Dans sa présentation des
'' Échantillons '' (1923), où, avec Mathilde Pomès, Valéry Larbaud publie des extraits d' oeuvres de Ramón, l' écrivain français expose longuement la difficulté rencontrée au moment de traduire le mot désignant la forme littéraire, poétique rendue célèbre par Gómez de la Serna, c'est-à-dire la greguería :
" " L'objet et le son qu'il rend en nous " ; c'est ainsi que je traduis une de ses expressions familières : " El objeto y su greguería ". Et cela m'amène à parler de la difficulté que présente la traduction de ce mot " greguería " qui revient si souvent dans les livres de R. Gómez de la Serna, qui sert de titre à un des plus importants, et par lequel il désigne ce genre d'épigrammes sans pointe, de haï-kaïs en prose, cette forme qu'il a faite sienne. Il avait d'abord songé à d'autres mots, dont la traduction est facile en français ; dans ses premiers livres, nous trouvons des " Moments ", des " Regards ", des " Ressemblances ". Mais il ne fut satisfait que lorsqu'il eût rencontré ce terme plus précis de " greguería ". " Cris confus, clameurs dont on ne saisit pas l'articulation " dit le dictionnaire de Salva. " Brouhaha ", dit celui de Darbas et Igon. " Criaillerie ", dit celui de Bustamante. Les dictionnaires espagnols disent : " Rumeur confuse et soudaine ", et donnent en exemple : " la greguería des enfants qui sortent de l' école ", " la greguería des perroquets dans une forêt tropicale " etc. Le mot français " rumeur " tel que le définit Littré (" bruit qui s'élève tout à coup ") en serait une version assez convenable, mais il a d'autres sens, propres et figurés, qui obscurcissent celui-là. Nous avons songé à " ramage », " jacasserie ", " piaillerie ", et dans une note à quelques morceaux traduits par Mme B. Moreno, M. Latour-Maubergeon et moi (les premiers traduits en France) et publiés dans la revue " Hispania ", M. Ventura Garcia Calderón proposait le mot " algarade ". Il y eut à ce propos un article dans un journal de Madrid, dont la conclusion était qu' aucun des mots français proposés n´ était l'équivalent exact de " greguería ". Nous avons maintenu, faute de mieux, le premier choisi, " criaillerie ", qui a l'avantage d'avoir le même nombre de syllabes et une certaine ressemblance de son avec " gregueria ". Mais c'est une " criaillerie " dont il faut exclure toute idée de mécontentement ou d'aigreur ; une criaillerie intérieure, psychique, la haute et brève rumeur que fait en nous la sensation provoquée par l'objet, une criaillerie dont « Je suis odeur de rose » est en quelque sorte l'archétype philosophique." (Grasset, 1923, pp. 16-17)
Dans son édition critique et bilingue des greguerías (Classiques Garnier, janvier 2019), Laurie-Anne Laget a choisi brouhahas comme titre,
ce que je ne trouve à vrai dire pas plus heureux que criaillerie. En effet la greguería, qui sait si souvent bien faire voir ce dont elle parle, est trop lucide et éclairante pour être associée aux confusions de la criaillerie et du brouhaha.
Commentaires
Le corps dans la version ramonienne reste fragile mais il est surchargé. La dématérialisation fait peut-être ressembler à nouveau le corps à un roseau (avec quelquefois la pensée, chez nos contemporains, de transformer le corps auquel on est joint en chêne : on court, fuyant la mort qui court derrière.)