mercredi 11 mars 2020

Greguería n°316

" La vida la había dado tantos disgustos que ya no podía reírse con la boca y con los ojos al mismo tiempo."
" La vie lui avait causé tant de contrariétés qu'elle ne pouvait plus rire de la bouche et des yeux à la fois."

Commentaires

1. Le jeudi 12 mars 2020, 14:36 par gerardgrig
Ramón décrit "The Pagliacci syndrome". Dans "Mon Père et ses Verres", Bobby Lapointe chantait "Son cœur pleure mais sa|Bouch'rit". On pourrait ajouter : "Si tu es gai ris-don(c), Paillasse !" Cela ne déplairait pas à Ramón, amateur de vieilles blagues d'étudiant. L'École de Salamanque ne devait pas être triste.
2. Le jeudi 19 mars 2020, 08:34 par Philalèthe
À moins que ce ne soit une fine remarque de psychologie behavioriste....

mardi 10 mars 2020

Greguería n°315

" El primer contacto que tenemos con el purgatorio es cuando nos planchan el traje en el quitamanchas."
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" Le premier contact que nous avons avec le purgatoire est quand on repasse notre costume chez le teinturier."

Commentaires

1. Le mercredi 11 mars 2020, 18:40 par gerardgrig
Ramón se moque de ses souvenirs de catéchisme. C'est ce dernier qui a inventé le Purgatoire, lequel n'est jamais mentionné dans la Bible, sinon par allusion à une forme de purification et de pardon après la mort. Saint Pierre parle aussi d'esprits en prison après la mort, tandis que saint Paul approuve le baptême pour les morts. Il y a l'Évangile de saint Marc, qui parle du miracle de Jésus qui guérit la fièvre de la belle-mère de Simon. Le mal d'un virus est l'analogue de l'attente d'un salut dans un Purgatoire. Mais en réalité, les âmes du Purgatoire sont déjà sauvées. On ne comprend pas pourquoi le Purgatoire vient relativiser la menace de l'Enfer, bien que l'Église précise que l'on ne devient pas saint au Purgatoire. Pour Ramón, le passage par le teinturier est la parabole illustrée du séjour au Purgatoire, même si sa durée est indéterminée. Il devait aussi connaître l'étrange nouvelle de Mérimée, "Les Âmes du Purgatoire", une parodie de la littérature espagnole, qui raconte l'histoire de Don Juan de Maraña, et qui semble nous suggérer que le Purgatoire est la parodie de l'Enfer, mais que le tragique de l'Enfer demeure au fond des âmes.
2. Le jeudi 19 mars 2020, 08:49 par Philalèthe
Croyances religieuses à part, la crémation de notre cadavre commencera bien par la combustion de nos habits.

lundi 9 mars 2020

Greguería n°314

" Después de la lluvia todos tenian el rostro pintado a la acuarela."
" Après la pluie, tous avaient le visage peint à l'aquarelle."

dimanche 8 mars 2020

Greguería n°313


" Tarjeta de visita : etiqueta de la botella de cada uno."
" Carte de visite : étiquette sur la bouteille qu'est chacun de nous."

vendredi 6 mars 2020

Greguería n°312


" Cisnes blancos con el cuello negro : reclamo para guantería."
" Cygnes blancs à col noir : publicité pour des gants."

Commentaires

1. Le samedi 7 mars 2020, 14:23 par gene pelcals
intéressant de voir combien Ramon est obsédé par les femmes gantées.
2. Le mercredi 11 mars 2020, 10:42 par Philalèthe
Oui, et plus généralement par les gants. Mais par définition mon anthologie rend mal les obsessions. Certes elle fait aussi grâce des

jeudi 5 mars 2020

Greguería n°311

" Lo de " Doña " pone un poco de bigote a la mujer por culpa de la tilde de la eñe."
" Le " Doña " donne un peu de moustache à la femme par la faute du tilde sur le ñ."

