el asesino.
La Policía no encontraba la pista de aquel crimen, y ya iba a abandonar el asunto, cuando la esposa y la criada del muerto acudieron despavoridas a la Jefatura. Saltando de lo alto de un armario había caído sobre la mesa, las había " mirado ", las había " visto ", y después había huido por la habitación, una mano solitaria y viva como una araña. Allí la habían dejado encerrada con llave en el cuarto.
Llena de terror, acudió la Policía y el juez. Era su deber. Trabajo les costó cazar la mano, pero la cazaron y todos le agarraron un dedo, porque era vigorosa como si en ella radicase junta toda la fuerza de un hombre fuerte.
¿Qué hacer con ella? ¿Qué luz iba a arrojar sobre el suceso? ¿Cómo sentenciarla? ¿De quién era aquella mano?
Después de una larga pausa, al juez se le ocurrió darle la pluma para que declarase por escrito. La mano entonces escribió: «Soy la mano de Ramiro Ruiz, asesinado vilmente por el doctor en el hospital y destrozado con ensañamiento en la sala de disección. He hecho justicia».

Commentaires

1. Le samedi 9 novembre 2019, 16:38 par gerardgrig
Cela donne envie de relire "La Main de gloire" de Gérard de Nerval, histoire macaronique. Et de revoir son adaptation au cinéma dans les années 1940. Les histoires de mains coupées traduisent une angoisse de la perte.
2. Le dimanche 10 novembre 2019, 01:06 par gerardgrig
C'est le Bâtard de Mauléon qui se fait couper la main à la fin du roman de Dumas, quand il met la main sur la femme enlevée par le Maure Mothril. Comme les héros des derniers romans de Jules Verne, ceux des derniers romans de Dumas ratent tout. La littérature héroïque a besoin de dire son échec.
3. Le dimanche 10 novembre 2019, 10:48 par Arnaud
J'adore La main du diable, film de Maurice Tourneur (1943) avec Pierre Fresnay.
4. Le lundi 11 novembre 2019, 15:44 par gerardgrig
Il y a le thème sous-jacent du pacte faustien avec le diable.
Le film a été tourné sous l'Occupation avec les capitaux de la Continental, dirigée par Alfred Greven. Tout le monde comprend que le pacte avec le diable est le pacte avec Hitler. Le film de Marcel Carné, "Les Visiteurs du soir", a le même sens, avec une allusion transparente à la Résistance à la fin, qui a échappé à la censure. Dans les deux films, il y a une galerie d'Excentriques du cinéma français.

jeudi 7 novembre 2019

Greguería n° 198

" Dejó a su criado su última caja de cigarros para que recordase que su señor se había hecho humo."
" Il laissa à son domestique sa dernière boîte de cigares, pour lui rappeler que son maître s'était transformé en fumée."

mercredi 6 novembre 2019

Greguería n° 197


" Es tan atractivo el sol que suben a verle los rios : por eso tenemos la lluvia:"
" Le soleil est si attirant que les rivières montent pour le voir : pour cette raison nous avons la pluie."

mardi 5 novembre 2019

Greguería n° 196

" Se quitaba los guantes como si fuese a operar la conversación."
" Il enlevait ses gants comme s'il allait opérer la conversation."

Commentaires

1. Le mercredi 6 novembre 2019, 01:38 par gerardgrig
Ramón veut sans doute parler de la chirurgie à mains nues, pratiquée par les guérisseurs philippins et brésiliens. Il s'agit de réaliser un tour de prestidigitation, pour faire une chirurgie psychique qui a un effet placebo.
Il est vrai aussi que dans une conversation, les mains en disent plus que les mots.
2. Le jeudi 7 novembre 2019, 19:15 par Philalèthe
Face au chirurgien à mains nues, le patient se soumet alors que la greguería me paraît décrire le début illusoire d'un combat qui va être perdu. Ce dominant-là (il doit appartenir aux classes supérieures) ne va pas faire illusion longtemps. C'est moins un charlatan qu'un dominant dominé...

lundi 4 novembre 2019

Greguería n° 195

" Estafa del desierto : burros disfrazados de camellos."
" Arnaque dans le désert : des ânes déguisés en chameaux."

dimanche 3 novembre 2019

Greguería n° 194

" Al no tener pistola pensó tirarse un tiro en la sien con un cuchillo."
" N'ayant pas de pistolet, il a eu l'idée de se tirer dans la poitrine avec un couteau."

