Comme on parle en ce moment du film d'animation réalisé par Jérémy Capin et intitulé J'ai perdu mon corps, histoire d'une main seule sans son propriétaire, je pense à ce court récit de Ramón Gómez de la Serna, paru en 1935 dans Los muertos y las muertas y otras fantasmagorias (Editorial Cruz y Raya). En voici sans doute la première traduction en français :
" Le docteur Alejo est mort assassiné. Indubitablement, il est mort étranglé.
Personne n'était entré dans la maison, indubitablement personne, et bien que le docteur eût dormi avec le balcon ouvert, par hygiène, son appartement était tellement en hauteur qu'on ne pouvait pas supposer que l'assassin fût entré par là.
La Police ne trouvait pas la piste de ce crime et elle allait abandonner l'affaire, quand l'épouse et la bonne du mort arrivèrent épouvantées au commissariat. Sautant du haut d'une armoire était tombée sur la table, les avait " regardées ", les avait " vues " et après avait fui dans la chambre une main solitaire et vive comme une araignée. Là dans la pièce, elles l'avaient enfermée à clé.
Terrorisée, la Police était arrivée, avec le juge. C'était leur devoir. Ça leur coûta des efforts de partir à la chasse de la main mais ils le firent et tous l'attrapèrent seulement par un doigt, parce qu' elle était vigoureuse, comme si en elle résidait toute la force d'un homme fort.
Que faire d'elle ? Quelle lumière allait-elle verser sur l' événement ? Comment la juger ? De qui était-elle la main ?
Après un long moment, le juge eut l'idée de lui donner la plume pour qu'elle fît sa déclaration par écrit. Alors la main écrivit : " Je suis la main de Ramiro Ruiz, vilement assassiné par le docteur à l'hôpital et détruit avec acharnement dans la salle de dissection. Je lui ai rendu justice."
Pour les hispanisants, je joins le texte en espagnol :
" El doctor Alejo murió asesinado. Indudablemente murió estrangulado.
Nadie había entrado en la casa, indudablemente nadie, y aunque el doctor dormía con el balcón abierto, por higiene, era tan alto su piso que no era de suponer que por allí hubiese entrado el asesino.
La Policía no encontraba la pista de aquel crimen, y ya iba a abandonar el asunto, cuando la esposa y la criada del muerto acudieron despavoridas a la Jefatura. Saltando de lo alto de un armario había caído sobre la mesa, las había " mirado ", las había " visto ", y después había huido por la habitación, una mano solitaria y viva como una araña. Allí la habían dejado encerrada con llave en el cuarto.
Llena de terror, acudió la Policía y el juez. Era su deber. Trabajo les costó cazar la mano, pero la cazaron y todos le agarraron un dedo, porque era vigorosa como si en ella radicase junta toda la fuerza de un hombre fuerte.
¿Qué hacer con ella? ¿Qué luz iba a arrojar sobre el suceso? ¿Cómo sentenciarla? ¿De quién era aquella mano?
Después de una larga pausa, al juez se le ocurrió darle la pluma para que declarase por escrito. La mano entonces escribió: «Soy la mano de Ramiro Ruiz, asesinado vilmente por el doctor en el hospital y destrozado con ensañamiento en la sala de disección. He hecho justicia».