Commentaires

1. Le jeudi 12 mars 2020, 00:22 par gerardgrig
Ramón cultive une forme de derridisme par anticipation, avec des remarques un peu kabbalistiques sur les lettres et leurs accents espagnols. Il met à jour un "glyphe" littéraire, picto-idéo-phonographique, qui relève de la "différance grammatologique" derridienne. Il s'agit chez Ramón d'une redescription formaliste, pour regarder avec optimisme, et excuser, le détail de la moustache que la brune espagnole a fatalement. C'est une manière tragi-comique d'accepter le destin.
2. Le jeudi 19 mars 2020, 08:44 par Philalèthe
Ramón voit le mot comme un hiéroglyphe.
3. Le jeudi 19 mars 2020, 10:48 par Philalèthe
Voir aussi le début du Cratyle de Platon : 
" (...) il existe une dénomination correcte naturellement adaptée à chacun des êtres : un nom n'est pas l'appellation dont sont convenus certains en lui assignant une parcelle de leur langue qu'ils émettent, mais il y a, par nature, une façon correcte de nommer  les choses, la même pour tous, Grecs et Barbares."
Sauf que le cratylisme  est l'idée que l'étymologie du signe est une description vraie de son référent alors que la greguería en question fait du mot un dessin ressemblant au référent. Ressemblance indélicate et peut-être même souvent  fausse...
Mais, dans une logique strictement cratyléenne, si on supprime le tilde de doña, la dame perd son vrai nom...
4. Le jeudi 19 mars 2020, 19:51 par gerardgrig
Avec la femme à moustache, nous abordons la question du genre. Cette gregueria est-elle phallogocentrique ? Ramón était-il un macho ? Un Espagnol ne saurait médire de la corrida.
5. Le vendredi 20 mars 2020, 22:47 par Philalèthe
Il y a beaucoup de greguerías misogynes, quelquefois platement misogynes, mais je ne les traduis pas.

mercredi 4 mars 2020

Greguería n°310

" El suicida quiso cerrar los ojos para no ver la vida y se quedaron abiertos."
" Le suicidé a voulu fermer les yeux pour ne plus voir la vie mais ils sont restés ouverts."

mardi 3 mars 2020

Greguería n°309

" La revolución es el turismo de los que no pueden viajar."
" La révolution, c'est le tourisme pour ceux qui ne peuvent pas voyager."

lundi 2 mars 2020

Greguería n°308

" Esos que caminan con la cabeza caida sobre el pecho parecen ahorcados del aire. "
" Ceux qui cheminent avec la tête qui tombe sur la poitrine semblent être pendus à l'air."

Greguería n°308

" Esos que caminan con la cabeza caida sobre el pecho parecen ahorcados del aire. "
" Ceux qui cheminent avec la tête qui tombe sur la poitrine semblent être pendus à l'air."

dimanche 1 mars 2020

Greguería n°307

" A la mujer que araña, se la matan, y después se la cortan las uñas."
" La femme qui griffe, on la tue, et après on lui coupe les ongles."

jeudi 27 février 2020

Greguería n°306

" Las ostras son de rústica peña por fuera, pero por dentro son de la más fina porcelana.''
" À l'extérieur, les huîtres sont de rudes rochers mais à l'intérieur elles sont la porcelaine la plus délicate."

mercredi 26 février 2020

Greguería n°305

" El fracaso se debe a que el mundo se renueva incesantemente y hemos llegado tarde."
" L'échec est dû à ce que le monde se renouvelle sans cesse et que nous sommes arrivés tard."

mardi 25 février 2020

Greguería n°304

" En Carnaval los tuertos tienen los dos ojos... Por eso es un gran día de fiesta para ellos. "
" À Carnaval, les borgnes ont les deux yeux... Aussi est-ce un grand jour de fête pour eux."

Commentaires

1. Le mardi 25 février 2020, 13:49 par gerardgrig
Ramón nous livre une conception utopique du carnaval, qui rachèterait tout pour tout le monde. Dans un carnaval, il y a des fautes contre la logique, la vraisemblance ou le goût, qui ne passent pas. Dans les Pieds Nickelés de Pellos, les trois compères doivent se déguiser, et ils échangent des vacheries sur le déguisement improbable qu'aurait chacun. À Filochard le borgne, on lui dit qu'il serait mal venu qu'il se déguise en Godefroi de Bouillon, parce qu'un bouillon qui n'aurait qu'un oeil serait une faute culinaire.
On pourrait aussi dire que ce genre de remarque attire le mauvais œil.
2. Le jeudi 19 mars 2020, 08:54 par Philalèthe
Ce généreux Carnaval peut être vu aussi comme l'allégorie du maquillage de nos stigmates.