Commentaires

1. Le lundi 4 novembre 2019, 13:58 par gerardgrig
On dirait que Ramón rend hommage aux feuilletonistes français et à leurs perles littéraires. Ainsi, Ponson du Terrail avait écrit : "Serrant son sabre à deux mains, il dégaina son poignard de l'autre et fit feu !".
2. Le lundi 4 novembre 2019, 19:00 par Philalèthe
Rapprochement intéressant !
3. Le mardi 19 novembre 2019, 19:00 par Versus
A coup trop tiré. Marcel Duchamp.

samedi 2 novembre 2019

Greguería n° 193

" La cama está preparada como para hacernos la operación del sueño."
" Le lit est préparé comme pour nous faire subir l'opération du sommeil."

vendredi 1 novembre 2019

Greguería n° 192

" Escribir con lápiz es marcar solo la sombra de las palabras."
" Écrire au crayon, c'est indiquer seulement l'ombre des mots."

Commentaires

1. Le mardi 19 novembre 2019, 19:03 par Versus
Certainement parce qu'il a mauvaise mine!

jeudi 31 octobre 2019

Greguería n° 191

" El que mejor traza una perpendicular es el que se tira del balcón a la calle."
" Celui qui trace le mieux une perpendiculaire est celui qui du balcon se jette dans la rue."

mardi 29 octobre 2019

Greguería n° 189

" A lo más, podemos contar con diez amigos en la vida : los diez dedos de las manos."
" Au plus, on peut compter sur dix amis dans la vie : les dix doigts de nos mains."

lundi 28 octobre 2019

Greguería n° 188

" Se amaban tanto, que hasta sus sueños eran idénticos, Por eso se separaron locos de celos, no pudiendo ella aguantar los sueños de él ni él los de ella."
" Ils s'aimaient tant que même leurs rêves étaient identiques. Aussi se séparèrent-ils fous de jalousie, elle ne pouvant pas plus supporter ses rêves à lui que lui, ses rêves à elle."

dimanche 27 octobre 2019

Greguería n° 187

" Las nubes también tienen besos cinematográficos."
" Les nuages aussi se donnent des baisers de cinéma."

samedi 26 octobre 2019

vendredi 25 octobre 2019

Greguería n° 185

" A Victor Hugo su esposa lo llamaba Víctor ; su amante : Hugo."
" Victor Hugo était appelé par sa femme, Victor et par sa maîtresse, Hugo."

Commentaires

1. Le vendredi 25 octobre 2019, 17:40 par gerardgrig
Ramón aborde le problème de la familiarité avec les grands hommes. Il adopte un registre boulevardier classique. En réalité, Hugo avait une foule de maîtresses, mais le boulevard moderne a intégré la pluralité des maîtresses. Néanmoins, Ramón est ironiste plus qu'humoriste, et il aborde le problème analytique du nom propre. La maîtresse d'Hugo donnait raison à Kripke. Le nom d'Hugo n'était pas une grappe de conditions, mais le maillon d'une chaîne historique affecté par le risque d'altération. On peut supposer que dans l'intimité la maitresse d'Hugo devait parfois l'appeler "Huguette". Derrida disait que le nom propre n'était possible que par son fonctionnement, dans une écriture retenant les traces de différence. Mais on peut surtout imaginer qu'en appelant Hugo par son nom, sa maîtresse lui infligeait une petite souffrance morale, en lui rappelant sa condition cruelle de femme vouée à occuper un backstreet dans sa vie, puisqu'il ne divorçait pas.
2. Le dimanche 27 octobre 2019, 19:06 par Philalethe
L'épouse a peut-être la vue du valet de chambre hegelien ! La maîtresse, tenue à distance, n'a pas cette vue rapprochée, mais en fin de compte, des deux, elle est la moins éloignée de la réalité : Hugo, c'est Hugo !

