Il est courant de rapprocher l'éthique implicite de Wittgenstein du stoïcisme. Ainsi, parmi d'autres, Mathieu Marion dans son Introduction au Tractatus logico-philosophicus (Puf 2004), après avoir exclu la possibilité d'un rapprochement autant avec une éthique formelle (Kant) qu'avec une éthique conséquentialiste, écrit:
" La position de Wittgenstein, qui s'apparente au stoïcisme, a été très bien résumée par son ami Paul Engelmann:
" Si je suis malheureux et que je sais que ce malheur reflète un décalage marqué entre moi-même et la vie telle qu'elle est, je n'ai rien résolu; je serais égaré et ne retrouverais jamais mon chemin hors du chaos de mes émotions et de mes pensées tant que je n'aurais pas atteint la vision suprême de ce décalage comme n'étant pas la faute de la vie telle qu'elle mais de moi-même tel que je suis." (p.119)
" Si je suis malheureux et que je sais que ce malheur reflète un décalage marqué entre moi-même et la vie telle qu'elle est, je n'ai rien résolu; je serais égaré et ne retrouverais jamais mon chemin hors du chaos de mes émotions et de mes pensées tant que je n'aurais pas atteint la vision suprême de ce décalage comme n'étant pas la faute de la vie telle qu'elle mais de moi-même tel que je suis." (p.119)
Ce passage de M. Marion n'est qu'un prétexte à ma réflexion et n'est en aucune manière une critique des pages qu'il consacre à "l'éthique" wittgensteinienne. En effet je souhaite juste souligner l'immense différence qui sépare le stoïcisme de cette manière de voir wittgensteinienne.
En effet si les Stoïciens s'efforcent de vouloir le monde tel qu'il est, c'est qu'ils ont des croyances métaphysiques qui identifient le monde à un système rationnel. L'effort psychologique de transformation de soi repose aussi sur la certitude que le monde en tant que système rationnel est accessible à la raison humaine.
Or, le Tractatus d'une part ne reconnaît pas d'autre nécessité que la nécessité logique (en revanche la nécessité physique est un élément-clé du stoïcisme et justifie par exemple la divination), d'autre part détache radicalement le monde en tant qu'ensemble de tous les faits de toute valeur. La pensée ne peut que se faire une image de faits sans nécessité ni valeur.
Dans ces conditions, l'éthique est complètement privée des fondements métaphysiques et des justifications épistémologiques qui dans le système stoïcien la soutiennent.
On peut faire l'hypothèse que le texte religieux, précisément les Evangiles, à travers entre autres la lecture qu'en a faite Tolstoï, a tenu lieu psychologiquement s'entend de métaphysique pour l'homme Wittgenstein en tant qu'il s'est efforcé dans sa vie de vivre stoïquement. Je précise que Wittgenstein n'a jamais identifié le texte religieux à une super-science (il dénonce précisément cela sous le nom de superstition) mais à quelque chose comme un appel à vivre avec d'autres d'une certaine manière, appel qui ne peut être en aucune cas contesté par la connaissance du réel ni par des éthiques prétendument fondées sur la raison.
Reste quand même un problème psychologique: le texte religieux, révisé ainsi à la baisse, peut-il motiver des efforts ?
En effet si les Stoïciens s'efforcent de vouloir le monde tel qu'il est, c'est qu'ils ont des croyances métaphysiques qui identifient le monde à un système rationnel. L'effort psychologique de transformation de soi repose aussi sur la certitude que le monde en tant que système rationnel est accessible à la raison humaine.
Or, le Tractatus d'une part ne reconnaît pas d'autre nécessité que la nécessité logique (en revanche la nécessité physique est un élément-clé du stoïcisme et justifie par exemple la divination), d'autre part détache radicalement le monde en tant qu'ensemble de tous les faits de toute valeur. La pensée ne peut que se faire une image de faits sans nécessité ni valeur.
Dans ces conditions, l'éthique est complètement privée des fondements métaphysiques et des justifications épistémologiques qui dans le système stoïcien la soutiennent.
On peut faire l'hypothèse que le texte religieux, précisément les Evangiles, à travers entre autres la lecture qu'en a faite Tolstoï, a tenu lieu psychologiquement s'entend de métaphysique pour l'homme Wittgenstein en tant qu'il s'est efforcé dans sa vie de vivre stoïquement. Je précise que Wittgenstein n'a jamais identifié le texte religieux à une super-science (il dénonce précisément cela sous le nom de superstition) mais à quelque chose comme un appel à vivre avec d'autres d'une certaine manière, appel qui ne peut être en aucune cas contesté par la connaissance du réel ni par des éthiques prétendument fondées sur la raison.
Reste quand même un problème psychologique: le texte religieux, révisé ainsi à la baisse, peut-il motiver des efforts ?
Commentaires
Reste quand même un problème psychologique: le texte religieux, révisé ainsi à la baisse, peut-il motiver des efforts ?
Ta question suppose qu'il est difficile d'utiliser un texte religieux sans croire _d'abord_ en l'existence de Dieu. Mais pour Wittgenstein, il n'est pas plus nécessaire de croire en Dieu pour ensuite vivre selon des préceptes évangéliques, qu'il n'est requis pour un enfant de croire en l'existence des livres, des sièges, avant de les utiliser. Cf "De la certitude", 476.
- Comment savons-nous que les croyants n'utilisent pas, par exemple les récits évangéliques, de cette façon, les diverses tentatives "rationalisantes" d'élever la religion au statut de super-science n'arrivant _qu'après coup_ ?
Cf les "Remarques mêlées", p. 43, TER, trad. Gérard Granel :
"Le christianisme ne se fonde pas sur une vérité historique, il nous donne un récit (historique), et dit : maintenant crois ! Non pas : accorde à ce récit la foi qui convient à un récit historique, mais : crois quoi qu'il arrive, _ce qui ne peut être que le résultat d'une vie_ (c'est moi qui souligne !). Tu as là un récit - Ne te comporte envers lui comme envers les autres récits historiques ! Donne-lui une place toute autre dans ta vie. - Il n'y a rien là de paradoxal !"
Cf "De la certitude", 477 : (...) "Pourquoi le jeu de langage devrait-il reposer sur un savoir ?"