lundi 24 février 2020

Greguería n°303

" Dad a los hombres que además de pobres son borrachos, limosna para que se emborrachen, porque es ese el mejor dinero de caridad que se les puede dar...¿ Se comprende lo que sería vivir ochenta años, victima de la desigualidad, hijo de la caridad, sosteniendo la salud y un espiritu claro y evidente ? Que mueran jóvenes y alcoholizados, que tenga alguna exaltación su vida de camino a la muerte."
À la différence des précédentes greguerías, extraites de Total de greguerías (1962), celle-ci est publiée en 1922 (Greguerías selectas, Casa Editorial Calleja, Madrid, p. XXXIV). Entre ces ces deux éditions (il y en eut bien d'autres entre-temps), il y a une différence manifeste : dans le premier ouvrage, les greguerías peuvent couvrir plusieurs pages, comme celle sur les jambes des femmes (p. 79 à 86). En revanche, toutes celles du dernier recueil de greguerías du vivant de Ramón sont très courtes et c'est sous la forme brève qu'elles sont passées à la postérité.
" Aux hommes qui en plus d'être pauvres sont des ivrognes, donnez l'aumône pour qu'ils s'enivrent, parce qu'en argent c'est la meilleure offrande qu'on peut leur donner... Ne comprend-on pas ce que serait vivre quatre-vingts ans pauvre, victime de l'inégalité, rejeton de la charité, en essayant de garder la santé et un esprit clair et lucide ? Qu'ils meurent jeunes et ivres, que la vie qui les conduit à la mort ait quelque exaltation ! "

Commentaires

1. Le lundi 24 février 2020, 22:17 par gerardgrig
Ramón s'essaie à la provocation et au paradoxe en ce qui concerne la pauvreté. Il y a eu le "Salauds de pauvres !" de Marcel Aymé et le "Assommons les pauvres !" de Baudelaire. Là, nous avons droit à une vie d'esthète, que l'on brûle par les deux bouts, pour mourir jeune et faire un beau cadavre. Il vaut mieux rêver avec Ramón, car dans les faits tout revient au même. Avec une vie de mendiant clochard, on ne va pas jusqu'à quatre-vingts sans ! Il y a aussi une forme de fraternisation anarchiste du bohème madrilène, qui bamboche sans souci du lendemain, avec le clochard à qui il souhaiterait d'avoir le même sort que lui.
2. Le jeudi 19 mars 2020, 08:59 par Philalèthe
Droguez ceux que vous ne pouvez pas soigner !

dimanche 23 février 2020

Greguería n° 302

" Si te conoces demasiado a ti mismo, dejarás de saludarte."
" Si tu te te connais trop, tu cesseras de te saluer. "

vendredi 21 février 2020

Greguería n°301

" El rey cree que su calavera es de marfil y ningún cortesano se atreve a pronunciar la palabra " hueso "."
" Le roi croit que son crâne est en marbre et aucun courtisan n'ose prononcer le mot " os "."

Commentaires

1. Le vendredi 21 février 2020, 14:22 par gerardgrig
Ramón semble rendre hommage à "L'homme de cour" de Gracián. On pense aussi surtout aux "Habits neufs de l'empereur" d'Andersen, qui affirmait d'ailleurs que son conte avait des origines espagnoles. Il y a sans doute encore un tropisme espagnoliste dans cette gregueria. Néanmoins, dans le domaine cognitif, les médecins ont découvert un syndrome des habits de l'empereur. On ne sait pas si le courtisan agit par égoïsme, ou s'il y a chez lui un défaut de morale épistémique.
2. Le vendredi 21 février 2020, 22:26 par Philalèthe
Je l'ai choisie pour sa dimension presque universelle !

jeudi 20 février 2020

Greguería n°300

" Entierro : ruido de caballos con zapatos nuevos."
" Enterrement : bruit de chevaux et chaussures neuves."

mercredi 19 février 2020

Greguería n°299

" Aligerad la pesadumbre de la muerte. Decid al saber la muerte de un amigo : " Otro que se ha ido al colegio en el que volveremos a ser condiscípulos."
" Allégez le fardeau de la mort. Quand vous apprenez la mort d'un ami, dites : " Encore un qui est allé à l'école où nous serons de nouveau condisciples."

lundi 17 février 2020

Greguería n°298

" Maquina de tren filosófica : esa que se pasea sola por las vias marginales."
" Locomotive philosophique : elle déambule, sans wagons, le long des voies secondaires."

La science, les illusions et les raisons d'agir.