jeudi 24 octobre 2019

Greguería n° 184

" No era espléndido más que en tarjetas de visita."
" Il n'était splendide que sur ses cartes de visite."

mercredi 23 octobre 2019

Greguería n° 183

" Los niños lloran bastante por todo lo que que después se aguantarán el llanto."
" Les enfants pleurent ce qu'il faut en prévision de toutes les larmes que plus tard ils retiendront."

mardi 22 octobre 2019

Greguería n° 182

" Las aves son más animales que las fieras porque son animales y pico."
J'avoue ne pas pouvoir traduire cette greguería. Voici pourquoi : l'expression y pico veut dire et quelques ( son las diez y pico : il est dix heures et quelques ) mais el pico est aussi le bec de l'oiseau. D'où ce jeu de mots qu'on ne peut pas rendre :
" Les oiseaux sont plus animaux que les fauves parce qu'ils sont animaux et bec (et quelque chose en plus) "

Commentaires

1. Le jeudi 7 novembre 2019, 02:22 par angela cleps
pourquoi ne pas mettre en français une gregueria dans une une autre :
Les oiseaux sont plus animaux que les fauves parce qu'ils sont animaux becs et ongles
mais je conviens que cela marche mal car becs et ongles veut dire " à fond" , "complètement"
2. Le jeudi 7 novembre 2019, 18:52 par Philalèthe
Merci d'avoir ingénieusement tenté l'essai !

lundi 21 octobre 2019

Greguería n° 181

" Era más presumida que sortija de guitarrero."
" Elle était plus prétentieuse qu'une bague de guitariste."

dimanche 20 octobre 2019

Greguería n° 180

" Disculpa del insomnio : ¿Qué más da tener los ojos abiertos o cerrados en la oscuridad? "
" C'est l'insomnie qui s'excuse : qu' importe d' avoir les yeux ouverts ou fermés, vu qu'il fait noir ? "

Commentaires

1. Le samedi 26 octobre 2019, 16:40 par gerardgrig
Dans cette gregueria, Ramón énonce un paradoxe à la manière de certains petits socratiques, si l'on retire la touche un peu surréaliste de l'excuse de l'insomnie. Ramón semble avoir ici un tropisme mégarique. Par contre, la gregueria 155 sur le paradoxe du réveil dans l'illusion en voyage, par une sorte de boucle temporelle dans le mental paresseux, évoque plutôt l'humour fumiste d'un "Pied nickelé" comme Alphonse Allais, dans la tradition lointaine du cynisme.
2. Le dimanche 27 octobre 2019, 19:26 par Philalethe
L'insomnie est ignorante des couleurs du rêve.

samedi 19 octobre 2019

Greguería n° 151


" Tenía una memoria de aspirador del polvo."
" Il avait une mémoire d'aspirateur."

Greguería n° 179

" Esos que llaman al chocolatinero en la oscuridad del cine parece que le compran bombones de opio para nirvanizarse en su butaca."
" Ceux qui appellent le vendeur de chocolats dans le noir au cinéma semblent acheter des truffes à l'opium pour se nirvaniser dans leur fauteuil."

vendredi 18 octobre 2019

Greguería n° 178

" El libro es un pájaro con más de cien alas para volar."
" Le livre est un oiseau avec plus de cent ailes pour voler."

jeudi 17 octobre 2019

Greguería n° 177

" Tenía la dulzura de una mirada llena de deudas."
" Elle avait la douceur d'un regard plein de dettes."