Dans Pour et contre l'existentialisme (1948), Julien Benda est contre l'existentialisme. Il en fait la genèse en ces termes :
" Quels sont, dans l'histoire de la philosophie, les ancêtres de cette position ?
On peut admettre que les premiers croisés de la vie contre la pensée - les premiers "pragmatistes - ont été les Sophistes, lorsqu'ils se faisaient signifier par Socrate qu' avec leur poursuite de la domination par tous les moyens - leur "volonté de puissance" dirait-on de nos jours - ils enseignaient le primat de la sensation - du "se sentir", pour parler avec Saint-Simon - cependant que leur agent de publicité, Aristophane, appelait les exercices de pensée désintéressée, auxquels se livrait leur adversaire, des "nuées" (note : mot repris il y a cinquante ans par les pragmatistes d' Action française contre d'autres idéalistes). Cet assaut de la vie contre la pensée, lancé par les compagnons de Calliclès, continue d'être mené, bien qu'avec moins d'éclat, par ceux qu'on a appelés, non sans quelque arbitraire, les Socratiques ; par les Mégariques, qui repoussent tout ce qui est concept, jugement, prétention scientifique, au nom d'une attitude purement pratique ; par les Cyrénaïques, qui ne veulent savoir que le plaisir ou la peine perçus immédiatement, hors de tout concomitant intellectuel, sentis comme "mouvement facile" ou "mouvement rude" ; surtout par les Cyniques, avec en plus, comme chez les Sophistes, l'exaltation de la domination, à quoi s'ajoute - trait qui apparaît avec eux et sera repris par maint pragmatisme moderne, éminemment par les existentialistes - l'affirmation que le rejet de tout dictat, soit de l'intelligence, soit de la morale, constitue la vraie liberté. On croit entendre une farouche Sartrien quand on les voit soutenir que "la vertu est dans les actes, qu'elle n'a que faire des discours" et d' adopter comme modèle Hercule, "type de la volonté indéfectible et de l'entière liberté" (note : même mépris du discours au nom de l'acte chez Pyrrhon. Cf. Emile Bréhier, Histoire de la philosophie, t. I, 2ème partie, pp. 263-283). On peut dire qu'avec ces écoles la protestation de la vie contre la pensée disparaît, du moins de la philosophie qui occupe la scène, et que celle-ci, sous l'empire désormais unique du vainqueur des Sophistes et de ses deux grand disciples, ne va plus donner le spectacle pendant vingt siècles que de la valorisation de la pensée par opposition à la vie, éminemment à la vie pratique".
On peut admettre que les premiers croisés de la vie contre la pensée - les premiers "pragmatistes - ont été les Sophistes, lorsqu'ils se faisaient signifier par Socrate qu' avec leur poursuite de la domination par tous les moyens - leur "volonté de puissance" dirait-on de nos jours - ils enseignaient le primat de la sensation - du "se sentir", pour parler avec Saint-Simon - cependant que leur agent de publicité, Aristophane, appelait les exercices de pensée désintéressée, auxquels se livrait leur adversaire, des "nuées" (note : mot repris il y a cinquante ans par les pragmatistes d' Action française contre d'autres idéalistes). Cet assaut de la vie contre la pensée, lancé par les compagnons de Calliclès, continue d'être mené, bien qu'avec moins d'éclat, par ceux qu'on a appelés, non sans quelque arbitraire, les Socratiques ; par les Mégariques, qui repoussent tout ce qui est concept, jugement, prétention scientifique, au nom d'une attitude purement pratique ; par les Cyrénaïques, qui ne veulent savoir que le plaisir ou la peine perçus immédiatement, hors de tout concomitant intellectuel, sentis comme "mouvement facile" ou "mouvement rude" ; surtout par les Cyniques, avec en plus, comme chez les Sophistes, l'exaltation de la domination, à quoi s'ajoute - trait qui apparaît avec eux et sera repris par maint pragmatisme moderne, éminemment par les existentialistes - l'affirmation que le rejet de tout dictat, soit de l'intelligence, soit de la morale, constitue la vraie liberté. On croit entendre une farouche Sartrien quand on les voit soutenir que "la vertu est dans les actes, qu'elle n'a que faire des discours" et d' adopter comme modèle Hercule, "type de la volonté indéfectible et de l'entière liberté" (note : même mépris du discours au nom de l'acte chez Pyrrhon. Cf. Emile Bréhier, Histoire de la philosophie, t. I, 2ème partie, pp. 263-283). On peut dire qu'avec ces écoles la protestation de la vie contre la pensée disparaît, du moins de la philosophie qui occupe la scène, et que celle-ci, sous l'empire désormais unique du vainqueur des Sophistes et de ses deux grand disciples, ne va plus donner le spectacle pendant vingt siècles que de la valorisation de la pensée par opposition à la vie, éminemment à la vie pratique".
Julien Benda présente alors les philosophes qui ont mis la pensée au-dessus de la vie : Socrate, Platon, Aristote, Sénèque, Plotin, Saint-Augustin, les Scolastiques, Descartes, Pascal, Spinoza, Kant. Puis il reprend :
" La révolte de la vie contre la pensée reparaît au jour, encore que peu puissante, au XVIIe siècle, avec une école anticartésienne qui nie que la pensée soit le signe de la vie et proteste (Gassendi) que le chien est parfaitement fondé à s'écrier : "J'aboie donc je suis". Elle éclate, mais triomphante cette fois, et s'emparant de la scène philosophique, dont elle va chasser presque entièrement l'ennemi, avec les esthéticiens allemands de la fin du XVIIIème, les Lessing, les Schlegel, les Herder, les Humboldt, et leur anathème sur le caractère intellectuel de la littérature française (note : déjà en Allemagne, terre apparemment d'élection pour ce genre de philosophie, avec la théologie de maître Eckart et son exaltation des régions de l'âme actives et inintellectuelles ; avec le luthéranisme et sa religion de la "vie" contre l'ascétisme catholique) ; avec leurs héritiers, les Fichte, les Schelling, les Görres et leur haro sur le rationalisme de la Révolution ; on peut dire avec le romantisme français, qui veut être la vie, non une idée de la vie, qu' était le classicisme ; avec le bergsonisme et son apologie de la "durée", pure "poussée vitale", purgée des moeurs de la pensée, en tant que celle-ci est une chaîne de concepts, notamment sur la vie. Elle se poursuit, accompagnée d'un cri de guerre formel contre tout frein, intellectuel et moral, à l'expansion du moi, individuel ou collectif, dans la Volonté de puissance de Nietzsche, l 'Unique et sa Propriété de Stirner, le dynamisme illimité du national-socialisme auxquels on peut s'adjoindre, compte tenu du peu de truculence inhérent au tempérament latin, les sorties du premier Barrès, puis d'André Gide, , contre toute contrainte sociale. Elle s'affirme aujourd'hui dans l'existentialisme. Telle nous semble la tradition dont relève - nous ne disons pas se réclame - la philosophie présentement en vogue."
À supposer qu'on prenne cette hardie mise en perspective comme cadre indiscutable, on voit bien de quel côté il faudrait ranger la philosophie analytique. Remarque : qui aurait l'idée aujourd'hui d'inclure le nazisme dans une histoire de la philosophie ?
Commentaires
Comme vous voulez (je ne sais pas trop pourquoi nous ne correspondons plus)
Quand avons-nous correspondu ? Écrivez-moi en privé, si vous voulez