Dans Recherche d'une église (1934), Jules Romains met dans la bouche du normalien Jallez les réflexions suivantes :
" (...) Pour faire n'importe quelle chose, il faut y attacher un minimum d'importance. Napoléon croyait qu'il était très important de dominer l' Europe. Hugo croyait qu'il était très important que son nom fût répété dans trois mille ans. Le croyaient-ils, oui ou non ? Hein ? Il me semble que ça ne fait pas de doute. C'est parce qu'ils croyaient très fort qu'ils ont dépensé une si prodigieuse énergie. Or tu n'as qu'à écrire sur le passé, à côté des chiffres qui mesurent l'ambition de Napoléon et celle de Hugo, deux ou trois mesures astronomiques. Ça suffit. Dès qu'on ne croit plus à l'importance des buts, il ne reste plus qu'un ressort pour agir : le besoin d'oublier notre néant, comme dit Pascal, ou si tu préfères un dilettantisme désespéré. Tu me diras aussi le simple plaisir d'agir, sans réfléchir plus loin ? Peut-être. Mais je doute qu'on puisse agir aussi longtemps sans se faire des réflexions qui équivalent à : " Mon but est important. Aujourd'hui où je me sens fatigué, je vais tout de même donner un coup de collier, parce que ça en vaut la peine." À ce moment-là, si ta pensée a pris la mauvaise habitude de te rappeler à l'oreille l'âge moyen des étoiles rouges, tu es fichu ; je veux dire que tu te mets à fumer des cigarettes dans ton fauteuil. Et le plus grave, c'est que tu n'as aucun sentiment d'infériorité, ah ! mais non ! Personne ne réussira à t'intimider en te disant : " Regardez les autres. Est-ce qu'ils sont assez bêtes pour s'occuper de l'âge des étoiles rouges ? Ils en ont entendu parler comme vous. Vous n'êtes pas le seul à avoir passé votre dernière partie de baccalauréat. Mais eux, ça ne les a pas troublés." Exactement comme si tu étais mouton de boucherie, dans un wagon de la Vilette, mais mouton clairvoyant, et qu'on te dise : " Quoi ! Vous êtes tout triste parce que vous pensez qu'on vous abattra cet après-midi ? Quelle drôle d'idée de se tourmenter d'avance ! Regardez vos copains, ça ne les trouble pas..." Tu n'as pas passé par une période comme ça ?
Jerphagnion ne répondit pas tout de suite. Ses paupières battaient. Puis il dit :
- ... J'ai pensé ces choses-là, naturellement. Mais pas au point d'en être affecté. Et maintenant je me demande pourquoi. On est bien forcé d'avouer que si on se met en face de ces pensées-là, et qu'on les laisse agir sur soi, on doit réagir comme tu as fait. Le seul moyen d'y échapper, c'est de ne pas rester en face. Oui, il faut ou les ignorer à fond, comme le bougnat du coin, ou les recueillir distraitement, comme un écolier apprend la liste des sous-préfectures... Alors quoi ? Suis-je léger, moi aussi ? Suis-je de ces types dont nous parlions un jour, dont tu parlais plutôt, sur qui les idées glissent ? Évidemment, il faut vivre et on s'habitue à tout. Je pense à l' astronome de l'Observatoire qui, en ce moment-ci, l'œil à son équatorial, est en train de se ronger le foie, parce que son collègue vient d'avoir, à sa place, une promotion de deux cents francs. Celui-là est vacciné contre l'infini... Mais, moi, je n'ai pas l'excuse de l'être... Oh ! je sais bien qu'il y a une noble réponse.
- Laquelle ?
- Celle de Pascal, justement... que la véritable grandeur est de l'ordre immatériel, donc résiste à tous les écrasements par comparaison. Qu'un beau vers, ou qu'un trait d'héroïsme est quelque chose d'incommensurable au volume des nébuleuses ou à l'âge des étoiles rouges.
- Oui, mais retire de l'ambition de Napoléon la croyance que la surface de l'Europe est quelque chose d'important. Dès qu'on ne croit plus qu'aux grandeurs immatérielles, honnêtement, sans tricher, est-ce qu'on travaille encore beaucoup ? Est-ce qu' on " en met " comme ceux qui croient aussi aux matérielles ? On accepte de se distraire, peut-être, mais est-ce qu'on " produit " ? Tu vois le sens que je donne au mot ? Je le prends dans ce qu'il comporte d'abondant, de courageux, de tenace. Produire : couvrir un morceau d'espace autour de soi avec des choses solides, qui ne sont pas là pour vous divertir seulement, mais pour valoir par elles-mêmes, et pour durer. Ce qui exige un effort très dur, à continuer même les jours où l'on a la flemme, ce qui suppose surtout des compromissions avec la matière, et l'idée que les temps, les espaces terrestres ne sont pas négligeables. Si on les tient pour négligeables, on écrira peut-être un court poème mystérieux. Ou quelques maximes. On fignolera une statuette d' ivoire. Ou bien l'on participera d'un œil désabusé à des conférences de diplomates, en prenant plaisir à brouiller les cartes, à compliquer les parties. Mais on ne bâtira pas l'Acropole. On ne fera pas La Légende des Siècles. On ne fondera pas un empire." (Les hommes de bonne volonté, Robert Laffont, 1988, p. 1095-1096)

