Appauvrissement nº2 : il est un peu plus difficile à comprendre, même s’il ne faut guère de mots à Diogène Laërce pour présenter l’hérésie aristonéenne :
« Il a dit que la fin était de vivre dans l’indifférence à l’égard de ce qui est intermédiaire entre la vertu et le vice, sans faire quelque distinction que ce soit entre les choses, mais en se comportant de façon égale envers toutes. » (VII, 160)
Est en jeu la conception des « indifférents », conception qui constitue un élément de l’éthique stoïcienne. En effet « indifférent » est quelque chose qui n’est ni absolument bien ni absolument mal, étant claire et jamais contestée l’idée que le Bien est la vertu et le Mal le vice. Pour analyser le concept d’ « indifférent », il faut en distinguer de deux sortes :
A) Les « indifférents » qui n’éveillent spontanément ni répulsion ni attraction comme par exemple « avoir sur la tête un nombre pair ou impair de cheveux, tendre le doigt ou le plier » (VII, 104). C’est un état du corps ou de l’esprit ou du monde extérieur qui est totalement neutre du point de vue des désirs du sujet et de ses craintes. Par rapport à ces « indifférents », le stoïcien, comme tout un chacun, est indifférent. Mais il n’en va pas de même avec les autres « indifférents »
B) Ces derniers éveillent spontanément répulsion ou attraction. Pour les identifier, il faut à nouveau opérer une distinction entre ceux qui sont relatifs a) à l’âme b) au corps c) aux choses extérieures, c'est-à-dire a)le talent naturel, les dispositions artistiques, la capacité de progresser ou leur absence b)« la vie, la santé, la vigueur, la robustesse, l’habileté, la beauté » ou « la mort, la maladie, la faiblesse, la mauvaise condition physique, l’infirmité, la laideur » (VII, 106) c)« la richesse, la réputation, la bonne naissance » ou « la pauvreté, le manque de considération sociale, la mauvaise naissance » (ibid.) Conformément à l’attitude ordinaire, la doctrine stoïcienne va déterminer parmi ces « indifférents » ceux qui sont préférables et ceux qui sont rejetables (inutile, je crois, d’établir une nouvelle liste !) mais, à la différence de la position la plus commune, le stoïcisme va défendre « qu’il est possible d’être heureux sans ces choses »(VII, 104). Pas besoin en effet d’être beau, riche et en bonne santé pour être vertueux et par là même heureux. En revanche ces « préférables » peuvent « servir au bonheur » : ils ont pour cela de la valeur, soit parce qu’ils facilitent la vie vertueuse, comme la richesse, la bonne naissance, la santé (cela va de soi qu’ils peuvent aussi servir au malheur si par exemple la richesse n’est pas attribuée à un stoïcien mais à un homme déraisonnable), soit parce qu’ils ont du prix pour eux-mêmes, comme le talent naturel, la capacité de progresser, les dispositions artistiques. Certains indifférents ont une double valeur : précieux par eux-mêmes et utiles pour bien se conduire, comme la force, la sensibilité, l’habileté. Au fond, ce que fait le stoïcisme, c’est seulement relativiser la valeur des biens communément reçus pour être des conditions nécessaires du bonheur. L’hérésie d’Ariston consiste finalement à annuler totalement leur valeur : c’est en somme sur ce plan un cynique car il rejoint ainsi leur ascétisme et leurs travaux herculéens.