" Cuando levantamos los brazos en el desperezo es que nos entregamos al destino que nos apunta."
" Quand nous levons les bras en nous étirant, c'est que nous nous livrons au destin qui nous vise."
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1. Le mercredi 30 octobre 2019, 15:12 par gerardgrig
On sait au moins que d'un certain point de vue Ramón n'était pas stoïcien. L'enchaînement des causes et des conséquences, appelé le Destin, n'est pas compatible avec la superstition envahissante des gestes quotidiens.
Cette greguería est à première vue étrange par le fait de comparer une attitude nonchalante de détente et de confiance à une posture tendue de peur et de défense, peut-être comme si les manifestations du bien-être appelaient sur soi des causes de malheur (d'où votre référence peut-être à la supersitition). Mais on peut aussi lire la greguería comme une manière confiante et exceptionnelle de se donner à un destin dont on sait qu'il nous vise toujours. Lue ainsi, la greguería n'est pas tant opposée à l'esprit du stoïcisme qu'on peut le croire : sachant que le destin nous englobe, on arrête de lui résister, on se rend à lui, sachant qu'il est irrésistible.
" Una de la pirámides más inquietantes que se ven al pasar es la pirámide de valijas, desde la que ya tiene algo de baúl hasta la que es como cabás par ir al colegio el párvulo."
" Une des pyramides les plus inquiétantes qu'on voit en passant est la pyramide des valises, depuis celle qui tient de la malle jusqu'à celle qui est comme une sacoche pour enfant allant à l'école."
Ramón nous gratifie d'une belle illustration pour parler de ce geste machinal que nous faisons tous, assis comme une pointe de compas sur un banc, pour dessiner un demi-cercle devant nous, quand nous avons un bâton dans la main. C'est un geste un peu mystérieux, que Ramón explique par la biologie, en nous animalisant. On dessinerait la limite de son espace vital. Stendhal faisait mieux sur le sable en Italie. Il disposait des numéros sur le demi-cercle, pour chaque femme qu'il avait aimée d'un amour platonique et impossible. Romantique impénitent, il dessinait des constellations sur la ligne d'une voûte céleste. Le cercle que l'on dessine a aussi quelque chose de magique dans l'inconscient collectif, comme pour faire jaillir un génie de terre.
2. Le dimanche 27 octobre 2019, 19:39 par Philalethe
Le dessin pourrait servir d'allégorie du solipsisme : aussi loin qu'on perçoive, aussi profondément qu'on pense, aussi efficacement qu' on agisse, on ne sort pas de soi.
" Cette femme m'a regardé comme on regarde un taxi occupé."
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1. Le jeudi 26 septembre 2019, 13:53 par gerardgrig
Il existe une version populaire, avec les toilettes publiques pour décor, de cette blague de café, qui est une sorte de revanche des femmes, parce que l'humour les prend habituellement pour cible. Dans les deux versions de la blague, faire du lieu occupé une métaphore de l'homme au cœur déjà pris manifeste une causticité un peu cavalière, mais de bon aloi. Le deuxième terme de l'alternative est la punchline de l'histoire. On imagine qu'il sera beaucoup plus assassin, dans la version française, avec la comparaison entre un lieu vide, dans un état plutôt négligé, et un homme assez répulsif, qui s'attire un qualificatif scatologique dans le registre de la familiarité. Heureusement, Ramón n'était pas Céline. Il ne donnait jamais dans le populisme.
2. Le dimanche 27 octobre 2019, 19:51 par Philalethe
Certaines greguerías sont très souvent violemment misogynes. Comme je ne cherche pas à travers ma sélection minuscule à donner d'elles une image représentative, je ne souhaite pas les traduire. Cette gregueria, elle, est d'une misogynie modérée.
" Su coincidencia telefónica era tal, que ella y él marcaban al mismo tiempo los números respectivos de sus teléfonos y siempre se encontraban con que estaban comunicando."
" Ils coïncidaient tellement téléphoniquement qu'elle et lui faisaient au même instant le numéro de l'autre et trouvaient toujours le téléphone occupé."
Cette gregueria semble être d'inspiration platonicienne. Il y a une Hypothèse du "Parménide" sur la stabilité du mouvement et sur le mouvement de la chose qui reste au même endroit.
Je crois que cette greguería fait douter non du mouvement du cerveau et de l'homme dont il est le cerveau, mais du changement de l'esprit qui va avec et des situations qu'il vit.
" El queso de Gruyère nos esta diciendo : " ¡ Hay que tener mucho ojo !"
" Le fromage de Gruyère nous dit : " Il faut être tout yeux !"
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1. Le mercredi 25 septembre 2019, 10:43 par gerardgrig
On connaît depuis peu l'explication de la présence de trous dans le fromage de gruyère. On est heureux pour le progrès de la science, mais comme dans le cas de la démonstration du théorème de Fermat, on est déçu qu'une énigme de plus, qui a occupé de nombreuses générations, soit résolue. Ramón a encore de la chance, et il peut se livrer sans retenue aux joies de la pensée pré-logique, sur un fond d'exercice pataphysique plutôt drôle, car il mélange l'animisme ou l'anthropomorphisme à une production humaine, dans le registre familier de l'alimentation. Les Suisses, qui continuent à faire de l'agriculture un peu inutilement, avaient remarqué qu'il y avait de moins en moins de trous dans le gruyère, ce qui compliquait l'énigme. Aujourd'hui, les chercheurs disent que les trous sont dûs à la production de gaz par les brins de foin, tombés dans le lait lors de la traite, pendant la fermentation.
2. Le jeudi 26 septembre 2019, 13:11 par gerardgrig
Et Ramón nous gratifie d'une superbe gravure, qui pourrait servir pour une affiche publicitaire. Il avait peut-être des rêves secrets d'épicerie. Quant au nombre de trous qui diminuent dans le gruyère, c'est dû à l'amélioration de l'hygiène de la vache.
3. Le dimanche 27 octobre 2019, 20:02 par Philalethe
Ce fromage est comme La Bruyère : il nous pousse à prêter attention !
Le problème du jeu de mots, ce jeu formel si fascinant auquel on ne sait pas résister, c'est qu'il a toujours une signification qui nous dépasse, un fond que l'on n'a pas voulu. Ramón ne cherchait peut-être qu'à faire de l'esprit, mais on ne peut s'empêcher de voir dans son bon mot un léger syndrome diogéniste. On peut faire pire, quand par exemple on dit en société qu'il ne faut pas confondre un percussionniste israélien et un percu sioniste. On prend parti, sans trop savoir où ni comment, dans la géopolitique du Proche-Orient.
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L'enchaînement des causes et des conséquences, appelé le Destin, n'est pas compatible avec la superstition envahissante des gestes quotidiens.
Mais on peut aussi lire la greguería comme une manière confiante et exceptionnelle de se donner à un destin dont on sait qu'il nous vise toujours. Lue ainsi, la greguería n'est pas tant opposée à l'esprit du stoïcisme qu'on peut le croire : sachant que le destin nous englobe, on arrête de lui résister, on se rend à lui, sachant qu'il est irrésistible.