dimanche 16 février 2020

Hypothèse assassine.

Dans Les vices du savoir (2019), Pascal Engel analyse la foutaise, en anglais bullshit et pose cette question :
" La philosophie française postmoderne est-elle du bullshit ? " (Agone, p.389)
L'auteur ne répond pas explicitement, cependant une note associée à la question met dans la bouche d'un autre philosophe une réponse particulièrement cruelle :
" G. A. Cohen inclut parmi les discours de foutaise typique celui des intellectuels français et soutient que la raison pour laquelle il y en a tant en France vient du fait qu'on y enseigne la philosophie au lycée."
La cruauté de la thèse de Cohen, qu'on peut au moins reprendre comme hypothèse, est facile à identifier : les professeurs de philosophie au lycée défendent souvent (mais y croient-ils vraiment ?) leur enseignement comme une exception française d'un prix inestimable. En effet une de ses finalités est d'armer l'élève intellectuellement en lui donnant et la capacité d'argumenter rationnellement et celle de repérer et de combattre les opinions, les idéologies en nourrissant son esprit critique. On peut même alors aller jusqu'à penser que la philosophie arme le citoyen contre les abus et l'emprise des pouvoirs politique, médiatique etc.
La thèse de Cohen, très iconoclaste, attristante aussi pour qui a consacré sa vie à un tel enseignement, affirme que, loin de minimiser le bullshit, l'enseignement de la philosophie en Terminale le maximiserait. Parlerait à l'appui de la position de Cohen le fait que l'institution scolaire, ayant l'ambition de produire en 9 mois, des centaines de milliers de petits philosophes, doit bien en persuader à tort quelques milliers qu'ils en sont. Il est vrai aussi que les meilleures copies de philosophie écrites par des élèves de Terminale n'ont rien de la foutaise et peuvent aller jusqu'à impressionner par leur valeur le correcteur, même expérimenté. Ce sont ces élèves et ces copies qui permettent aux professeurs de philosophie en Terminale de continuer à croire, malgré la difficulté de cet enseignement, dans la valeur de leur métier. Certes, de telles copies sont rares et beaucoup de dissertations entrent dans la catégorie du sous-bullshit, si on me permet l'expression, la raison en étant qu'elles n'ont pas un niveau de français suffisant, pour avoir l'effet engageant et séducteur de la foutaise, effet sans lequel on chercherait sans doute moins à l'analyser et à la neutraliser, comme on le fait d'un sophisme ravageur.
Cela dit, même si Cohen a raison, la condition de la foutaise française qu'il met en relief, ne suffit sans doute pas à expliquer ce qu'il dénonce. Dans cette logique, il faudrait identifier aussi et entre autres deux facteurs post-bac : d'une part, des enseignements visant le développement de la rationalité dans le domaine des idées mais et n'atteignant leur but que pour une minorité (alors classes prépas, Universités, grandes écoles pourraient avoir leur part dans cette malheureuse responsabilité) et d'autre part des enseignements visant explicitement la production de bullshit (à chacun ici de faire sa liste). Rendons d'ailleurs ici justice à Pascal Engel qui, loin de se centrer sur le lycée, aide son lecteur à évaluer sans indulgence et l' Université et le journalisme.
En tout cas, Platon dans la République avait clairement affirmé que l'enseignement de la philosophie à de jeunes esprits court le risque de produire le contraire de ce qu'il vise : non l'acquisition d'une pensée rationnelle mais le renforcement par la sophistication de la pensée irrationnelle.

