mercredi 21 octobre 2009

Socrate vu par Sénèque (5): se relâcher sans pour autant pouvoir donner prise aux critiques des ennemis.

Chaque fois que Sénèque met Socrate sur le même plan que Caton ou Scipion, c'est en vue de souligner leur caractère moral exceptionnel (cf Consolation à MarciaXXII 2, De la providence III 4, De la tranquillité de l'âme XIV 1, Lettres à Lucilius 67 7, 98 12 ). J'ai cependant déjà relevé que leur résistance n'est pas à toute épreuve (plus exactement tous les coups durs sont préférables à la pression exercée par une foule). Reste que cette réserve faite par Sénèque se fait encore dans le cadre d'une réflexion sur la moralité de ces hommes.
Or, dans un seul passage de son oeuvre, précisément dans les dernières lignes de la Tranquillité de l'âme XVII 2, Sénèque envisage ces trois hommes sous un autre jour, même si cela revient encore à mettre en relief leur dimension humaine. En vue d'illustrer la thèse qu' "il n'est pas bon d'avoir toujours l'esprit également tendu (et) qu'il faut savoir le divertir", Sénèque écrit:
" Socrate ne rougissait pas de s'amuser avec de petits enfants (cum puerilis Socrates ludere non erubescebat) , Caton buvait pour se relâcher des fatigues de la vie publique, Scipion mouvait en cadence son corps de triomphateur, non pas avec ces déhanchements qui sont à la mode aujourd'hui et qui donnent à la marche même un alanguissement plus que féminin, mais à la façon de nos grands ancêtres, qui savaient, aux jours de réjouissance et de fête, danser avec virilité, sans que leur prestige risquât d'en souffrir, même s'ils avaient eu pour témoins les ennemis qu'ils combattaient." (éd. Veyne p.369)
L'opposition que fait Sénèque concernant deux danses possibles, la danse masculine et la danse féminine, n'est-elle pas applicable au jeu avec les enfants et à la consommation du vin ? Si Socrate ne rougit pas de s'amuser avec les petits enfants, c'est qu'il y joue de manière telle que l'amusement n'a rien de rabaissant pour lui. C'est un élément de l'éthique stoïcienne qui est présenté ici: peut-on dire qu'il s'agit de ne jamais être pris, absorbé par ce que l'on fait dans l'instant ? Il faut continuellement mettre ce que l'on vit momentanément en perspective et en conformité avec l'unité raisonnable que l'on doit donner à sa vie. Il y a peut-être quelque chose de l'art du comédien, qui joue mal s'il n' adapte pas son jeu présent au caractère global du personnage qu'il incarne. À la différence que le stoïcien n'a qu'un rôle, celui qui correspond au temps de sa vie. Mais comme le comédien, il ne l'a pas écrit; comme lui, il est seulement responsable de la qualité du jeu.
Le divertissement a donc une fonction compensatrice (permettre de supporter la tension requise par la vie raisonnable) mais on ne doit pas le penser sur le modèle du "défoulement". La retenue reste de mise y compris quand on se relâche. Dit autrement, le comédien ne fait jamais de pauses, il ne cesse de jouer, sauf que dans le jeu doivent être incluses des scènes de recréation en vue d'être en mesure de tenir le rôle dans les scènes difficiles.
Cette division de la vie en deux temps est inconcevable dans l'épicurisme. Certes les épicuriens peuvent se divertir mais, la référence à la tension n'étant plus pertinente, toutes les actions requièrent le même degré minimal de mobilisation, celui qu'il est indispensable d'avoir pour être réceptif aux seuls besoins de la nature en nous.

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