Commentaires

1. Le lundi 17 février 2020, 11:55 par angela cleps
Notre ami Pascal Engel a souvent cité ce propos de Jerry Cohen,
et s'en est distancé. Il notait entre autre que les anglophones produisent, malgré un enseignement de la philo uniquement à l'université, autant de bullshit que les français, et même bien plus
car leur masse est plus grande.
voir son article " un bilan de la philosophie analytique en France"
publié dans les Actes du colloque La normativité , presses de l'U.
de CAen 2001. et sur divers sites de l'auteur.

Mais si l'on interprète charitablement Cohen, il ne dit pas que la philo médiatique est causée par l'enseignement de la philo au lycée. Il dit que le fait que tout le monde croit avoir accès à la philo du moment qu'elle est une matière du curriculum renforce l'emprise des media. Et là il n'a pas tort. Car les media ont pris
le pouvoir partout, y compris sur l'enseignement de la philosophie.
2. Le mardi 18 février 2020, 17:51 par Philalèthe
Merci pour ces précisions.
Avant ou après le bac, l'enseignement de la philosophie, qu'il soit analytique ou continental, génère peut-être de la foutaise. Mais est-ce évitable ? Certes l'enseignement des maths n'engendre pas des pseudo-mathématiciens car la frontière y est nette entre l'objectif et le subjectif mais dans les arts, en philo, voire dans les sciences humaines, c'est problématique de trouver les critères permettant de distinguer faire correctement de ne pas faire correctement ! Or, même si le bullshiter ne croit pas faire de la philo par exemple, son succès a comme condition que son public croie qu'il en fait correctement.
3. Le mercredi 19 février 2020, 13:17 par gerardgrig
Puisque je reprends des études à l'Université, dans un bain très idéaliste (Poitiers), je demande la permission d'user à titre provisionnel d'un "bullshit empirico-transcendantal". L'inconvénient de la notion de foutaise, c'est qu'elle est trop large et qu'elle risque de s'inclure elle-même. Faut-il brûler les derniers métaphysiciens ? Karl Popper affirmait que la science a toujours besoin de la métaphysique, et que les erreurs de celle-ci sont constructives.
4. Le mercredi 19 février 2020, 13:32 par Philalèthe
Mais, cher Gérard Grig, la foutaise n'est pas nécessairement métaphysique et la métaphysique pas nécessairement foutaise ! Je ne crois pas non plus qu'il suffit de formuler des hypothèses infalsifiables au sens poppérien pour être un bullshiter et on doit même pouvoir être un bullshiter tout en formulant des énoncés falsifiables.

vendredi 14 février 2020

Greguería n° 297

" En Hollywood hay una ley por la cual si en un film la mujer da una bofetada a un hombre, en otro tiene que ser el hombre el que dé la bofetada a la mujer."
" À Hollywood il y a une loi selon laquelle si dans un film une femme gifle un homme, dans un autre film l'homme doit gifler la femme."

Commentaires

1. Le vendredi 14 février 2020, 16:30 par gerardgrig
Ramón découvre une forme de loi des compensations dans le cinéma d'Hollywood, qui est le reflet de la société américaine. Il y aurait peut-être un désir de faire justice dans la guerre des sexes. À la même époque, dans le cinéma français, les baffes pleuvaient sur les dames, comme dans "Touchez pas au grisbi". Dans la mentalité française, il y a peut-être aussi cette recherche d'équilibre, mais en compensant une légendaire courtoisie par l'idée bizarre qu'en majorité les femmes giflées l'ont cherché, parce que dans le fond, tout le monde mérite ce qui lui arrive.
2. Le jeudi 19 mars 2020, 09:01 par Philalèthe
Moins compensation que revanche de l'homme, la greguería ne devant pas être lue à l'envers.

jeudi 13 février 2020

Greguería n°296

" Queria saber el tipo de sangre de las morcillas, por si era o no el que le correspondía."
" Il voulait connaître le groupe sanguin du boudin, pour savoir s' il était ou non compatible avec le sien."

mercredi 12 février 2020

Greguería n° 295

" Los árboles con un agujero en el tronco son como caballos de los toros a los que clavó un cuerno un toro extraviado."
" Les arbres avec un trou dans le tronc sont comme des chevaux de corrida dans lesquels un taureau égaré a enfoncé une corne."